L'Etrange Histoire De Benjamin Button
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- Critique par Nicolas Bonci le 11 février 2009
Tyler d'aller mieux
David Fincher vient d'avoir la Carte : quasiment toute la presse adore L'Etrange Histoire De Benjamin Button mais bien peu semble capable d'argumenter son plébiscite.
On lit "grand film" par-ci, on entend "classique instantané" par-là , on apprend que ce "défi technique regorge d'émotion", et patati et patata. Et pas l'ombre d'une proposition argumentative un brin convaincante et concrète sur le pourquoi du comment, sur les raisons de la réussite du dernier opus de David Fincher. Vous me direz, la presse n'a pas pour habitude d'étayer ses divers points de vue par des éléments tangibles et réfléchis. Certes. Toutefois, il y a fort à parier que si nos charmants confrères pêchent à trouver les mots pour saluer la nouvelle performance de l'auteur de Fight Club c'est vraisemblablement qu'ils étaient plus obnubilés par l'idée que représente ce projet à Oscars d'un réalisateur officiellement décrété "mature" depuis le précédent Zodiac que par le film lui-même. C'est qu'il ne faudrait pas passer à côté du phénomène annoncé de l'année…
Pour tout vous dire je suis presque jaloux d'eux, car pour la première fois, me voilà déçu par Fincher. Ho oui j'aurai aimé versé ma larme finale, j'aurai aimé être pris de vertiges métaphysiques, j'aurai tant voulu clamer une fois de plus au monde combien Fincher est un immense cinéaste (même lorsqu'il pondait films immatures sur films immatures). Or la vie à l'envers de ce Benjamin Button souffre précisément de la froideur des projets trop conçus, trop préparés, et manque singulièrement de spontanéité. Un manque que le traitement choisi pour adapter la nouvelle de Fitzgerald ne pouvait de toute manière jamais combler.
Car le scripte rendu par Eric Roth sent la fainéantise à chaque scène et se révèle vraiment trop pauvre pour emporter l'adhésion sur les 150 minutes du métrage. Evidemment le sujet appelait le drame romanesque, la mise en perspective d'une relation amoureuse à travers les époques et une succession de péripéties afin de matérialiser à l'image les décennies traversées par un personnage chaque fois plus jeune. Mais fallait-il pour autant en faire un dérivé de Forrest Gump (adapté pour l'écran par… Eric Roth) ? De la mère dingue de son fils au capitaine de bateau paternel en passant par la réussite industrielle d'un héros quelque peu dépassé et l'inévitable guerre traversée sans encombre, les points communs s'empilent. Et lassent. Car une telle approche sied pour une fable candide, moins pour une histoire sujette à moult questionnements sur le sens de la vie, sur les dégâts du temps et les opportunités offertes par le destin ; tout ceci est d'ailleurs tellement peu traité que les auteurs se sentent obligés de les résumer brusquement à travers la séquence de l'accident de voiture, forçant l'exercice du "et si ?" sur deux minutes quand on aurait aimé qu'il soit prégnant sur deux heures. Même le procédé du flashback conté par un perso sur son lit de mort plombe le rythme du film plus qu'il n'enrichit sa dramaturgie.
A ce traitement tout en sage mièvrerie s'ajoute un inconvénient de taille : Benjamin Button sort plus d'un an après un chef-d'œuvre abordant un sujet similaire, L'Homme Sans Age de Coppola. Inutile de dire qu'entre le "Ça fait quoi de rajeunir ? Je ne sais pas, file-moi les clefs de la moto je vais en Inde" du couple Button et les études sur le protolangage du personnage prométhéen de Coppola à travers les transes régressives de la réincarnation de son amour perdu, y a comme une division d'écart. La très belle mise en image de Fincher parvient rarement à transcender une mécanique galvaudée pour hisser son métrage au niveau, notamment parce que la mise en scène de l'ex-clippeur a pour particularité de s'adapter aux caractères de ses personnages. Benjamin Button étant tout ce qu'il y a de plus fade (assez gênant lorsqu'on est censé s'intéresser à la vie d'un gus), Fincher a toutes les peines du monde à trouver un biais intéressant afin d'établir un projet de mise en scène autour de lui. Alors il rappelle certaines de ses figures, comme l'intégration de portes dans son découpage (nombre de scènes clés se jouent sur des pas de portes ou entre deux pièces), ou l'intérieur évolutif (depuis Se7en on sait que les décors chez Fincher reflètent les personnalités des personnages) : ici la séquence en jump cuts dans laquelle Brad Pitt et Cate Blanchett aménagent leur maison fait écho au fameux plan Ikea du Narrateur de Fight Club. Si pour ce dernier la scène symbolisait sa passivité, victime qu'il était d'objets s'invitant presque malgré lui dans un environnement en mouvement (panoramique), dans Benjamin Button les héros sont actifs et la caméra immobile, symbolisant ainsi le point de convergence de leur existence, la période où tout semble s'arrêter pour eux. C'est d'ailleurs à partir de ce moment que le film commence à gagner en consistance, lorsque le fadasse Button assume son statut et disparaît peu à peu, laissant le personnage de Cate Blanchett synthétiser à elle seule les conséquences d'un amour à travers les générations. Jusqu'à ce que son amant réapparaisse comme un spectre, lors d'une scène absolument superbe et envoûtante, autant pour ce qu'elle représente au sein de la diégèse que par ce qu'elle nous révèle sur les possibilités nouvelles du cinéma : rarement effet spécial aura été aussi vertigineux et troublant. Et Fincher de s'en servir à merveilleuse, alternant flou artistique et contre-jour crépusculaire, laissant le spectateur aussi hébété que Blanchett.
Quand on voit ce qu'arrive à produire Fincher comme réactions avec ce genre de scène, où quatre acteurs se regardent dans une pièce vide, on peut vraiment regretter toute la partie gumpienne de ce Benjamin Button et son traitement beaucoup trop consensuel pour satisfaire ceux qui savent de quoi il est capable.
THE CURIOUS CASE OF BENJAMIN BUTTON
Réalisateur : David Fincher
Scénario : Eric Roth & Robin Swicord d'après la nouvelle de F. Scott Fitzgerald
Production : Frank Marshall, Kathleen Kennedy, Cean Chaffin...
Photo : Claudio Miranda
Montage : Kirk Baxter & Angus Wall
Bande originale : Alexandre Desplat
Origine : USA
Durée : 2h46
Sortie française : 4 février 2009