Le Loup-Garou De Londres
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- Rétroprojection par Pierre Remacle le 15 décembre 2016
Wolfen SS
Classique mineur de l’épouvante, le film de John Landis a durablement marqué plusieurs générations de spectateurs, ne fût-ce qu’en raison de l’incroyable séquence de la première métamorphose subie par le protagoniste.
En effet, il est difficile d’oublier le caractère aussi douloureux que malsain, physiquement concret de cette transformation, bel exemple de la maestria de Rick Baker, légende vivante du maquillage cinématographique. Mais au-delà de ce moment de bravoure, Le Loup-Garou De Londres nous propose un autre passage de terreur pure, qui en a traumatisé plus d’un. Nous parlons ici de la séquence du cauchemar que le héros subit juste après avoir été attaqué dans les landes, scène que nous pouvons observer ci-après :
Le jeune David profite d’un moment de sérénité au milieu de son foyer lorsque soudain surgit un commando sanguinaire de loups-garous et de démons : dévastant tout, massacrant la famille de David et terminant leur travail en égorgeant ce dernier, les monstres se retirent aussi brusquement qu’ils ont débarqué. Pour le spectateur, c’est le choc : il y a évidemment la surprise devant un déploiement aussi ignoble de violence gratuite et sans retenue. Mais plus encore que cette entrée brutale dans l’horreur, un détail incongru dans l’apparence des créatures accentue encore le malaise : les intrus arborent effectivement des symboles nazis sur leurs tenues de combat. Comment interpréter cette séquence ? Bien entendu, on pourrait s’arrêter à la religion du metteur en scène : d’origine juive, John Landis assimile tout naturellement les innommables atrocités nazies à la pire part de bestialité qui se tapit dans le cœur des hommes. Cette sombre pulsion est incarnée ici-même par la figure du loup-garou, entièrement vouée au mal et niant l’humanité du malheureux contaminé et de ses proches. Le protagoniste étant lui-même juif (cela nous est indiqué par un certain nombre d’éléments disséminés tout au long du film), la boucle est bouclée. Du reste, Landis n’avait-il pas déjà mis en scène une année auparavant, sur un mode plus détendu certes, des nazis dans Blues Brothers, pour mieux les ridiculiser ?
A côté de cette explication certes tout à fait valable, il existe néanmoins d’autres pistes de réflexion, non moins intrigantes et laissant entendre que la présence de loups-garous nazis est encore bien davantage porteuse de sens qu’initialement considéré. Pour mieux les explorer, il nous faut nous replonger dans l’Histoire.
Le début de l’Automne 1944 : pour l’Allemagne d’Hitler, la défaite est dans l’air. Himmler décide alors de lancer une nouvelle opération militaire consistant en la création de commandos de troupes d’élites nazies destinés à être lancés sur des territoires contrôlés par les alliés et devant saboter l’avancée de ceux-ci vers l’Allemagne. Ces commandos devaient accomplir leur mission de guérilla, de "résistance", en s’inspirant des techniques utilisées par les partisans soviétiques contre les envahisseurs nazis eux-mêmes. Le nom de cette manÅ“uvre (choisi par Goebbels et inspiré par un roman de l’écrivain allemand Hermann Löns) ? L’opération Werwolf, mot allemand signifiant, vous l’avez deviné, loup-garou. Heureusement, les actions de ces "loups-garous" n’eurent qu’une importance stratégique fort relative et ces groupuscules furent rapidement identifiés et neutralisés, que cela soit par les forces américaines, anglaises ou soviétiques.Â
Néanmoins, le cinéma s’est emparé de cette réalité historique et en a amplifié le retentissement, par souci de dramatisation. Ainsi, en 1959, Samuel Fuller lui-même a mis en scène ces "loups-garous dans son Verboten!, également connu en français sous le titre farfelu d’Ordres Secrets Aux Espions Nazis. Souffrant visiblement d’un budget réduit et phagocyté par un souci de didactisme envers le public américain (des stock-shots du Procès de Nuremberg figurent dans le film), souci certes louable mais rapidement assez pesant, Verboten! ne figure pas au rang des plus grandes réussites de Fuller.
Un an avant la bande de Fuller, un autre métrage s’intéressait déjà aux "loups-garous" : When Hell Broke Loose (le titre français ? L’Enfer Des Humains. Les traducteurs fous ne chômaient pas à l’époque), avec rien moins que Charles Bronson en premier rôle :
A côté de ces quelques reconstitutions cinématographiques plus ou moins fidèles à la réalité historique (les films précités exagérant souvent la réelle capacité de nuisance des commandos allemands en question), les représentations artistiques de l’opération "Loup-Garou" ont rapidement dépassé les limites du film de guerre. Et c’est là que nous rejoignons notre sujet initial. Ecrivains et réalisateurs ne pouvaient en effet pas ignorer longtemps tout le potentiel fantastique esquissé par le simple concept de base. Pensez donc : des loups-garous nazis ! Difficile de faire plus accrocheur.
Un des premiers à s’être engagé dans cette voie est le très talentueux (et scandaleusement négligé par le lectorat contemporain : après tout, "ça n’est pas notre culture") écrivain français Claude Seignolle. Dans son excellente nouvelle Ce Que Me Raconta Jacob, Seignolle nous dévoile le témoignage d’un portier d’hôtel, rescapé des camps de la mort et expliquant que les SS étaient en fait rien moins que des loups-garous. Usant habilement d’une certaine ambigüité, Seignolle laisse entendre que cette confession est authentique. Il étaie même celle-ci par quelques observations historiquement documentée : le surnom d’Hitler en personne n’était-il pas "le loup" ? Certains de ses quartiers généraux de campagnes ne portaient-ils pas des noms de code dérivés du mot "loup" (Werwolf - le loup-garou - en Ukraine, Wolfsschanze - l’antre du loup - en Pologne, Wolfsschlucht - le ravin du loup - en Belgique) ? Sans même parler de l’opération "Loup-Garou", bien entendu. Pour faire bonne mesure, le Jacob de la nouvelle éponyme est présenté comme un… renard-garou dont seule la ruse naturelle l’aurait préservé des attaques des loups-garous SS. Cette précision pourrait gâcher le récit en le rendant au mieux grotesque et au pire ridicule mais, curieusement, n’entame en rien la portée de celui-ci. Au contraire, elle permet même à Seignolle de faire écho à la rivalité entre Ysengrin le loup et Renart le goupil, décrite dans le chef-d’œuvre médiéval Le Roman De Renart.
Notons que le recueil reprenant la nouvelle Ce Que Me Raconta Jacob est, selon les éditions, préfacé par l’immense Jean Ray, qui en profite pour surenchérir dans le propos tenu par Seignolle : Ray nous explique ainsi avoir recueilli le témoignage de vieux Allemands selon lesquels le grand incendie d’Hambourg (1842), au cours duquel plus d’un quart de la ville a brûlé, a en fait été provoqué par des louves-garoues. Il n’est certes pas question de nazis ici, mais le théâtre reste suffisamment germanique pour être qualifié de pertinent.
Bien au-delà de l’Europe, le mélange intime, organique, entre deux maux inhumains (nazisme et lycanthropie) fera également les beaux jours du manga Hellsing. Dans celui-ci, un vampire tout-puissant du nom d’Alucard s’oppose à l’invasion de l’Angleterre par un groupe nazi composé de vampires, de démons et, bien évidemment, de loups-garous.
On le voit, cette idée incongrue qui nous gênait tant dans Le Loup-Garou De Londres apparaît avec un peu de recherche comme bien plus cohérente qu’elle en avait l’air au départ. Après tout, même une série aussi bien connue (oserons-nous la qualifier de mainstream ?) que True Blood effectuera un rapprochement entre lycanthrope et SS. Et pourtant, quel statut paradoxal que celui de loup-garou nazi : comment un être obsédé par la pureté raciale peut-il s’accommoder de son essence de créature hybride ? Libre à nous de chercher à répondre à cette question en nous replongeant dans le film de John Landis.
Et pour en savoir plus sur ce classique, ne ratez pas le ciné-club de Mr Bobine qui lui est consacré !
AN AMERICAN WEREWOLF IN LONDON
Réalisation : John Landis
Scénario : John LandisÂ
Production : George Folsey Jr., Jon Peters, Peter Guber
Photo : Robert Paynter
Montage : Malcolm Campbell
Bande originale : Elmer Berstein
Origine : GB
Durée : 1h37
Sortie française : 4 novembre 1981
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