L'Étrange Festival 2014
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- Dossier par Guénaël Eveno le 24 septembre 2014
Mad worlds
Le glas de l'Etrange Festival n'est pas près de sonner : salles combles et nombreuses projections à guichets fermés ont jalonné cette édition anniversaire qui courrait des 4 au 14 septembre dernier au Forum des Images.
Vingt années à défricher le terrain de l'étrange consacrées par un documentaire mené par Alejandro Jodorowsky en personne. Cette édition reçut le concours de Godfrey Reggio (venu présenter l’étonnant trip Visitors), de Sono Sion (grand résident des lieux) et de Jacques Audiard pour des cartes blanches (la plus inspirée revenant au premier).
Un festival qui n’a plus à suer sang et eaux pour rameuter public, parrains prestigieux et cinéastes, juste retour des choses pour services rendus au cinéma. Le panorama de vingt films retraçant son histoire se veut d’ailleurs représentatif de son pluralisme, portant autant des perles reconnues (Moon, Seul Contre Tous, Tetsuo, Gummo...) que des curiosités du cinoche déviant habituellement exploré via les pépites de l’Etrange.
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Les années passant, le défrichage n’est plus l’unique intérêt de l’Etrange. On note même une petite baisse de régime dans la sélection officielle comparée à la très faste sélection de l’an dernier. Les œuvres découvertes dans les sélections parallèles de Cannes font toujours partie du haut du panier (ce fut le cas pour Blue Ruin l’année précédente), mêlées à des films de genre parfois prometteurs mais trop léchés pour avoir véritablement leur place. Dans le cru 2014, on ne pourra pas faire l’économie de citer parmi les meilleurs le Alleluia de Fabrice du Welz avec ses amants de la lune de miel nouvelle génération. Ils se trouvent pour l’occasion accompagnés de nombreux inadaptés se heurtant à la société humaine : qu’ils soient des adolescents, des animaux, des tueurs psychopathes, la sélection de cette vingtième édition de l’Etrange Festival fait la part belle au point de vue des marginaux.
CONTAMINATIONS
Les deux grands films de cette édition évoquent à leur manière l’isolement de l’adolescent face à un mal adulte qui menace de le contaminer. It Follows l’exprime par l’allégorie horrifique, White God par un récit noir sans concession, mais tous deux ne sont pas dénués de poésie.
Une jeune femme sort de chez elle paniquée, comme poursuivie par un assaillant invisible. Une voisine lui demande si tout va bien, elle la rassure, mais sera retrouvée sur une plage les os brisés. Peu après, la jeune Jay est persuadée d'avoir trouvé l’homme idéal. Mais celui-ci l’assomme, l’attache et la prévient à son réveil qu’elle vient d’hériter d’une malédiction : une entité prenant l'apparence de ses proches sera toujours à sa poursuite pour la tuer. D’abord incrédule, Jay se trouve bientôt poursuivie par cette chose que personne ne voit.
Second film de David Robert Mitchell (The Myth Of The American Sleepover), It Follows est de ces rares films d’horreur qui développent avec succès un concept original, qui plus est à fort potentiel cinématographique. Chaque recoin de plan est l’occasion d’une potentielle apparition de l’ennemi, permettant au réalisateur de jouer sur le champ/hors champ, le visible/l'invisible avec un brio certain. Faucheuse plus proche du croquemitaine que de la mort des Destination Finale, la chose ne parle pas mais se contente d’avancer jusqu’à atteindre sa victime, souvent par épuisement. La mise en scène sèche de Mitchell glace ces courses-poursuites, d'autant que la bande originale électronique, lancinante et simple rappelle parfois Halloween de John Carpenter.
It Follows avance autant sous influence qu’en rupture, accordant des moments de calme à ses personnages via des scènes aux allures de film indé classique. La bande de potes de Jay, composée de sa sœur et d’amis d’enfance, semble vivre en dehors de toute présence adulte, les parents n’existant que par les dialogues. Un choix qui accentue le sentiment d’enfermement des jeunes acteurs, tous épatants, qui profitent de ces scènes pour pousser le film vers un registre plus familier, ce qui accentuera les moments de terreur.
D’un film qui aurait pu s’évertuer à dénoncer les dangers du sexe avec des inconnus (et du risque de contamination), David Robert Mitchell nous offre une chronique horrifique douce amère sur une poignée d’enfants perdus et leur manière d’affronter ensemble un monde inconnu et effrayant.
It Follows de David Robert Mitchell, sortie salles : janvier 2015
Comme It Follows, le film hongro-germano-suédois White God est passé par Cannes (il souffla le Grand Prix de la sélection Un certain regard à Ryan Gosling) et conte la contamination d’un être cher, qui résulte cette fois de la séparation brutale d’une adolescente et de son chien. Ici point d’allégorie mais un réalisme sur la descente aux enfers du compagnon à quatre pattes livré à lui-même. Parallèlement, le choc de l’abandon imposé par le père crée chez la gamine un nouveau point de vue sur les adultes et la pousse à fuir ces derniers. Si elle reprend pied, le chien manque de peu la mort et s’improvise Spartacus de la fourrière locale, libérant une multitude de compagnons canins pour ourdir une vengeance contre ses oppresseurs.
Le réalisateur Kornél Mundruczö expose une violence crûe, physique pour le chien (les tortures et le conditionnement à la haine), psychologique pour sa propriétaire (la pression du non-dit et le conditionnement à l’indifférence). Une analogie des expériences des deux orphelins qui trouvera sont point d’orgue dans une scène de combat canin montée en parallèle avec une nuit d’errance dans une boîte de nuit. La deuxième partie de cette cruelle fable ira bien au-delà de l’invasion de bébêtes à laquelle on pouvait s’attendre, se chargeant d’inverser le rapport de force entre chiens et hommes, jusqu’au superbe final empreint d'une petite lueur d'espoir dans cette lourde charge envers l’espèce humaine.Â
White God de Kornél Mundruczö, sortie salles : 3 décembre 2014
PSYCHO KILLERS
Ils voient aussi le monde différemment, à notre grand dam, et ont souvent tendance à attaquer leurs proches. L’Etrange Festival ne pouvait entamer sa troisième décennie sans s'intéresser à la psyché des serial killers.Â
L'auteure de Persepolis et Poulet Aux Prunes aux commandes d’un film dans lequel Ryan Reynolds parle à ses animaux de compagnie et se met à assassiner, la proposition intrigue. The Voices n’est pourtant pas une anomalie dans la carrière de Marjane Satrapi car le projet s'efforce de plaquer de la fantaisie sur un univers a priori très sombre, ce qui était déjà le cas de Persepolis.
Entrant de plain-pied dans le feel good movie, la réalisatrice nous transporte dans un monde d’esprit d’entreprise et de perfection enrubannée de guimauve par l’entremise du gentil Jerry. Un univers doucereux qui ne disparaît pas lors du meurtre de la bombe du bureau (Gemma Arterton, parfaite) par le bon gars poussé au crime par son horrible chat. On découvre vite que le monde merveilleux de Jerry, à base de têtes qui parlent et de dialogues animaliers, n’est que le résultat d'une schizophrénie qui laisse place après prise des médocs à une réalité glauque et insupportable.
The Voices n'abandonne jamais le point de vue du tueur en série, rendant la folie de Jerry extrêmement communicative. Prendre les cachets qui pourraient nous faire vivre frontalement l’horreur de la situation est hors de question tant cette approche est revigorante. L’autodérision dont fait preuve Ryan Reynolds et la fantaisie d’Anna Kendrick ne sont pas étrangers à l’appréciation positive de ce voyage, mais il faut d’abord saluer les talents d'équilibriste du scénariste Michael R. Perry, son script oscillant entre comédie noire et humanisme, et brillamment mis en image (et en couleurs) par Marjane Satrapi. Le public de l’Etrange a justement accordé le grand Chelem à ce film qui vous fera voir autrement les amis qui vous veulent du bien.
The Voices de Marjane Satrapi, sortie salles : 11 mars 2015
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Le tueur de The Canal est d’un autre acabit, préférant jouer le déni avec la subtilité d’un éléphant. Dans la campagne irlandaise, l’archiviste d’une cinémathèque doit composer avec l’assassinat de sa femme adultère. Face aux tergiversations des forces de police, il décide de mener lui-même l’enquête après avoir découvert dans un film d’archive que des événements similaires s’étaient produits dans sa maison au début du vingtième siècle.Â
Ces dernières années, l’Irlande a su tirer son épingle du jeu en terme de cinéma fantastico-horrifique, visitant avec le même brio des registres aussi différents que l’horreur urbaine (Citadel), le fantastique horrifico-burlesque arrosé d’alcool local (Grabbers) et les histoires de vilain clown (Stitches). The Canal ne confirmera pas cet élan. D’une intrigue conjuguant mari trompé, femme tuée et maison hantée, Ivan Kavanagh suit la ligne fantastique de son récit avec une application classique qui rend le visionnage monotone et sans surprise. La présence du transparent Rupert Evans (Hellboy) employé à dessein ne cache pas le twist qui squatte chaque instant du film, jusqu’à se dévoiler tout de go dans le soupçon d’un flic incarné avec délectation par Steve Oram (Touristes). S’il n’était pas soutenu par un travail sur le son exemplaire et une réalisation appliquée, The Canal ne serait qu’une série B au twist grillé dès la première demie-heure.
The Canal d'Ivan Kavanagh, sortie salles : prévue mais date inconnue
CHAOS APPLIQUÉS
Adapté du roman trash Zones Humides de Charlotte Roche, Wetlands de David Wnendt suit le parcours d’Helen, une jeune femme qui expérimente sexuellement à tout va, particulièrement attirée par l’absence d’hygiène et toutes ses manifestations. Une fissure annale l’envoie à l’hôpital où elle rencontre l’infirmier Robin. Ponctué de flashbacks sur son enfance, son adolescence et ses proches, le récit de l’aventure hospitalière d’Helen bénéficie d’un montage qui évoque le Trainspotting de Danny Boyle et le Fight club de David Fincher.
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Mais le parallèle avec les adaptations des romans d'Irwin Welsh et de Chuck Palahniuk s’arrêtera à cette forme dynamique et à un générique citant ouvertement celui de Fight Club. S’il nous offre des moments peu ragoutants, Wetlands délaisse rarement la comédie graveleuse pour s’aventurer dans le malaise dans lequel glissait progressivement la vie de Mark Renton. Alors que David Fincher illustrait l’emballage clinquant de la doctrine anti-consommation de Tyler Durden, il n’y a rien qui justifie ici ce tape-à -l’œil. Dans ses scènes d’hôpital soapesques, ses digressions cools ou la volonté de l’héroïne de rapprocher des parents que tout sépare, Wetlands s’apparente à de l’anecdote, au parcours un poil déviant d’une gamine qui explorerait une crise d’adolescence un peu plus bizarre que la moyenne. Aucun grand message générationnel en somme, juste un agréable film qui se regarde comme on regarderait d’un Å“il complice la vie d’une Amélie Poulain passée du côté obscur du vice.Â
Wetlands de David Wnendt, sortie salles : prévue mais date inconnue
Policier londonien ripou, Michael a aussi fait du vice son lot quotidien. A la direction d’une brigade qui use de méthodes radicales et n’hésite pas à goûter les produits qu’elle confisque, il est bientôt menacé par un enquêteur opiniâtre de la police des polices. Il devra également composer avec le meurtre d’un de ses contacts qui le place au cœur des mafias turques et albanaises sévissant dans la capitale et avec le retour d’un fantôme de son passé qui vient refaire équipe avec lui.
Aux commandes de ce polar plein de promesses, Gerard Johnson, réalisateur de l’excellent Tony qui suivait le quotidien aride d’un tueur en série au cœur de Londres.
Avec Hyena, Johnson aborde le quotidien de sa brigade avec un grand souci documentaire et dans une forme plus marquée que Tony. Le réalisateur anglais ne cache pas l’influence des polars français mais les emprunts à l’Hexagone se bornent à un contexte et des antagonismes forts au cœur de la police. C'est surtout l’énergie du cinéma social anglais qui transpire dans nombre de scènes de Hyena, bien qu'on puisse y guetter quelques emprunts à Sidney Lumet ou à The Shield. Le Peter Ferdinando de Tony rempile à la tête des opérations, auréolé d’une apparition dans A Field In England de Ben Wheatley et d’un rôle de robot dans l'actuelle saison de Doctor Who (Deep Breath).
Hyena tient ses promesses lors d’explosions de violence et de ruptures brutales dans un rythme majoritairement mélancolique, même si le cinéaste commet parfois l’impair de trop en faire. Johnson aurait gagné à explorer plus en profondeur une de ses thématiques plutôt que miser sur l’accumulation.
Hyena de Gerard Johnson, sortie salles : prévue mais date inconnue
BIENTÔT LA FIN
Une pépite peut parfois poindre d’un propos simple et d’un budget modeste, et ce même sur un sujet à ce point galvaudé qu'est l’apocalypse : une vague mortelle engloutit la terre, l’Australie n’a plus que quelques heures avant de disparaître sous le feu. James quitte sa maîtresse pour rejoindre sa femme à une fête gigantesque pour finir en beauté. Mais il croise une ado qu’il sauve in extremis d’un viol sauvage. Elle contrecarre ses plans en lui demandant de la conduire chez sa tante où elle veut passer ses derniers instants. Leur voyage forcera James à réfléchir sur ce qui compte vraiment pour lui, alors que plus rien n’a vraiment de sens.Â
L’australien Zak Hilditch a retenu la leçon de Danny Boyle avec 28 Jours Plus Tard : faire de l’apocalypse avec peu, mais bien. Filmer le vide et les conséquences de ce vide, de temps à autre une explosion pour donner le change, mais surtout s'inquiéter de l’introspection de ses protagonistes en pareil cas. These Final Hours aborde la grande fin et la manière qu'a chacun de l’appréhender. C'est pessimiste, certes, mais c'est avant tout un parcours initiatique pour un anti-héros nous rappelant qu'il n'y a pas besoin de lendemain pour se questionner. Et nous avons le privilège d’observer cette dernière vague du meilleur des points de vue, sur une plage quelque part au cœur des antipodes.
These Final Hours de Zak Hilditch, sortie salles : prévue mais date inconnue
PALMARÈS
PRIX NOUVEAU GENREÂ : The Voices de Marjane Satrapi
PRIX DU PUBLIC (long-métrage) : The Voices de Marjane Satrapi
GRAND PRIX CANAL+ (court-métrage) : Pony Place de Joost Reijmers
PRIX DU PUBLIC (court-métrage) : Séquence de Carles Torrens
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