Valse Avec Bachir
Beyrouth du paradis
Ma petite maman chérie, mon tout petit frère adoré, mon petit papa aimé, je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c'est d'être courageuse. Je le suis et je veux l'être autant que ceux qui sont passés avant moi. [...] Votre Guy qui vous aime.
On pourrait en revenir aux sources même du devoir de mémoire, du rôle de l'Etat dans son application. Celui-ci peut-il se permettre d'instituer son propre pouvoir pédagogique ? L'impact sur les étudiants serait-il plus fort en lisant une lettre dont ils se moquent éperdument, ou plus frontalement en se confrontant au pouvoir des images, au pouvoir de réels souvenirs qui leur laisseraient encore une liberté de penser de plus en plus menacée ? Une réponse évidente effacée par des costards-cravates aux méthodes éternellement anachroniques, qui préfèrent injecter leur morale puante et bien-pensante à la source en lieu et place d'une véritable réflexion pourtant indispensable. Après c'est sûr, on pourra toujours se plaindre de la hiérarchisation de notre culture patrimoniale, dont un certain cinéma d'exploitation ne cesse de pâtir depuis trop longtemps. Mais bon, il est très facile de financer les débilités de deux zouaves qui utilisent Paris comme terrain de jeu et laisser les os à des créations aux velléités artistiques purement déviantes, qui ne rapporteront pas un cent, ne contribueront pas à rehausser le moral des ménages et encore moins la croissance du PIB national. A quand Persepolis dans les salles de classe ?
Au pire, si le cinéma était un art de l'image, ça se saurait depuis longtemps. Les prises de risques visuelles et artistiques ont tellement tendance à se vautrer au box office que leur financement tient désormais de la folie pure. Speed Racer ou La Légende De Beowulf l'ont confirmé dernièrement et raréfient d'autant plus leur présence future qu'elle n'était déjà conditionnée depuis des années. Et quand en plus d'oser l'expérimentation, ces oeuvres ont le culot de peindre un vrai scénario, avec un fond, de vrais personnages et d'approfondir ses traitements, la sortie technique est frôlée. Le film qui nous intéresse aujourd'hui est un cas d'école. Premier long-métrage d'animation documentaire de l'histoire du cinéma, Valse Avec Bachir est l'archétype même du film qui n'a rien pour lui. Contant l'histoire vraie de son réalisateur, lui-même soldat lors du massacre de Sabra et Chatila au Liban en septembre 1982, le film d'Ari Folman s'impose d'emblée comme une oeuvre dense et forte, véritable parcours psychanalytique pour un homme hanté par des hallucinations nocturnes dont il ne parvient pas à déceler le sens. Véritable exutoire, Valse Avec Bachir fait donc office de devoir de mémoire là où celle-ci avait a priori volontairement effacé la tragédie humaine qu'il avait vécu, lui évitant le stress post-traumatique qui hante par ailleurs une trop grande majorité de soldats. Demeure une seule image, énigmatique : trois jeunes hommes sortent de la mer, nus, et se dirigent vers Beyrouth sous une pluie de fusées éclairantes. S'en suivra le trajet d'un homme à la recherche d'un passé connu seulement de quelques amis survivants qui combattaient, peut-être, avec lui lors de la guerre.
Entièrement filmé en prises de vues réelles avant d'être retranscrit par un procédé mêlant animations flash, en 2D classique et en 3D, Valse Avec Bachir donne le ton dés le rêve introductif. Le film alternera les témoignages réels et les retranscriptions du passé tel un documentaire et ses stock shots, sans jamais user d'images réelles qui fausseraient les états d'âme de son auteur. Un parti pris visuel atypique mais pas anodin, qui ne cesse d'appuyer la dimension symbolique du récit au détour de séquences purement oniriques dont la beauté n'aura d'autre fonction que la démonstration par l'allégorie, laissant l'image seule véhiculer du sens et le spectateur l'interpréter. On aurait toujours pu tiquer à l'écoute d'une voix off qui accompagne la quasi intégralité des séquences, si celles-ci n'explicitaient déjà pas les propos par une mise en scène impeccable, jouant avec les perspectives et la composition des cadres, et offrant souvent une profondeur de champ proprement ahurissante. Une frustration toute relative donc, réveillée par ailleurs par un apparent manque d'inspiration chez le réalisateur. Car s'il n'y a rien à redire sur les choix artistiques indiscutables du cinéaste (dans ses choix d'allégories, de métaphores ou dans la structure narrative), Ari Folman n'hésite pas à dupliquer sa séquence hallucinatoire ou à placer un même morceau musical à divers endroits du récit sans que cela ne le serve réellement. Bref, une mauvaise foi de comptoir qui ne servira qu'à appuyer là où réside la véritable force du métrage, quand bien même on s'en était déjà pris plein la gueule.
En dépit d'un contexte traumatique lié à la guerre, Valse Avec Bachir traite moins du rapport de l'homme à une bataille qui n'est pas la sienne que de l'altération de la réalité et de sa propre culpabilité par une mémoire qui lui fait défaut. Pas question ici de stigmatiser à outrance des faits historiques passés et avérés, mais bien de se questionner soi-même en vue d'une introspection véritablement libératrice, processus de catharsis salvateur pour des êtres en quête d'identité. Chaque témoignage apporte sa pierre à l'édifice, permet à Folman de recouvrir la mémoire, de découvrir la vérité sur la douleur qui l'habite et sur la signification de ses hallucinations. Thématiquement riche, le métrage prend coup sur coup allures de fresque autobiographique, de documentaire politique et de réflexion sur la guerre, de par son approche symbolique mais ultra réaliste de la guerre du Liban et de ses dommages collatéraux. Car ce sont bien eux qui serviront d'aboutissants à ce travail de mémoire, le massacre de Sabra et Chatila faisant immédiatement suite à l'assassinat de Bashir Gemayel et donnant tout son sens au rêve qui le hantait.
Une profession de foi poignante et émotionnellement puissante qui n'hésite pas à abuser d'analogies historiques (le ghetto de Varsovie, les camps de concentration...) pour préparer le spectateur à un final traumatisant, des images réelles qui témoignent du traumatisme vécu. Un choc visuel inattendu qui n'est finalement rien d'autre que le véritable contenu de la mémoire de l'auteur, souvenirs indélébiles d'une époque qui n'est malheureusement toujours pas révolue.
WALTZ WITH BACHIR
Réalisateur : Ari Folman
Scénario : Ari Folman
Production : Ari Folman, Serge Lalou, Yael Nahlieli…
Directeur artistique : David Polonsky
Montage : Feller Nili
Bande originale : Max Richter
Origine : Israël / Allemagne / France
Durée : 1h30
Sortie française : 25 juin 2008