Hurlements

La compagnie des loups

Affiche Hurlements

1980. Le loup-garou ne peut plus revêtir ses vieux habits. Heureusement, il a rencontré LE cinéaste qui pouvait lui donner un coup de jeune sans trahir un passé diablement cinégénique.


Inconditionnel des films de SF des années 50, de Chuck Jones et de Tex Avery, le jeune Joe Dante a traîné ses montages satiriques de campus en campus avant d’atterrir dans l’écurie de Roger Corman, New World Pictures, en tant que monteur de bande annonces (1). Ce passage l’occupera pendant quelques années avant qu’il ne se retrouve aux commandes de Piranhas (1978). Fort de l’expérience acquise sur ce film, il quitte le mentor Corman pour plonger dans un plus gros bassin.
Son premier forfait surfait sur la vague des Dents De La Mer, le voilà par un habile retour des choses pressenti pour le troisième opus des carnages du vilain requin blanc. Mais lorsque AVCO Embassy Pictures lui propose le script de Hurlements, il lâche sans regret la grande bleue pour la forêt, finalement prêt à nous conter une histoire de loup-garou comme l’ont si bien fait les aînés de laHammer et de Universal dans des films encore gravés dans sa mémoire de cinéphile.

Eddie Quist (Robert Picardo) est un maniaque qui poursuit de ses harcèlements Karen (Dee Wallace), présentatrice du JT local, et est accessoirement un loup-garou. A la suite de leur rencontre qui se solde par la mort de celui-ci, elle hérite d’un profond trauma qui refoule la vision de Quist dans ses cauchemars les plus profonds. Un psychiatre (Patrick "John Steed" MacNee) qui officie sur la même chaîne l’envoie en thérapie express à la Colonie pour retrouver son vrai "elle". Une thérapie finalement très efficace puisqu’elle consiste à la jeter dans la gueule du loup.   

MIROIR, MON LAID MIROIR 
S’il ne manque pas de déférence envers ses ancêtres, ce loup-garou doit à Joe Dante et au scénariste John Sayles une entrée de plein pied dans les problèmes de son époque. Ayant évolué dans une société médiatique, notre héroïne a développé pour l’image une fascination presque irrésistible, et fréquente une de ces communautés psychiatriques retirées très en vogue à l’époque, brillante et évidente idée, après coup, à mettre au crédit de Sayles. Quel meilleur lieu pour traiter de la pulsion animale qui prend le pas sur la raison humaine qu’une clinique psychiatrique retirée de la vie urbaine ? Joe Dante introduit aussi le lycanthrope dans l’ère médiatique, établissant à travers l’animalité une exacerbation des maux liés à l’image et à la célébrité déjà bien installés en ce début de décennie 80 (2). Eddie Quist, personnifié par le très patient Robert Picardo (y en a du maquillage !) est un artiste qui projette son fantasme sur une image qu’il reçoit de la télévision, image qu’il s’ingéniera à dessiner pour matérialiser l’objet de son désir.

Hurlements
 

A travers Hurlements, Joe Dante explore l’ambiguité entre la vérité psychanalytique et sa représentation fantastique, voguant sur une étrangeté bien en contact avec le réel. Il garde en ce sens les leçons de L’Exorciste. Comme William Friedkin distillait une angoisse latente dans une première partie réaliste, Joe Dante installe son introduction dans un contexte de polar. Friedkin mettait dos à dos la possession et la folie, Dante juxtapose en une scène la pathologie psychiatrique et la métaphore fantastique qui l’illustre : lors de la rencontre entre Karen et Eddie dans la cabine d’un sex shop mué en confessionnal, Quist la force à regarder un film dérangeant, dévoilant par l’intermédiaire d’un écran sa nature bestiale primitive avant de lui faire découvrir un faciès qui renvoie à un monstre cinématographique. La révélation s’apparente pour l’héroïne à un viol par procuration de l’image dont l’écran devient l’instrument, et qui se valide par la vision d’horreur du vrai visage de la bête.
Son point de vue sur Quist est tourné sous forme de métaphore : Seul un monstre inhumain peut avoir de telles perversions. Karen, qui passe de sa petite vie rangée devant la caméra à l’esprit dérangé de voyeur de Quist, ne peut s’imaginer qu’un de ses semblables puisse adopter un comportement aussi bestial. Ce choc la conduit au déni, son esprit amalgamant inconsciemment ce qui a trait à l’image et à la peur. Ce ne sera que plus tard, par la survenance de la mutation charnelle devant ses yeux (et les nôtres) qu’elle devra affronter la double nature de Quist. Son esprit sera libéré du trauma et, du même coup, elle trouvera le moyen de repasser devant la caméra, d’être à nouveau regardée et de montrer à son tour cette image au public. Tel les lunettes de John Nada dans Invasion Los Angeles, l’écran s’apparente dans Hurlements à une introduction à certaines vérités, celles que l’on refoule pour se voiler la face, et il n’est jamais plus signifiant que lorsqu’il expose la réalité sous une forme qui fait apparaître physiquement les choses cachées : celle du fantastique.

Hurlements
 

 

L’APPEL DE LA FORÊT 
Lorsqu’il quitte la ville pour nous amener à la Colonie, Joe Dante quitte également le réalisme urbain pour installer le jeu référentiel qui lie Hurlements à ses aînés, un monde qui obéit à des règles opposées à la raison. Au refoulement propre à la psychanalyse forcée de la Colonie (singeant les humains, le professeur leur impose le passage d’un mode de vie de chasse à l’élevage), Dante juxtapose une série de vignettes fantastiques citant autant les films de loup-garou qu’assimilant ses influences animées. La forêt a le rôle habité qu’elle aurait dans un conte (Blanche-Neige Et Les Sept Nains), comme si elle prenait d’assaut d’elle-même les bas instincts des pensionnaires de la Colonie (l’attirance incontrôlable du mari). A ce niveau, la scène d’accouplement très bestiale des loups-garou recèle paradoxalement une poésie qui se dégagerait d’une vignette animée. Le redressement et l’attaque du loup-garou sur le personnage de Belinda Balaski font penser à l’assaut du loup sur le petit chaperon rouge alors que la scène de transformation de Quist, la plus belle réussite du film, s’opère dans une brusquerie et un temps étiré qui renvoie à la transformation de Lampwick en âne dans Pinocchio. Son montage accentue le coté irréel et hors du temps de cette transformation là où elle devait normalement se dérouler en un plan. Joe Dante parvient grâce à ces images juxtaposées à sublimer les maquillages du jeune et déjà prolifique Rob Bottin, qui s’est inspiré des premiers travaux de Rick Baker (3). Le résultat s’accompagne d’une sensation de douleur organique troublante qui envoie aisément paître les copies en CGI qui suivirent .

Hurlements
 

Depuis ses montages d’extraits de vieux films des 50’s dans son Movie Orgy, l’image est la matière première de Joe Dante, une sorte de pâte à modeler qu'il assemble à son gré pour la transformer. Dans cette ligne évolutive, Hurlements est un précurseur de la tendance qui veut établir un nouveau rapport du spectateur avec des références acquises. Dante y détourne le gentillet smiley en symbole d’entrée en scène du tueur, il renvoie la réalité au film que les amis de l’héroïne regardent, il laisse apparaître Roger Corman en pingre dans une cabine téléphonique, Kevin McCarthy en rond de cuir de la télé ou John Carradine en vieux fou souffrant. Le jeu référentiel qu’il établit n’est pas sans rappeler celui qui animera Tarantino lors des 90’s avant qu’il soit utilisé comme un motif vidé de sens par ses suiveurs.
Hurlements est un hybride issu de cette manipulation des références avec une valeur ajoutée de satire contemporaine. Sous ses dehors de film de genre franc du collier, il s'avère être particulièrement visionnaire dans son message sur les médias. A la manière de son héroïne qui se sacrifie en direct et dans la douleur pour montrer la vérité au monde dans une scène ô combien éprouvante, son message n'est au final pas reçu par les spectateurs blasés qui ne voient là qu’un divertissement de plus. A mi-chemin entre la fascination et la critique d’une modernité aussi galopante qu’irrésistible, Hurlements annonce le Dante politiquement incorrect et iconoclaste des Gremlins, mais aussi un monde où l’image s’installe comme une fin en soi, déconnectée de tout contexte et de toute réalité.


(1) A ce titre, et à bien d'autres encore, voir l'excellent ouvrage de Bill Krohn sorti aux Editions des Cahiers du Cinéma, Joe Dante Et Les Gremlins de Hollywood.

(2)Le film sort l'année de l’assassinat de John Lennon par Mark David Chapman.

(3) Occupant initialement le poste de maquilleur effets spéciaux sur Hurlements, Rick Baker est rapidement débauché par John Landis pour travailler sur le Loup Garou De Londres.


THE HOWLING
Réalisateur : Joe Dante
Scénario : John Sayles
Montage : Joe Dante, Mark Goldblatt
Production : Daniel H.Blatt, Jack Conrad III, Michael Finell, Steven A.Lane. 
Photographie : John Hora
Bande originale : Pino Donaggio
Origine : USA
Durée : 1H31
Sortie française : 21 janvier 1980




   

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