Lady Jane + MR 73
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- Critique par Nicolas Bonci le 18 avril 2008
Poubelle la vie
Sous prétexte que je suis le seul marseillais de la rédaction, c'est à moi qu'échoient les chroniques des polars venant de Canebièrewood. Heureusement que les Taxi sont finis car depuis Le Deuxième Souffle version fluorescence de Corneau, mes yeux commençaient à fondre.
C'est donc avec une palette de collyre que je me suis rendu à la projection du nouveau Guédiguian, le réalisateur de Marius Et Jeannette ayant décidé de tenter un double saut artistique : aborder le film de genre (le polar) et le tournage en numérique. Verdict ? Ce n'est pas vraiment une réussite, alors que la Sony HDW F-900 utilisée ici ayant servie sur des projets aussi divers qu'esthétiquement réussis comme Ali de Michael Mann ou Dexter pour filmer la Miami nocturne tel que l'aurait fait un certain Mann (en France on a vu la machine à l'oeuvre sur Et Toi T'es Sur Qui ? de Lola Doillon). Ici, un rédhibitoire aspect de fiction vidéo vieillot joue contre les velléités naturalistes du projet, détachant les acteurs du décor, de leurs univers diégétique, créant alors un rendu tout ce qu'il y a de plus synthétique, comme si nous nous trouvions devant le making of tourné avec un caméscope.
Résultat : pas un instant on ne croit ni s'intéresse au sort des personnages, qui, comme si le rendu visuel artificiel ne suffisait pas, restent engoncés dans les clichés du genre (Gérard Meylan nettoie et soupèse son arme comme s'il la prenait pour la première fois en main durant trente longues secondes de geste appuyé). Il en est ainsi tout le film pour la moindre action, jusqu'à cette scène où Ariane Ascaride se jette sur un pauvre figurant. Pour le "naturalisme" ou "la véracité des sentiments", on repassera et préférera regarder de nouveau Le Petit Voleur de Zonca, bien plus habile pour décrire de façon vraisemblable le "petit milieu" marseillais.
Lady Jane se veut également être une réflexion sur la vengeance et les désillusions d'une époque révolue, mais en aurait-on tant parlé de ses thèmes sans un titre en référence aux Rolling Stones et un carton final résumant lourdement tout ce que l'on vient de voir ? La volonté de traitement en filigrane de ces éléments s'en trouvant complètement plombée, on se contentera d'apprécier à sa juste valeur un long-métrage misant tout sur le vérisme de sa captation comme vecteur de sens, méthode non garante de réflexion mais très aisée à appliquer, permettant aux sadiques d'assister à des scènes assez insupportables comme Ariane Ascaride buvant un verre d'eau en prise de son crue et directe, chaque déglutition en +10 dB résonnant dans la salle tel un coup dans les oreilles.  Â
A cinq cents mètres de la boîte de nuit de Gérard Meylan, Daniel Auteuil prenait un bus en otage. Et tout d'un coup, quelque chose étonne : c'est beau. Dans une photo au grain et à la teinte orangée tout ce qu'il y a de plus habilement dosée, Schneider, flic alcoolique en mode "puisque le monde a commencé à me détruire je vais me finir tout seul comme un grand", se désolidarise de ce qui l'entoure : en ordonnant à un transport en commun d'aller à contresens et en étant coupé des personnes qui l'entourent par des décadrages en obliques et une superbe profondeur de champ floutant tout ce qui n'est pas au premier plan. En une séquence, Marchal montre à quel point il maîtrise sa mise en scène, et surtout que c'est lorsque la distanciation s'effectue entre un élément diégétique et un autre (Schneider et le reste du monde de MR 73) que l'immersion dans un film peut s'opérer (accentuant le point de vue et l'empathie pour un personnage), non en étant dépendant du résultat aléatoire d'un procédé de captation ne pardonnant pas un travail sur l'image approximatif. La mise en scène et le traitement de l'image prédominent sur le ressenti de ce qui est conté et les "messages" ambitionnés par l'auteur.
Marchal ne conclue pas son film par un dicton moraliste pour aider le spectateur à comprendre ce qu'il vient de voir (il l'ouvre au contraire par une phrase annonçant les dégâts à venir) et ne le baptise pas d'un titre de chanson de Led Zep pour nous signaler qu'il parle d'une époque où les flics comme Schneider existaient encore, or se trouve dans son nouveau film le même examen de conscience sur le thème de la vengeance que chez Guédiguian. Et la même conclusion, d'ailleurs : elle détruit, elle ronge. Mais ici elle dérange. Elle n'est plus prétexte à quelques réflexions convenues moult fois vues : l'intention jusqu'au-boutiste d'Olivier Marchal (faire du cinéma total et fantasmatique, quand bien même on s'obstine à parler de réalisme chez lui sous prétexte qu'il fut flic) amène logiquement son personnage à un acte effroyable (la vengeance froide), engendrant les réactions outrées de vigueur chez ceux qui attribuent à un auteur les actes de ses personnages pour mieux se défouler sur lui (étonnant processus que de refuser la violence et l'extrême dans la fiction pour mieux les reproduire dans la vie envers des personnes réelles).
A bien y réfléchir, ce qui a dû choquer, ce n'est pas tant le propos que la légère maladresse avec laquelle il est amené : à trop vouloir en faire, en cherchant à relier deux trames scénaristiques (la recherche d'un tueur, la libération d'un autre) déjà amples et mettant en scène des conflits profonds, Marchal ne se donne pas le temps de conclure comme il se doit son histoire, le dernier tiers, assez mal construit, ne permet pas au spectateur de s'imprégner de l’événement à venir, mais juste de le deviner froidement, paramètre primordial lorsque l'on veut illustrer au cinéma un acte tout ce qu'il y a de plus classique dans la tragédie mais qui crée une dissonance forte en rapport avec notre monde de tous les jours (par exemple, personne n'a crié au réac ou au facho en voyant la fin de Se7en tant toute la logique dramaturgique du récit - et on insiste sur "la logique interne du récit" - était implacable et ne faisait aucun doute sur sa conclusion tout en laissant la place à la surprise et l'émotion. Mais ça, c'est la "magie" de la mise en scène). Cette primauté laissée au climax en dépit de la construction purement scénique est un des défauts de Marchal, il n'y a qu'à voir la scène où Auteuil hurle sous la pluie la mort de son collègue, belle idée sur le papier qui ne tient pas à l'écran car pas assez opératique pour lui éviter de se casser la gueule. N'en reste pas moins de sacrés beaux moments de pur cinéma illustrant la plongée aux enfers d'un flic torturé.
LADY JANE
Réalisateur : Robert Guédiguian
Scénario : Robert Guédiguian & Jean-Louis Milesi
Production : Robert Guédiguian
Photo : Pierre Milon
Montage : Bernard Sasia
Origine : France
Durée : 1h44
Sortie française : 9 avril 2008
MR 73
Réalisateur : Olivier Marchal
Scénario : Olivier Marchal
Production : Jean-Baptiste Dupont, Cyril Colbeau-Justin
Photo : Denis Rouden
Montage : Raphaëlle Urtin
Bande originale : Bruno Coulais
Origine : France
Durée : 2h04
Sortie française : 12 mars 2008