Diary Of The Dead – Chronique Des Morts-Vivants
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- Analyse par Nicolas Zugasti le 2 juillet 2008
Euh chérie, je crois que ça va couper...
Et voilà , "The Movies Party" 2008 est finie. On peut dire que nous avons payé de notre personne pour vous faire vivre l'évènement de l'intérieur, mettant parfois en péril notre santé mentale (surtout nicco, quel admirable don de soi) et risquant l'explosion de rétine à chaque bobine. Et avant un repos du guerrier bien mérité, petit retour sur LA déception de la fête, du mois, voire même de l'année.
En l’espace d’une semaine, nous venons d’assister à l’expression d’une critique à deux vitesses. Tandis que Speed Racer se paye les pires critiques de la décennie (par incompréhension ou simple inculture), les mêmes ne tarissent pas d’éloges sur Diary Of The Dead du papy gâteux Romero . Un cinquième opus de la célèbre saga zombiesque alléchant sur le papier mais complètement raté dans le fond comme dans la forme.
Le désir de confronter La Nuit Des Morts-Vivants à la génération YouTube était louable et plutôt pertinent. Multiplicité des points de vue, des régimes d’images, caméra subjective, l’envie de témoigner du chaos, enfin de laisser une trace visuelle via des images à vocation testamentaire…Soit la reprise des motifs composant les très réussis Cloverfield, [REC] et Redacted. Malheureusement, la sauce ne prend jamais.
Pourtant ça commençait bien avec une première séquence montrant une équipe de télé locale couvrir l’assassinat d’une famille noire, captant l’agitation et les petits travers humains puis filmant l’éveil des morts-vivants au second plan et qui rapidement prennent possession de tout le cadre. Une entrée magistrale jusqu’à ce que le premier rire fuse dès que le pied d’un brancardier surgit du hors-champ pour asséner un coup en plein-dans-la-face d’un zombie. Un état de grâce de cinq minutes comme épitaphe d’une carrière consacrée à des êtres plus vraiment vivants ou pas encore morts. A peine rentré dans la fiction et déjà déconnecté.
I SEE UNDEAD PEOPLE...
Le décrochage est définitivement consommé avec cette voix off insupportable qui va passer le métrage à nous expliquer ce qu’il se passe à l’écran. C’est la voix de Debra, une des rares survivantes qui révèle d’entrée que notre perception des évènements sera manipulée puisque le film que nous allons voir est le résultat du montage des rushes tournés par son petit ami mort et agrémentés d’une musique que-ça-va-faire-trop-peur-attention-là -maintenant. Véritable note d’intention de cette purge qui prend vraiment les spectateurs pour des débiles, comme si l’on découvrait le principe même du cinéma ou que les images sont manipulables et soumises à caution. Résultat, un film aussi démonstratif que chiant. La faute à un manque de rythme, d’empathie pour des personnages sans aucun charisme et des dialogues d’une insondable fadeur et stupidité. Romero se permet même, en milieu de film, un petit cours de montage d’une séquence qui n’apporte strictement rien à l’intrigue ou au discours.
Parlons-en de c’lui-là , tiens. Nous avons droit aux pires banalités (en gros, malgré la multiplication des images, la vérité est ailleurs. Non, sans déconner ?!) assénées le plus sérieusement du monde et exprimant intelligiblement – tant que ce n’est pas enregistré, ce n’est pas arrivé – ce que d’autres ([REC], Redacted, Cloverfield) soulignent avec finesse et par leur seule mise en scène.
Le film, sans doute le plus bavard de Romero, où le flot de paroles parasite complétement l’action, ne laissant plus de place à l’interprétation ou à la réflexion, entraînant une passivité exaspérante.
Le pire ici est que Romero se contrefout des zombies, un comble. Ils ne représentent plus qu’une vague menace surgissant dans le champ pour mieux se faire "shooter" (filmer ou tirer dessus). Comme si le film Z tourné par les étudiants avait contaminé jusqu’à la réalisation de Romero. Désormais, les non-morts sont de simples éléments contextuels vidés de leur substance critique par la prolifération de leurs images. Peut être même est-ce le "message" du film. Mais alors totalement noyé dans cette bouillie filmique.
Autrefois réceptacles de la rage de leur géniteur, ils ne sont plus bons qu’à mettre en valeur les effets spéciaux du studio KNB. Boîtes crâniennes explosées, intestins se déversant à terre, jeune zombie épinglé au mur, shampoing d’acide, etc. Un catalogue d’effets n’ayant plus qu’une valeur illustrative.
Romero souhaitait retrouver la même énergie ayant présidée au succès, il y a 40 ans, de La Nuit Des Morts-Vivants, en reproduisant ses conditions de réalisations (équipe réduite, tournage commando, comédiens non professionnels…). Seulement voilà , tout auréolé d’une reconnaissance tardive en tant qu’auteur, Romero oublie le genre dans lequel il œuvre en privilégiant le sous-texte politique au reste. Soit le syndrome cronenbergien pré-A History Of Violence.
En martelant avec force son message, Romero flatte une diaspora pour qui un film d’horreur ne vaut que s’il est intelligent mais donne corps à une caricature qui n’aidera certainement pas le genre à retrouver une certaine estime.
Et pour parfaire l'impression d'assister pour la première fois au réveil de nos chers disparus, Romero s’adonne à une redite de tout ce que l'on a pu apprendre des épisodes précédents. Si ça peut marcher sur quelques clampins cherchant avant tout un peu de fraîcheur dans une salle climatisée ou sur mon neveu de douze ans (oui, celui qui écrit des scénarios), l'amateur de genre ne peut que rester dubitatif. D’autant plus lorsque cette volonté de redéfinir l’origine s’accompagne de citations aseptisées à ses précédent films. Le gang d'activistes black qui a pris le contrôle d'une bourgade (descendant probable de Duane Jones de La Nuit Des Morts-Vivants) ou ces militaires de la garde nationale qui braque nos gentils réalisateurs (référence aux militaires de Day Of The Dead). Cela vire à l'auto-parodie indécente.
Si l’on pouvait reprocher à Land Of The Dead une approche parfois trop simpliste et frontale, au moins Romero conservait sa hargne, n’oubliait pas de raconter une histoire et surtout se positionnait clairement aux côtés de ses chers zombies. Avec Diary Of The Dead, et à l’instar des cinéastes en herbe se réfugiant dans une panic room bardée d’écrans de contrôle, Romero impose une distanciation nuisible à toute implication. Les dernières attaques n’étant plus enregistrées que par les caméras de vidéo-surveillance, images fixes d’un renoncement à toute forme de point de vue.
…I SENT AN S.O.S TO THE WORLD…
Début de l’interview fleuve accordée par Romero à DVDRama et qui vaut comme terrible aveu d’impuissance :
"Cela va faire quarante ans que vous entretenez une histoire avec les morts vivants : qu'est-ce qui vous lie à eux ?
C'est mon fond de commerce ! Si jamais un événement inattendu arrive, même le plus démentiel possible comme une bombe sur la maison blanche par exemple, il suffirait que je balance quelques zombies là -bas pour tout de suite avoir des propositions par des studios. Tout le monde semble vouloir que je continue sur ma lancée concernant les zombies..."
Mais plutôt qu’un essouflement, les étonnantes pauvreté thématique et absurdité formelles (l’inverse est aussi vrai) de Diary Of The Dead pourraient bien masquer un message plus profond et personnel, Romero profitant de cette tribune pour lancer un appel à l’aide. Il en a tout simplement marre de n’être respecté et reconnu que pour sa géniale quadrilogie zombiesque.
Aspirant dès après La Nuit Des Morts-Vivants à des sujets plus personnels et intimistes (Martin, The Crazies), le succès de cette œuvre séminale l’a cantonné, à son grand désespoir, dans le pur registre de l’horreur. Bien que prégnante du fait du contexte de l’époque, la charge politique ne pré-existait pourtant pas aux films. Un exemple, le choix de Duane Jones, alors activiste pour la défense des droits des afro-américains, s’est fait non pas pour ce qu’il représentait (un noir luttant contre l’hégémonie blanche) mais parce qu’il était tout simplement le meilleur acteur de leur petite bande !
S’il se résigna et sembla se contenter de cette étiquette de réalisateur de films d’horreur (ou de zombies plus particulièrement), c’est que cela lui permit de continuer à exercer son métier. Il aime le genre, pas de doutes, mais en être réduit à filmer des morts-vivants pour continuer d’exister lui pèse. N’oublions pas que Land Of The Dead n’a pu être financé que suite aux succès de L’Armée Des Morts de Snyder et du génial Shawn Of The Dead du duo Wright/Pegg. Une opportunité de revenir sur le devant de la scène (Libé, à l’été 2005, en a même fait sa première page !) après le four Bruiser.
Pas novatrice pour deux sous, malgré la volonté d’offrir une nouvelle forme de contamination, la pulsion de mort étant concomitante de la pulsion de filmer, cette chronique des morts peut tout à fait être interprétée comme l’expression de son ras-le-bol. Le professeur blasé et désabusé du film personnifiant au mieux un Romero n’y croyant plus. Voulant mettre un terme à "sa malédiction", il fait de Diary Of The Dead un pensum de messages pompeux et signifiants. Sans doute dans l'espoir de dégonfler la baudruche rhétorique qui ne cesse d'enfler après chaque opus. Apparemment, c’est ce que les critiques attendaient puisqu’ils en redemandent.
Quant aux vrais fans du genre et du maître, ils attendent toujours sa résurrection. Car oui, malgré ce film il mérite d’être sauvé !
DIARY OF THE DEADÂ
Réalisateur : George A. Romero
Scénario : George A. Romero
Production : Ara Katz, Art Spigel, Peter Grunwald…
Photo : Adam Swica
Montage : Michael Doherty
Bande originale : Norman Orenstein
Origine : USA
Durée : 1h35
Sortie française : 25 juin 2008