La 6ème Nuit Excentrique

Nanarchy in Paris

Affiche Virus Cannibale

Le 20 mars dernier, la Cinémathèque de Paris fut envahie par une communauté étrange et hétéroclite de nanardeux venus de tous horizons, comme si le temps d’une nuit, le bon goût avait miraculeusement disparu de la planète et de notre bonne vieille Cinémathèque.


Cela fait maintenant six ans que chaque année, grâce à la dévotion et le travail acharné des habitués du site Nanarland, les mauvais films tellement sympathiques qu’ils sont meilleurs que les bons ont leur nuit à eux. Et cela fait une poignée d’éditions que la Cinémathèque accueille l’événement sous la houlette du chef de la programmation, Jean-François Rauger (qui connaît en cette nuit une hausse significative de sa cote de popularité). Entre 20 heures et 9 heures du matin, la tradition nous fit assister à la projection de quatre longs métrages venus d’une autre planète, entrecoupés de joyeusetés rassemblées par les recherches nanarchéologiques de l’équipe du site et de la Cinémathèque, le tout accompagnés des clameurs et de la bonne humeur des spectateurs nanardeux.

La soirée commence sur Vampire Men Of The Lost Planet, autrement connu (ou pas) sous le nom de Horror Of The Blood Monsters ou encore Blood Creatures From The Prehistoric Planet. Une curiosité signée Al Adamson à même de réveiller la nostalgie des drive-in sur le papier, dans les faits un film de SF… hybride. Quel autre mot pourrait mieux décrire cette aventure pittoresque dans laquelle un groupe d’astronautes échoue sur une étrange planète après trente minutes de film, pour se rendre compte qu’il y a là-bas des créatures préhistoriques et deux peuplades entraînées dans une guerre de clans à la suite d’un feu sacré qui a été éteint. La particularité de ce chef-d’œuvre est son absence totale de scrupule à enchaîner les stock-shots à différents tons de couleur, qui se transforme en inconscience totale lorsque la scénario tente de justifier les changements de teinte trop visibles. Nous voici alors embarqués dans une scène surréaliste où le contrôleur de vol à Terre vante à son homologue féminine les mérites du spectrum, parce que ce sont les ondes chromatiques qui changent la planète, le rouge étant le plus dangereux (merci Staline).

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- Mes potes sont partis chasser le stock shot rouge et moi je m'emmerde.


Si les allées et retour incessants entre le vaisseau et la Terre ont bien chauffé les nerfs du nanardeur, il s’est vu récompensé par un embryon d’histoire qui se termine sur une morale d’un autre âge (le film date de 1970, mais on se croirait dans les 50's). On ressentira de la compassion envers le pauvre John Carradine dans le rôle d’un savant loufogue flanqué d’une équipe de fumiste qui passe son temps à regarder les stock-shot en contre-champ, dont une blonde qui ne sait même pas faire le point lorsqu’elle regarde au microscope. Bref, un régal. Mais où sont les vampires dans tout ça me direz vous ? On les voit au début du film et ils semblent entretenir une lointaine parenté avec un des deux clans indigènes.



La 6ème nuit excentriqueAprès l’entrée, voici un plat de résistance dont nous pouvons être fiers, car il s’agit d’un film d’horreur français. Tremblez Frontières et La Horde ! L’année 1985 a vu naître une chose nommée Il Etait Une Fois Le Diable (Devil Story). Réalisé par Bernard Launois, le film a connu en son temps une exploitation chaotique, et on comprend pourquoi en admirant le résultat. Filmé en Normandie à Fécamp, la bande s’ouvre sur les exactions d’une lointaine copie de John Merrick, un idiot du village qui tue tout ceux qu’il se trouve sur son passage. Puis nous arrivons à un couple de passage qui se voit contraint de séjourner dans l’auberge (ou le château) tenu par les parents du neuneu, de bons gens du terroir que ne renierait pas Jean Pierre Pernaut. La jeune blonde (hé oui) trouve le moyen de sortir en pleine nuit et se mêle à des aventures rocambolesques comprenant le neuneu, une momie qui bave, une revenante et une histoire de malédiction avec un bateau zombie qui sort littéralement de la terre. A coté de ça, nous pouvons admirer une chasse au canasson digne de Moby Dick, où la tenacité du chasseur n’a d’égale que l’absence totale de raccords champ/contrechamp. Bernard Launois nous dévoile science du montage hallucinante qui renverrait De Palma aux oubliettes et nous enchante avec une musique qui reste curieusement en tête (on se demande bien pourquoi). On ajoute à tout ça un chat noir très agressif qui semble avoir un rapport lointain avec la malédiction du film, qui fit du miaulement une sorte de cri de ralliement des spectateurs définitivement conquis par ce petit film qui n’a jamais dû avoir autant de spectateurs et d’applaudissements que cette nuit-là. A la suite du film furent diffusés un documenteur brillant et un reportage qui nous permettent d’en savoir un peu plus sur cet OFNI et surtout d’admirer la gouaille du réalisateur. Mais nous aurons l’occasion de revenir plus en détail sur ces joyeusetés à l’occasion d’une sortie DVD programmée pour bientôt.

La nuit se poursuit bien plus tard avec un film étendard, le bien nommé Virus Cannibale, que nous a pondu Bruno Mattei, réalisateur très apprécié du nanardeur (il a commis le génial Strike Commando ainsi qu’une poignée de sous-"ajoutez ici un succès des années 80") et qui pourrait être vu comme un hommage, le monsieur étant disparu en 2007. L’histoire : une centrale laisse échapper un virus qui contamine la tribu papou de l’île d’en face en les transformant en zombies. Quatre gros durs des forces d’intervention et deux journalistes d’investigation auront fort à faire à survivre au milieu des méchants cannibales. Virus Cannibale surfe à fond sur le Zombie de Romero, au point de piller sans vergogne sa bande originale. Le film est également renommé pour son utilisation intempestive des stock-shot sur la nature (parmi eux, une gerboise) et des tribus indigènes locales. Une utilisation déjà plus habile qu’Al Adamson, le réalisateur ayant jadis été monteur. Virus Cannibale est une ballade sympathique, qui vaut surtout pour ses zombies improbables, une scène en tutu qui vire au drame et sa joyeuse bande de mauvais acteurs : une journaliste qui sait y faire pour se fondre dans le paysage local, des sosies foireux de Richard Burton et de Francis Cabrel ainsi qu’un cousin germain de Klaus Kinski qui nous gratifie d’un jeu qui aurait pu présager d’une grande carrière théâtrale. On nous réservera même pour la fin une longue tirade sur les méfaits des pays occidentaux sur le tiers-monde qui donne à l’ensemble un cachet qui se serait voulu engagé. La bombe dénonciatrice a loupé son but pour réussir à toucher plus d’une fois nos zygomatiques.

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Au beau milieu d'une tirade théâtrale, il ne voit pas les zombies arriver


Les courageux qui étaient encore vivants à sept heures du matin purent admirer le quatrième film : L'Invincible Kid Du Kung-Fu. Derrière ce titre énigmatique se cache la première aventure de Weng-Weng, nain phillipin de 80 cm qui fut le héros de plusieurs pelloches nanardesques qui se rapprochaient dangereusement des James Bond. Dans cet aventure, il est aux prises avec de dangereux trafiquants, prétexte scénaristique pour une suite de scènes d’action à la gloire de l’homme. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Weng-Weng déchire, et pas seulement au Kung-Fu. En plus d’être le meilleur agent en activité et d’être invincible (comme le titre l’indique), il exécute de puissantes cascades rendues d’autant plus improbables que sa taille est petite. Il peut aussi se vanter d’avoir toutes les femmes à ses pieds. On le verra ainsi recevoir les faveurs d’une Moneypenny phillipine, embrasser intempestivement des bombes locales avant de retourner à l’action et même hériter de son propre thème JamesBondien (il faut l’entendre pour le croire). Affichant constamment ses yeux de merlan frit couplés à une coupe à la Mireille Mathieu du plus bel effet, Weng-Weng n’est jamais meilleur que lorsqu’il brandit d’un ton affable sa carte en disant "Interpol". Rien que pour ses scènes, il mériterait une reconnaissance internationale.

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Weng Weng en action. Sean Connery ne s'en remettra pas.

 
Entre chaque film, des jeux concours furent animés par l'équipe de Nanarland, qui permirent aux heureux gagnants de repartir avec DVD, T-shirt, affiches et autres gadgets de films que la morale réprouve. L’équipe du site réservait également quatre montages d’extraits, les cut excentriques, qui permirent de savourer quelques scènes de nanars pour la plupart inconnus. La palme de l’étrangeté de ces cuts serait à décerner à Birdemic: Shock And Terror, énième resucée des Oiseaux d’Hitchcock où des pigeons atteints d’un mal étrange battent des ailes sans bouger d’un poil. Celle de la nation la plus prolixe et la plus intéressante en matière de nanars irait à l’Inde, entre un Hulk à tête de gosse et des superproductions hyper-testostéronés usant d’effets jusqu’à la corde, elle a irrémédiablement trusté l’écran de la salle Henri Langlois, laissant moultes séquelles aux spectateurs pourtant avertis. Il y eut aussi des extraits plus longs et des séries de bande-annonces. Ainsi la nuit fut marquée à sa manière par une bande annonce / making of insoutenable qui révéla des choses horribles sur les traitements infligés à la fillette de Charles Aznavour lors d’un tournage, à quelques bande-annonces de mondo (films exploitant les travers les plus glauques de différents pays ou villes) dont la plus fameuse sera Shocking Asia, à un extrait du Führer En Folie en hommage à Patrick Topaloff, à une aventure du catcheur mexicain Santos aka "Superman" face à des femmes vampires maléfiques, à un film sponsorisé par le FBI (prononcez à la française) et bien d’autres encore. Ce qui nous amènera aux bande-annonces coquines pour clôturer la nuit, dont une qui voit la juvénile Brigitte Lahaie nous faire une bien étrange confession. 

La sixième Nuit Excentrique de Nanarland fut donc un grand cru, porté par une ambiance unique qui ne s’est pas tarie malgré l’apparition des cernes. Le jour venu, des hordes de zombie allèrent remplir joyeusement les bureaux de vote et la Cinémathèque put enfin diffuser sa rétrospective de Julien Duvivier, en attendant l’année prochaine.




   

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