A Bout Portant
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- Critique par Nicolas Bonci le 2 décembre 2010
Cours, Lellouche, cours
Fred Cavayé avait prévenu : A Bout Portant sera la course poursuite finale de Pour Elle étirée sur la totalité d'un long-métrage. Une promesse aussi excitante que courageuse, qui montrait que le bonhomme n'irait pas courir après ceux qui soulignaient la "simplicité" de son premier film.
Bien au contraire. Comme un majeur tendu aux diktats qui somment tout artisan du genre de s'enticher d'un alibi social ou historique pour légitimer sa place au sein de la cinématographie nationale (du Convoyeur à Un Prophète en passant par La Raison Du Plus Fort ou les récents Tête De Turc et Hors-La-Loi, rares sont les polars bruts de décoffrage), Cavayé creuse le sillon d'un thriller frontal et sans fioriture, qui n'a d'autre velléité que d'embarquer le spectateur du point A au point B de son récit sans que celui-ci n'ait le temps de regarder sa montre. Et il l'a dit et répété, après avoir pris tellement de plaisir à filmer le derniers tiers de Pour Elle, il comptait bien prolonger l'expérience. Ce qui compte ici, c'est le plaisir.
Et les sources de plaisir sont nombreuses : entre une action généreuse, lisible, ne lésinant jamais sur les plans larges et refusant la shaky cam, une photo parfois magnifique (la scène sur le terrain vague au petit matin), un montage dégraissé mais pas cut et des acteurs concernés, dont un Lanvin badass comme jamais, tout est destiné à faire tripper le fondu de traques hard boiled. D'autant plus que le métrage prend une ampleur dans le chaos final qu'on ne pouvait soupçonner vu la note d'intention des auteurs.
Car la vraie surprise de ce second opus du duo Cavayé / Lemans est que A Bout Portant ne se contente pas de son postulat de départ, prétexte à embrigader un aspirant infirmier (Gilles Lellouche) dans une course entre deux feux, ceux des flics et des bandits. Conscients qu'une poursuite de 80 minutes finirait forcément par lasser, les auteurs redynamisent constamment le récit en injectant des sous-intrigues sans que jamais le rythme du film n'en pâtisse. Révélations sur les personnages et manigances servent de liant entre les scènes de tensions et d'action pure avec une impressionnante fluidité qui confirme leur volonté de tourner avec des scripts dotés d'une mécanique sans faille. On y reconnaît la patine qui avait tant aidé Pour Elle à se démarquer en 2008, entre caractérisation des personnages par l'action et dissémination intelligente des informations.
A Bout Portant débutant là où Pour Elle finissait (chasse dans un hosto), il est quelque part cohérent qu'il se conclue dans un lieu signant ce doublé décomplexé : ce sera dans un commissariat en fusion lors d'une séquence finale d'une surprenante ampleur qui voit tout un quartier imploser sous l'effet d'une délinquance manœuvrée par le bad guy, dorénavant complice de Lellouche. Toute juste regrette-t-on les résolutions des suspenses un peu trop aisées vu le dawa ambiant (on imagine la difficulté à monter une séquence pareille avec un budget pas forcément adapté), mais bordel, ça envoie !
Et si, de par son postulat, A Bout Portant est moins poignant que son prédécesseur, il confirme largement tout le potentiel de ses auteurs à perpétuer le genre. Voir un film français jouer dans la cour des Jason Bourne et cie a quelque chose de rassurant. Cela signifie que ce cinéma-là , on ne l'a pas totalement abandonné aux autres cinématographies.
A BOUT PORTANT
Réalisateur : Fred Cavayé
Scénario : Fred Cavayé & Guillaume Lemans
Production : Jean-Baptiste Dupont, Cyril Colbeau-Justin…
Photo : Alain Duplantier
Montage : Benjamin Weill
Bande originale : Klaus Badelt
Origine : France
Durée : 1H24
Sortie française : 1er décembre 2010