Q's Day : Kill Bill

U for vendetta

Quentin Tarantino

Bien que les éditeurs DVD s’efforcent encore de nous faire croire, avec moult éditions collector qui n’en ont que le nom, qu’il existerait deux épisodes de Kill Bill et donc deux films bien distincts, rappelons que le monstre cinématographique de Quentin Tarantino ne peut et ne doit s’apprécier que dans la continuité.


C‘est-à-dire en s’empiffrant les quelques quatre heures de projection découpées en dix chapitres A LA SUITE, seule façon d’apprécier toute la cohérence et la rigueur de sa progression narrative.

Affiche Kill Bill Avec le temps (et un director’s cut maintes fois annoncé, toujours repoussé), le film fleuve de Tarantino sera sans doute accepté une bonne fois pour toute tel qu’il est, à savoir un voyage dantesque dans la mécanique de la vengeance et un kaléidoscope d’influences cinématographiques intelligemment disséminées au fil des minutes pour servir un propos pour le moins surprenant. Mais surtout, il devrait s’imposer sans peine comme le chef-d’œuvre absolu de l’auteur. Et pour cause, celui-ci a mûri son bébé pendant dix longues années ! Le générique annonce que le récit est basé sur une idée de Q&U, renvoyant évidemment à Quentin et à Uma Thurman qui eurent l’idée de ce récit de vengeance lors d’une fête de tournage de Pulp Fiction. Avec prêt de dix ans de gestation, le résultat ne pouvait qu’être imposant ! Et il l’est, au-delà des espérances !

Six longues années d’absence après un Jackie Brown trop souvent oublié par les "fans" du réalisateur, le papa de Pulp Fiction a mis les petits plats dans les grands pour offrir son trip ultime de fan boy budgété à cinquante millions de dollars. Profitant de la grossesse d’Uma Thurman en 2001 pour retarder le tournage alors que tous les décors étaient prêts, Tarantino a peaufiné chaque chapitre du récit afin d’offrir une succession de tableaux dantesques où la moindre séquence rivalise avec les autres, comme un authentique fantasme de cinéphile nourri au cinéma asiatique et au western spaghetti italien. L’histoire ? Rien de plus classique : une femme qu’on a essayé de tuer lors de son mariage décide de se venger en éliminant un à un les cinq doigts de la main qui ont ruiné sa vie.

Kill Bill
 

Avec les aventures de la Mariée, Tarantino nous livre un récit de vengeance traditionnel pour l’amener dans ses derniers retranchements, en adoptant la forme d’un hommage vibrant aux films d’exploitation. Mixer les codes du chambara (film de sabre japonais) avec ceux du wu xia pian (film de sabre chinois) ne relève finalement pas tant de l’audace révolutionnaire puisque tous deux explorent les mêmes thèmes. Idem pour la plongée dans les méandres du western spaghetti qui obéit aux même codes cinématographiques pour raconter des histoires similaires. Kill Bill reprend donc à son compte les spécificités de ces trois genres pour les parodier mais aussi et surtout les enrichir et les magnifier, chaque genre se répondant en miroir.
La Mariée, également surnommée Black Mamba, est une femme brisée qui devient l’incarnation même de la folie destructrice. Dans un premier temps, elle n’a pas d’autre motivation. Elle est une figure réduite à sa plus simple expression, sans la moindre once d’humanité. Lors d’un splendide plan séquence dans la Villa Bleue, la caméra suivra les sbires d’O-Ren Ishi avant de s’intéresser aux patrons du restaurant puis à un groupe de musique donnant un concert avant de terminer sur la silhouette de la Mariée tranquillement accoudée à un bar, comme si personne ne la remarquait. Elle ne possède qu’une seule dimension : celle de la colère. La preuve : elle n’a même pas de nom, comme viendra le souligner le gimmick du BIP sonore chaque fois que son prénom sera prononcé. Tout ce qui touche à la destination finale, Bill, est soigneusement mis de côté, les liens entre les deux personnages demeurant d’abord dans l’ombre afin que les tripes priment sur le cœur. Bill n’est encore qu’une entité indéfinissable dont on ne voit que les mains et dont on entend que la voix. Personne n’accepte de voir l’humain qui se cache derrière la furie vengeresse, que ce soit Vernita Green tentant de tuer lâchement son ancienne amie, O-Ren Ishi accusant son bourreau de"petite oie blanche jouant au samouraï" (alors qu’elle n’assume pas elle même ses origines métissées) ou encore Budd qui sait qu’il mérite sa mort mais qui préfèrera surprendre sa victime en la torturant. Ce n’est que lors d’un somptueux flash-back en noir et blanc que les réponses tomberont, avant un face à face final terriblement humain et sobre (un climax de trente minutes de dialogues : il fallait oser !) où les deux monstres sanguinaires tomberont le masque. Bill dévoile son visage, la Marié a enfin un nom.

Kill Bill
 

Si le récit se dévoilera finalement comme une magnifique histoire d’amour entre deux tueurs, ce sera après un long cheminement à travers les différents style de Cinéma qui verront la Mariée massacrer tous ceux qui l’ont faite souffrir. Kill Bill nous propose en effet un patchwork d’influences qui marquent le grand retour du Tarantino multi-référentiel (le début d’un ego-trip pour certains). Mais contrairement à Reservoir Dogs ou Pulp Fiction, les clins d’œil sont plus facilement perceptibles pour le grand public. Et pour cause : à travers ses premiers films, le cinéaste avait extirpé du fin fond des vidéos-clubs toute une sous-culture devenue aujourd’hui reconnue et populaire. Il est loin le temps où quelques aficionados de la Shaw Brothers était dénigrés et où l’on vénérait les premiers films de John Woo (avant qu’il ne débarquer à Hollywood). Désormais, cette sous-culture s’affiche dans tous les rayonnages de DVD et on a plus à se cacher pour regarder un Bruce Lee. Conscient de cette évolution du grand public, Tarantino se livre en quelque sorte à une auto-parodie de ce qui a fait son propre cinéma. Pendant deux heures, il va en effet appuyer chaque référence pour s’assurer qu’elle a bien été reconnue, comme s’il savait que puiser à droite à gauche comme il l’avait fait jusque là risquait de le hisser au rang de copieur. Il débute ainsi son film pour le logo poussiéreux de la Shaw, fait porter aux membres des Crazy’s 88 le masque du Frelon Vert, donne à Bill les traits de David Carradine connu pour son rôle de du maître du kung-fu eurasien dans la série Kung Fu, recréer pour Sonny Chiba le rôle d’Hattori Hanzo (héros de la série Shadow Warriors), ressuscite le Pei Mei aux sourcils blancs en maître prestigieux des arts martiaux, fait porter à Uma Thurman le costume jaune de Bruce Lee (celui-là même dans lequel il trouva la mort), balance la musique du Grand Duel lors d’un somptueux passage animé, des extraits de L’Homme De Fer…
Un authentique melting-pot abordé comme un concentré de pur cinéma. En effet, Kill Bill n’a rien de bien sérieux, il nous invite à pénétrer dans un monde purement fictif et fantasmé où l’on peut se balader avec un sabre dans un avion, vaincre une meute de tueurs sanguinaires et se faire exploser la tête sans mourir. L’introduction au duel contre O’ren Ishi résume tout l’esprit de cette démarche, lorsque la Mariée se retrouve face à une porte coulissante. Elle l’ouvre et pénètre dans un décor enneigé, dans un autre monde détaché de toute réalité. Elle traverse l’écran du rêve, tout simplement.

Kill Bill
 

Mais bien loin de se contenter de lister ses films cultes, Tarantino vire de cap dans la deuxième partie du récit. Ses clins d’œil deviennent plus subtils, plus rares et par conséquent difficilement identifiables, jusqu’à pratiquement disparaître durant le  dernier acte. Lors de la répétition du mariage, un plan sur la Mariée sortant à l’extérieur nous renvoie à La Prisonnière Du Désert, la caractérisation physique d’Elle Driver avec le bandeau sur l’œil sort tout droit de Thriller (une histoire de vengeance suédoise tournée en 1972), la flûte de pan de David Caradine empruntée au Cercle de Fer sans oublier la fameuse technique des 5 Fingers Points empruntée au Cinq Venins Mortels… On retrouve davantage la patte du réalisateur via de longues plages de dialogues savoureux (le monologue sur Superman : respect) et on quitte la sphère du pur cinéma pour se heurter à la réalité des choses. Tous les personnages sont peu à peu démystifier et rendus à leur rang d’être humain faillibles. On apprend que les fameux Crazy’s 88 n’étaient pas 88 mais qu’ils souhaitaient juste se donner un nom cool, le redoutable Budd entrant dans la chapelle avec sa mitraillette devient un gros loser qui récure les toilettes dans un bar, le terrible Bill devient juste un tueur coupable d’avoir aimé…
Kill Bill
prend alors une autre dimension : celle d’un autoportrait. En effet, avec le long climax dans la Villa Bleue, la Mariée exterminant tous ses adversaires devient un double fictif de Tarantino faisant table rase de toutes les références cinématographiques emmagasinées au fil des années. Si chaque nom de la liste vit dans un univers bien défini, la mort de chacun d’entre eux résonne comme la rupture du réalisateur avec chacun des genres cinématographiques auxquels ils appartiennent. Le dernier chapitre est par conséquent le plus intime et le plus touchant que l’auteur nous ait offert car il est sans conteste le plus personnel. Bill est l’incarnation du père que Tarantino n’a jamais connu, la Mariée est l’incarnation de sa mère Connie (le générique de fin associe ouvertement Mariée à "Maman"). Un parallèle qui devient évident lorsque Uma Thurman vit un moment de tendresse avec sa fille devant la télévision. Le film qu’elles regardent n’est autre que Shogun Assassin (un long-métrage improvisé à partir de deux volets de la série Baby Cart : Le Sabre De La Vengeance et L’Enfant Massacre) qui traite justement des relations entre un père et son fils. En suivant cette logique d’exorcisme filmique, la mort de Bill devient tout simplement une des plus belles scènes jamais vue sur un écran, Tarantino tuant le fantôme de son père par l’arme qu’il maîtrise le mieux : sa culture cinématographique.

Au bout des quatre heures de projection, le spectateur pourra enfin reprendre ses esprits, épuisé. Il en retiendra alors une série de scènes anthologiques (le cercueil étouffant, le combat contre les Crazy’s 88, l’entraînement de Pei Mei, la séquence animée, le face à face final…), des numéros d’acteurs époustouflants (Uma Thurman et David Carradine trouvent là leur meilleur rôle, Lucy Liu est étincelante), des morceaux entêtants (Bang Bang, Goodnight Moon) et le plaisir de voir un Tarantino qui est allé au bout de lui même, avec en guise d’épilogue une Mariée pleurant de tristesse, mais aussi de joie. Une partie de sa carrière est révolue, une autre est sur le point de commencer.


KILL BILL
Réalisateur : Quentin Tarantino
Scénario : Quentin Tarantino
Production : Bob & Harvey Weinstein, Lawrence Bender...
Photo : Robert Richardson
Montage : Sally Menke
Bande originale : RZA
Origine : USA
Durée : 4h07
Sorties françaises : 26 novembre 2003 + 17 mai 2004

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