Hanna

Story arc

Affiche Hanna

La filmographie de Joe Wright est jusqu’à aujourd’hui principalement constituée d’adaptations littéraires. Après avoir travaillé son propre patrimoine (Orgueil Et Préjugés, Reviens-moi) et avant de s’attaquer à la Russie (Anna Karenine), Joe a fait un détour par les contes de l’Europe continentale et plus particulièrement l’Allemagne, avec les frères Grimm.

Cependant il ne s’agit pas pour le réalisateur d’adapter une histoire à proprement parler, mais plutôt de tenter une sorte de syncrétisme amenant à retranscrire l’essence, l’esprit de ces contes plutôt que leur récit.

Il ne s’agit pas non plus d’une version "dark", comme l’ont été Le Chaperon Rouge et Blanche-Neige. Ces films, le plus souvent aussi dangereux qu’un placard à chaussette, n’ont de sombre à part la photographie et pallient leur indigence thématique par une imagerie tirant vers le gros noir qui tache.
Mais il n’est pas non plus question dans Hanna de tenter de revenir aux "sources" des récits, en montrant la genèse des œuvres à travers les biopics romancés de leurs créateurs, expliquant à coup de petites références et autres clins d’œil où les auteurs ont pu trouver l’inspiration pour leurs histoires. Cette démarche, aboutissant à des films de qualités très diverses (Les Frères Grimm de Gilliam, Shakespeare In Love de Madden). Le principal problème de ces projets étant de vouloir montrer que les histoires dont ils entendent "révéler" l’origine ne sont que des versions romancée d’expérience vécue par leurs auteurs, et les rabaissent donc au simple rang d’anecdote ayant eu lieu dans une réalité terre à terre.

Hanna
 

Wright s’inscrit dans une parfaite opposition à ces deux propositions. Plutôt que de montrer les origines du conte, le cinéaste tente de décrire leur permanence comme objet fondamental de l’imaginaire collectif. Situer l’histoire dans un contexte contemporain n’est pas une tentative de réactualisation car il s'agit au contraire d’encrer notre réalité dans le conte, et non l’inverse, en illustrant l’immuabilité de certains thèmes.

Hanna
 

Le film s’ouvre sur un paysage enneigé du nord de l’Europe : une page blanche où tout reste à écrire, peindre, créer.
Cette première image marque ainsi la note d’intention du film, le personnage que nous allons suivre, Hanna, est une coupe vide qu’il faudra remplir. L’adolescente que l’on découvre dispose de toutes les capacités, elle est une combattante hors pair, parle toutes les langues et dispose d’un savoir encyclopédique (littéralement). Pourtant, au delà des entrées du dictionnaire qu’elle peut réciter sans peine, Hanna ne connaît rien du monde, et, adolescence aidant, brûle de le découvrir. Savoir ce qui se cache au delà de sa forêt est probablement un des moteurs les plus anciens de l’être humain. Et de fait le moteur de Hanna, outre de retrouver son père, sera de découvrir, d’éprouver, d’assimiler un monde dont elle ne fait pas encore parti.

Hanna
 

Car si le conte est un moyen de découvrir le monde sans y avoir été confronté, c’est bien par ce que les personnages desdites histoire sont confrontés à ce même monde de manière extrêmement brutale, et y font le plus souvent une expérience tragique de la violence. Dans Hanna, il ne s’agit pasd’une violence aseptisée, destinée aux adolescents de la génération Y (les pauvres), il s’agit d’une violence crue, sans fioriture. Une lutte pour la survie.
La survie est justement au cœur de ce film, comme au cœur des contes. Poursuivie par l'agence américaine qui l’a créée, Hanna, élevée au milieu de rien, va devoir échapper à des gens dont la tache est de tout savoir.

Les méchants quand à eux relèvent autant du monde moderne que du conte. Ainsi le personnage de Cate Blanchett figure aussi bien la sorcière (elle a créée Hanna et veut la récupérer), que la marâtre (gros complexe par rapport à la maternité) et le méchant loup ("Comme vous avez de grandes dents"). Une méchante reine secondée par un ogre homosexuel et des serviteurs néonazis.
Mais, entrainée à survivre, Hanna est loin d’être sans défense, à l’image des héros des contes qui peuvent en un instant passer de victimes à bourreaux, selon que la situation soit favorable ou défavorable. Et c’est avec un sang froid digne de Hansel enfermant la sorcière dans le four que l'adolescente abat ses antagonistes.
Sans se référer à aucune histoire en particulier, simplement en reprenant thématiques et archétypes présents dans ces récits, Joe Wright parvient à intégrer son film dans la grande tradition des conteurs, de Perrault à Andersen en passant bien sûr par les frères Grimm, couchant sur le papier (ou la pellicule) des histoires présentes - sans réellement exister - dans l’imaginaire collectif.

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Mais un film n’est pas que thématique, il est également graphique. Et si l’histoire est redevable aux contes, l’aspect visuel est ici le marqueur de l’évolution de Hanna dans un territoire où le mode de représentation du monde a sans cesse évolué depuis des siècles.
La première scène du film est ainsi une scène de chasse, qui pourrait figurer sur les parois d’une grotte préhistorique ; la plus vieille représentation connue de l’art. Une fois débarqué dans le monde, et sortie de la prison, qui constitue une sorte d’utérus entre le grand nord et la réalité, Hanna peut enfin commencer sa quête pour retrouver son père (donc ses origines), mais aussi découvrir la beauté du monde.
Car si le périple de la jeune fille est un récit initiatique, il est également un voyage pictural. Au fur et à mesure des paysages traversés c’est une partie non négligeable des grands mouvements du vieux continent que l’on retrouve à l’écran en fonction du lieu et de l’action.
Les compositions tout au long du métrage nous replacent dans une sorte d’imaginaire collectif permanant, faisant le lien entre la représentation du monde qu’avaient certains artistes il y a 100, 200, 500 ans. A l’opposé du conte, structure plus ou moins figée, la représentation du monde évolue en fonction de ses changements propres et de ceux qui l’habitent. Hanna elle-même semble parfois sortie d’une toile de Vermeer, puis évoque une déesse blonde issue de Botticelli, quand elle n’est pas tout simplement Diane chasseresse (dont un des attributs est le cerf). La jeune fille devient à la fois figure légendaire et mythologique, vierge guerrière impitoyable et jeune princesse perdue.

Hanna
 

La succession des paysages traversés durant l'odyssée vers Berlin est également porteuse de sens. Après les peintures rupestres du début du film, l’arrivée en Europe coïncide à l’assemblée chantant devant un feu de bois, et n’est pas sans lien avec le Caravage. Plus Hanna se rapproche de sa destination, plus les décors deviennent artificialisés. Après les déserts arctique et marocain, les paysages agricoles de la France et de l’Espagne, l’arrivée à Lille, dans un couché de soleil impressionniste, coïncide avec une plongée dans le monde moderne. La menace, évitée depuis la base américaine, redevient immédiate, la violence est de nouveau présente. Le monde est ainsi marqué par des formes plus angulaires, moins chaleureuse. D’abord un labyrinthe géométrique fait de containers, puis ses couleurs et ses textures évoquant les toiles torturées d’Otto Dix dans une décharge, enfin un Berlin monochromatique éclairé par une lumière dure et froide ; le voyage vers le monde post-industriel entraine Hanna dans un territoire de plus en plus hostile.
 

Hanna
  
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Mais le parc d’attraction, son but, l’aboutissement du voyage, marque une sorte "d’œil du cyclone". Graphiquement ce lieu est un mélange bâtard de pop art, de peinture médiévale à la Jérôme Bosch et de peinture religieuse (la mort de Grimm reproduisant le martyr de Saint Sébastien). C’est à nouveau un lieu hors du monde, à l’image de la cabane où vivent Hanna et son père, la maison en pain d’épice est perdue dans un lieu abandonné des hommes. D’ailleurs, une des dernières scènes du film montre à nouveau un cerf, mais cette fois dans un décor pratiquement noir, négatif du début. La page blanche a été remplie, Hanna a découvert le monde, la musique et son identité, et est revenue au point de départ, elle est redevenue une chasseuse, qui traque le loup et ne le fuit pas. Le film se termine d’ailleurs dans cette zone de l’entre-deux, du conte, où la jeune fille a pu retrouver sa liberté.

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Ainsi, les territoires traversés, même s'ils ont été travaillés par l’histoire, n’en demeurent pas moins une succession de couches gravées dans l’imaginaire collectif. Hanna raconte une histoire immuable, remplie d’archétypes anciens mais toujours vivaces, dans un univers en pleine mutation. Les personnages n’ont pas changé, seul le décor évolue.


HANNA
Réalisateur : Joe Wright
Scénario : David Farr & Seth Lochhead
Production : Marty Adelstein
Photo : Alwin H. Kuchler
Montage : Paul Tothill
Bande originale : The Chemicals Brothers
Origine : Royaume-Uni
Durée : 1h51 min
Sortie Française : 6 Juillet 2011 




   

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