Festival de Deauville 2011
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- Bobine minute par Laurent le 9 septembre 2011
Capital America
Bien embêté j'étais à l'idée d'écrire un article sur le 37ème festival du cinéma américain de Deauville (du 2 au 11 septembre), puisque j'avais avant tout obtenu une accréditation sur la base de mes travaux sur les séries.
Et pour cause d'un séjour court, j'ai plutôt jeté mon dévolu sur les films présentés cette année que sur les showrunners (Tom Fontana, Shawn Ryan et Graham Yost) à l'honneur dont je ne connaissais pas assez les œuvres. Ainsi, alors que j'enchaînais les projections, j'ai cru découvrir un fil rouge qui parcourait l'ensemble des films présentés : la violence.
La violence est un thème cher au cinéma américain : il a été démontré dans le documentaire This Film Is Not Yet Rated que le système de ratings  de la MPAA était beaucoup plus clément envers la violence que les thématiques sexuelles dans les films. L'invité d'honneur du festival, Francis Ford Coppola a lui-même mis en scène la violence de façon magistrale dans des films comme Le Parrain ou Apocalypse Now. Dans le premier, elle intervient comme des sursauts brutaux entre deux longues scènes atmosphériques soutenus par des dialogues ou des musiques lancinantes. Le même effet de contrepoints est accompli dans Drive de Nicolas Winding Refn (Bronson, Valhalla Rising), présenté le samedi 3 au soir lors de la soirée "Nouvel Hollywood" qui intronisait Jessica Chastain et Ryan Gosling comme stars montantes du cinéma américain. Ce dernier joue le "Pilote", un personnage réservé et affable aux premiers abords qui se transforme à coup de scènes cinglantes en un ange de la mort prêt à toutes les atrocités pour protéger une mère (Carey Mulligan) et son enfant des menaces de la pègre que leur ont attiré leur ex-taulard de mari et père.
Nous voilà en face d'un véritable film qui tire totalement parti de son médium : se déroulant majoritairement la nuit, la photographie ne se contente pas de couleurs ternes ou unies, comme c'est le cas dans un très grand nombre de productions récentes, mais reflète la totalité du cercle chromatique dans sa restitution de l'éclairage nocturne de la ville de Los Angeles. L'ambiance enveloppante de Drive est parachevée par le son : il est omniprésent, que ce soit dans la musique, typée années 80 qui participe au style rétro du film, que dans les bruitages, sur-mixés voir carrément exagérés (scène de l’ascenseur). Les changements d'atmosphère sont abrupts, on a l'impression de se faire tirer dessus à chaque coup de feu, l'expérience y est viscérale et nous cloue au siège pour toute la durée du métrage.
Ce qui n'est pas vraiment le cas dans Take Shelter de Jeff Nichols, film très silencieux aux allures de téléfilm, qui se concentre sur les violents troubles psychiques d'un excavateur en carrière joué par Michael Shannon (Boardwalk Empire). Celui-ci est hanté par des visions apocalyptiques, points forts du film, malheureusement trop brèves et espacées pour enrichir une histoire ancrée dans un schéma de répétition. Les explications du malaise du protagoniste demeurent en pointillé et nous laisse dans une épure digne d'un M. Night Shyamalan plutôt que des Oiseaux d'Hitchcock auxquelles certaines images font allègrement référence.
À l'inverse, Échange Standard de David Dobkin avec Jason Bateman et Ryan Reynolds dispose d'un script très écrit, ce qui est généralement une bonne chose lorsqu'on est en présence d'une comédie. L'histoire repose sur un échange de corps, des deux personnages principaux aux vies radicalement opposées -- un procédé déjà vu dans Farscape 2x09, Out Of Their Minds, pour ne citer qu'un exemple – chacun devant se faire aux contraintes d'une existence qui n'est pas leur mais qu'ils enviaient au départ. L'ensemble est incisif et se laisse aisément regarder grâce à son montage dynamique. Le film fait la part belle aux dialogues d'une crudité qui en fera ciller plus d'un. La même chose pourrait être dite de certaines scènes (le film s'ouvre un nouveau né balançant des jets de merde sur le visage de son père). Pourtant, malgré cette vulgarité assumée, Échange Standard reste totalement dans les clous de la comédie américaine typique. L’ambiguïté apportée par la situation des deux personnes est peu exploitée, la morale est sauve.
Bons sentiments également pour La Couleur Des Sentiments de Tate Taylor. Situé dans la période désormais tendance des années 60 pour nous parler d'un sujet qui l'est moins : la ségrégation raciale, dont la violence contenue transparaît à travers les récits de vie de domestiques afro-américaines dans le petit village de Jackson, Mississipi. Le film fait dans le politiquement correct avec ses méchants et ses gentils bien définis, mais reste absolument à voir pour ses images soignées et son éventail de personnages truculents, interprétés par un peloton d'actrices au top de leur forme (Emma Stone et Jessica Chastain en tête).
L'interprétation laisse en revanche à désirer dans Another Happy Day, portrait de famille grotesque centré autour d'une mère au bord de la crise de nerfs, jouée par une Ellen Barkin fébrile. Le film nous déroule jusqu'à l'overdose le catalogue des symptômes du mal-être adolescent (drogue, dépression, auto-mutilation, etc.) en parallèle à celui des problèmes familiaux (divorce, violence conjugale, parents obtus, etc.) sans y apporter une once de réflexion. Difficile d'éprouver de l'empathie pour des personnages qui restent à l'état de caricatures, que seule une réplique bien sentie viendra sauver de temps en temps. Inutile de parler d'esthétique ici, elle est quasi nulle.
Ce qui n'est pas le cas dans Fright Night, film d'horreur / comédie – qui pèche un peu sur le côté comique – qui pour une fois exploite bien la 3D, comme en témoigne la scène centrale de poursuite en voiture, où la caméra pivote sur 360° et projette le spectateur dans un environnement circulaire qui brise le rapport frontale classique du grand écran. On se rapproche davantage d'une attraction du Futuroscope, et le film de Craig Gillespie n'a pas d'autres prétentions que de divertir, ce qu'il réussit avec du gore, de bons effets spéciaux et un vampire original, sensuellement interprété par Colin Farrell.
Pour finir, deux mots sur le documentaire consacré à Roger Corman, Corman's World: Exploits Of A Hollywood Rebel d'Alex Stapleton, qui ravira tous les bisseux, mais dont le visionnage devrait dépasser ces frontières pour que les autres découvrent un peu la vie et l'œuvre de ce personnage incontournable du cinéma. Celui qui a lancé les carrières de Jack Nicholson, Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, James Cameron, Robert de Niro (et j'en passe) cumule à ce jour trois cents quatre-vingts-seize productions (peut-être quatre cents à l'heure où vous lirez ces lignes, vu la vitesse du bonhomme) dont les extraits présentés garantiront de bonnes tranches de rire. Des hectolitres de faux sang, des tonnes de masques en caoutchouc et une bonne dose de rébellion ont donné lieu à des centaines de kilomètres de pellicules empreints d'un amour patent pour le cinéma, sinon qu'est-ce qui pousserait Roger Corman à continuer sur sa lancée à plus de 85 ans ?
Ce serait une lapalissade de dire que le festival de Deauville se destine aux amoureux du cinéma, mais c'est un endroit pour ressourcer sa cinéphilie en tout cas. Lassé des productions sans âme, j'y ai découvert des films variés, osés, d'excellente qualité dans l'ensemble, alors que mes choix estivaux laissaient croire à un déclin du cinéma Hollywoodien. Ici je n'ai pas eu de choix dans les films présentés, pourtant je n'ai pas été déçu. Preuve que si l'ennuie me gagnait dans les films que j'avais l'habitude de regarder, ce n'était pas vraiment le cinéma qui était en cause, mais plutôt mes choix qui étaient réglés sur le pilote automatique.