Rome

Les coulisses du pouvoir

Affiche Rome

Cela fait quasiment une décennie que le cinéma dit "épique" connaît une incroyable ascension. De la fresque historique édifiante et apocryphe à la saga d’Heroic Fantasy spectaculaire mais redondante, les projets pullulent pour nous offrir des résultats allant du pathétique (Donjons Et Dragons) au "cultissime" (Le Seigneur Des Anneaux), et si jadis des projets tels que Troie ou Alexandre cultivaient notre excitation, leurs annonces aujourd’hui déclenchent souvent suspicion et agacement.


Il y a eu pourtant cette époque où Mel Gibson, impressionna son monde avec un Braveheart indélébile dans nos esprits. Mais la véritable étincelle à cette frénésie sera confirmée avec la sortie de Gladiator, une œuvre nostalgique faisant honneur aux péplums des années 60. Le seul réel intérêt (global) qui ressort de ce revival se situe surtout dans l’imagerie : plus crédible dans les décors, plus impressionnante grâce à la technologie mais aussi plus agressive qu’il y a cinquante ans. Cet aspect non négligeable ne faisant pas forcément un bon film va être pourtant exploité par HBO.

HBO, qui une fois de plus a très bien compris que pour innover, il était nécessaire d’évoluer, et cela se ressent fortement à travers ses dernières productions dont la popularité ne cesse de croître ; que ce soit dans le drame philosophique décalé (Six Feet Under), dans la comédie de mœurs interrogative (Sex And The City) ou dans le docu-fiction social, profond et cruel (Oz), l’effet obtenu heurte et émeut très fréquemment tout en s’écartant des standards avec lesquels nous nous sommes familiarisés. En suivant la mouvance, HBO s’attaque à un contexte très proche de Gladiator. Elle cultive ce même esprit cinématographique et profite d’un sujet très particuliers pour mieux affirmer une liberté de ton assumée en tentant d’ébranler les barrières imposantes de la petite lucarne. Pour ne rien laisser au hasard, elle intègre dans l’équipe plusieurs réalisateurs ayant déjà travaillé dans le cinéma dont deux que l’on n’attendait pas vraiment : John Milius, géniteur de Conan Le Barbare et producteur exécutif de la série, et Michael Apted, un touche à tout d’Hollywood pas vraiment talentueux mais qui réalisera plusieurs épisodes.
Si la liberté d’expression n’est pas véritablement un obstacle (ils l’ont déjà prouvé plusieurs fois), une autre contrainte de taille pouvait également limiter la portée du spectacle : l’argent. Sur ce point aussi, HBO met le paquet, un budget conséquent tournant autour de cent millions de dollars rien que pour la première saison permet au rêve de se concrétiser, si bien que si une deuxième saison a tout de même été produite (pour plus de cent millions cette fois), la troisième n’a pas pu voir le jour pour une raison évidente. Mais cela n’empêche pas à Rome de fournir en 22 épisodes un travail titanesque qui sera copieusement récompensé aux Emmy Awards 2006.

Rome
 


SIN, SEX AND STAB
Cette gratification ne sera finalement que justice car Rome doit sa réussite au soin particulier apporté à la reproduction de cette ville de tous les vices. Mais n’allez pas croire pour autant que l’objectif est de nous livrer un documentaire façon L’Odyssée De L’Espèce (idéal pour les lendemains de fêtes, au réveil avec la tête dans le cirage) dans lequel, coutumes, relations sociales et contexte politique sont énumérés avec une intention éducative emprunté à France Télévision. Ici, les faits relatés ont été considérablement compressés pour ne livrer que certains éléments. De ce fait tout inculte dans le domaine (comme moi…) ne sera jamais brouillé par certains anachronismes et raccourcis dont l’utilité se limite à ne pas perturber la compréhension, car l’intérêt des auteurs est tout autres. Il en est de même pour les personnages, certains protagonistes ont été réécrits, imaginés ou supprimés pour les besoins d’un scénario ciblant essentiellement une étude de la nature humaine et une projection de notre environnement sociétal sur cette communauté lointaine mais pas inconnue, et cela sans oublier une notion primordiale : le pouvoir.
C’est d’ailleurs sur ce postulat que s’ouvre la saison, un épisode d’exposition plutôt languissant mais nécessaire pour présenter une grande partie des protagonistes et des enjeux. Jules César a conquis la Gaule et s’apprête à retourner à Rome espérant être couronné, mais les dirigeants n’apprécient pas tous la politique de celui-ci et voient en Pompée ami de César un pacificateur et meneur plus compétent. Parallèlement, César envoie deux soldats récupérer un objet précieux qui a été dérobé : L’aigle de César. Lucius Vorenus et Titus Pullo, aux tempéraments opposés, partent alors à sa recherche ; ils tisseront par la suite une amitié complexe et sincère troublée par les différents événements liés à Rome.

Rome
 

Malgré ses apparences de soap, ses débordements sanglants, et ses séquences à l’érotisme cru, Rome reste avant tout une guerre du pouvoir ou chacun tiens une place propice pour engendrer un conflit ou négocier un compromis, la série regorge donc de tout ce qui compose la vie politique à la seule différence que la situation de guerre rend le contexte un peu extrême. Cette représentation élargit son champ d’action et s’attarde également sur les conditions de vie des occupants de la cité dont les règles et traditions ne nous sont pas si étrangères malgré les apparences. Le retour au foyer de Lucius, qui retrouve une famille qu’il n’a pas revu depuis des années, est une opportunité pour exposer les différences homme/femme et leurs influences sur le couple. De son côté, Titus, vieux sybarite célibataire revenu de la guerre, déambule sans véritable but l’amenant à côtoyer des endroits peu fréquentables. Il en est de même pour les dirigeants dont les multiples aventures participent à une analyse intéressante des mœurs qui, de l’inceste à la nymphomanie devient un véritable catalogue de déviances sexuelles. Toutes ses situations fonctionnent sur plusieurs degrés de lectures et chaque personnage a la particularité de représenter un penchant de la perversion dont les conséquences auraient tendances à rebuter.
Pourtant, ils sont emprunt d’une évidente humanité, et que l’on adhère ou pas à leur choix n’y changera rien, cette observation s’applique plus particulièrement à l’individu central qui, même après sa mort, marque les esprits. Un César sûr de lui, mégalomane au possible dont les motivations parfois nébuleuses surprennent autant qu’elles répugnent, un roi aveuglé par son additivité qui tombera dans un piège fatal.
Il en  est de même pour Marc-Antoine, son représentant, qui tentera de devenir son digne successeur, mais les effets du pouvoir le rendront vil et cupide, il achèvera son règne lors d’une guerre des nerfs qu’il perdra face à Octave, le neveu et héritier officiel de César. Après sa mort, cette enfant conditionné est une sorte de prolongement de l’empereur, son manque d’expérience est contrebalancé par une insensibilité effarante. Ce résultat tiens surtout de Atia, nièce de César et maîtresse de Marc-Antoine, elle se confrontera souvent à Servilia, maîtresse officielle de César. Ici, la femme est un symbole manipulateur et à l’image de la Bible, la mauvaise influence, chacune subira des retours de flammes mais elles réussiront plusieurs fois à faire basculer des situations litigieuses ; étonnant de se rendre compte à quel point la femme dans Rome a un rôle primordial alors qu’elle ne se situe jamais en première ligne.

Rome
 

De leurs côtés, Titus et Lucius, sont trimbalés dans tous les sens et subissent des situations dont la déchéance caractéristique permet une interprétation très éloquente. Si leur nature va s’assombrir graduellement , leurs amitiés n’en sera pourtant jamais souillé, le seul élément réellement positif que l’on peut ressortir de l’ensemble est bien ce lien qui les unie. Lucius, est un peu le représentant du succès, tout à tour dirigeant d’armée, patron et représentant politique, il est l’un des principaux acteurs des dysfonctionnements et des oppositions, Ses principes et son honneur qui seront mis à rudes épreuves finiront par le détruire. A l’inverse, Titus, un colosse bestial et loyal sera guidé par son instinct et sèmera bien malgré lui le bien et le mal dans son entourage (en tuant par exemple l’amant de la femme de Lucius) mais cette victime sincère externe au conflit suivra le chemin de la rédemption et deviendra par la même occasion, un grand amis d’Octave.


IL ÉTAIT UNE FOIS L'EMPIRE ROMAIN
Cette course à la souveraineté toujours applicable au XXème siècle prend tout son sens grâce aux imposants décors que HBO a fait construire pour reproduire Rome, une cité finalement peu chatoyante, dont les ruelles glauques remplies d’inquiétants habitants se juxtaposent à la luxure des lieux nobles dans une forme des plus nauséeuses. La vision réaliste laisse place donc à une illustration fantasmée fataliste et négative. C’est d’ailleurs la plus grande réussite de la série, au même niveau que les costumes qu’il est inutile de décrire, l’illusion demeure parfaite malgré les contestations des spécialistes sur plusieurs éléments.
Pourtant, il est important de remarquer que les créateurs évitent de s’attarder sur les batailles, pour des raisons apparentes de budgets et même si cela permet de se concentrer sur la dramaturgie, ce parti pris a plutôt tendance à provoquer une petite frustration et ce n’est pas les bribes de scènes (on a droit à quelques passages succincts) que l’on nous sert à quelques reprises qui compenseront ce manque. L’idée essentielle est donc de nous conter toutes le facettes des rivalités. La première saison tout d’abord, qui se concentre sur César et son ascension vers le pouvoir, sa popularité discutable et ses aptitudes stratégiques pour le destin que l’on connaît. Ce dénouement prévisible pour peu qu’on connaisse l’histoire dans ses grandes lignes a bien été digéré par les auteurs qui façonnent leur ambiance en fonction de celui-ci. Les tensions se renforcent et les liens se resserrent peu à peu, le rythme s’accélère sur le dernier épisode de la saison et le final en devient intense en bouclant les dernières minutes avec l’assassinat tragique de César.

Rome
 

La second saison démarre alors sur les chapeaux de roue, la mort du roi trouble une ville en ébullition, un calme funéraire précède le début des hostilités qui ne faiblira que vers le derniers tiers de la série, après la mort de Brutus pendant le règne de Marc-Antoine et Cléopâtre sur l’Egypte. Une trêve qui clôt la série sur un final troublant mais passionnant évitant de laisser espérer une éventuelle troisième saison.
Toute cette configuration n’est donc pas superflue, cette libre adaptation permettant surtout de présenter notre société sous un angle caricatural et outrancier, où règne matérialisme et individualisme, les gestes généreux n’étant favorables qu’à l'entretien d'un espoir éphémère (le seul personnage véritablement sincère sera Titus) ou un éventuel outil de manipulation voire de chantage.
Même les relations familiales sont fragiles et susceptibles d’être altérées. Les relations amoureuses aussi vulnérables qu’elles sont attendrissantes, se voient être morcelées à la moindre crise (telle la relation entre Marc-Antoine et Atia). La sexualité débridée est un symbole existentielle de la même manière qu’un comportement meurtrier. Les liens familiaux inhibent toutes affections si ils n’engendrent pas de conditions substitutives ou de procurations spécifiques. Tout fonctionne sur la base du profit, de l’intérêt relatif qui résulte de l’intention. Difficile de ne pas se reconnaître à travers ce portrait acide où sont schématisé nos réflexes rudimentaires, notre nature compulsive et nos réactions de survies discutables. Un constat pessimiste certes, mais tellement représentatif qu’il est difficile à exclure.


RETOUR VERS LE FUTUR
C’est d’ailleurs en conservant cette intégrité que la série conserve cette aura d’authenticité, ses entorses à l’Histoire compensées par une approche terre à terre  font de Rome une série intelligente aux allusions multiples. Une approche artistique qui fait souvent défaut à la programmation télévisuelle (surtout française) actuelle. Le plus étonnant est de remarquer que le public n’est vraisemblablement pas encore prêt, puisque la série n’a pas atteint les objectifs visés. Mais HBO, qui surprend à chaque fois, n’a pas dit son dernier mot puisque dans quelques mois le film faisant suite à la série va être produit.
Cette nouvelle n’est pas rassurante pour autant, car en passant sur grand écran, la singularité dont bénéficiait le show risque de ne pas procurer le même effet à moins que les créateurs Bruno Heller et John Milius aient pris conscience que ce nouveau challenge sera très difficile et livreront un spectacle plus ample et adapté au medium. Il faudra patiemment attendre plusieurs mois avant de pouvoir émettre un avis éclairé. A l’inverse, on peut dès maintenant pronostiquer l’avenir de ce type de spectacle à la télévision et il n’est pas radieux. Si la concurrente Showtime a récemment produit The Tudors, série moyenâgeuse du même acabit, rien ne présage pour autant un engouement démesuré, et le véritable règne pour le moment revient au toujours très formatées productions Bruckheimer, qui comme César en son temps savent "divertir" le public. Quand on connaît les intentions du monarque, il y a de quoi s’inquiéter.


ROME
Réalisation : Michael Apted, Steve Shill, Alan Taylor, Allen Coulter, John Maybury, Alan Poul, Tim Van Patten, Mikael Salomon, Carl Franklin, Julian Farino, Adam Davidson, Jeremy Podeswa, Roger Young, Timothy, Van Patten, Alik Sakharov
Scénario : Bruno Heller, Scott Buck, Todd Ellis Kessler, Mere Smith, John Milius, David Frankel, Alexandra Cunningham, Adrian Hodges, William J. MacDonald
Production : Bruno Heller, Todd London, Eleanor Moran
Producteurs exécutifs : Bruno Heller, John Milius, William J. MacDonald, Frank Doelger, Anne Thomopoulos
Compositeur : Jeff Beal
Interprètes : Kevin McKidd, Ray Stevenson, Ciaran Hinds, Kenneth Cranham , Polly Walker, James Purefoy, Tobias Menzies, Lindsay Duncan, Indira Varma, Max Pirkis, Kerry Condon, Rick Warden, Karl Johnson , David Bamber, Lee Boardman, Simon Woods, Guy Henry, Zuleikha Robinson, Suzanne Bertish, Chiara Mastalli, Esther Hall, Ian McNeice, Nicholas Woodeson, Coral Amiga
Origine : USA / GB




   

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