Green Zone
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- Critique par Nicolas Zugasti le 16 avril 2010
Au pays de Candide
Thriller politique d’action, Green Zone, s’il est moins trépidant que l’excellent La Vengeance Dans La Peau, demeure captivant malgré la mise en scène de faits connus, et se montre passionnant dans la reprise et le développement des motifs parcourant l’œuvre de Paul Greengrass depuis Bloody Sunday.
Troisième collaboration entre Greengrass et son acteur fétiche Matt Damon, Green Zone semble donner à voir une nouvelle incarnation de Jason Bourne cette fois-ci auréolé d’une nouvelle virginité, comme si l’ex-agent secret, après avoir fait la lumière sur son traumatisant passé, était sorti des eaux saumâtres de l’Hudson pour s’engager dans l’armée et participer activement en 2003 à la recherche de preuves accablant Saddam Hussein et justifiant l’intervention américaine en Irak. Le sous-officier Roy Miller est à la tête d’une unité chargée de retrouver les fameuses armes de destruction massive (ADM) développées par le régime dictatorial. Mais à mesure que la sécurisation des terroristes incriminés entraîne des pertes humaines et révèle surtout leur vacuité (en lieu et place des ADM, une usine fabriquant du papier toilette), Miller va remettre en cause les informations impliquant leurs interventions et commencer à penser qu’on les envoie chercher de bien fumeuses ADM.
Des doutes étayés par un agent de la C.I.A, Martin Brown (Brendan Gleeson) et qui vont donc persuader le militaire de passer outre son devoir de réserve pour partir en quête de la vérité. Il sera aidé dans son entreprise par Freddy (Khalid Abdalla qui crève une nouvelle fois l’écran après son rôle de preneur d’otages du Vol 93), un citoyen irakien très concerné par le devenir de son pays et qui entend bien faire prévaloir son avis sur la question. C’est véritablement la prise en compte inédite de ce point de vue généralement oublié, sinon occulté, qui donne tout son sel à une intrigue assez classiques de manœuvres politiques. Un point de vue qui permettra de mettre en perspective les manipulations de l’administrateur Poundstone (Greg Kinear qui retrouve ici son compère du délire des frères Farelly Deux En Un), les carences journalistiques permettant de fait de couvrir les mensonges d’état ou les actions menées sur le terrain hors de la green zone. Alors que tout le monde court après le général AL-Rawi, personnage clé quant à l’existence des ADM ou l’orientation politique du pays, sans prendre en compte les désirs de la population, tout peut se terminer dans une impasse, comme y seront littéralement confrontés Miller et Poundstone en fin de métrage.
Green Zone est un film d’action renouant dans sa dernière partie avec le style bournien (corps à corps en plan serrés surdécoupés, poursuite dans les ruelles de la ville) mais en conserve les limites en terme de localisation spatiale notamment lors de la poursuite finale. La confusion domine (traduisant là encore l’état d’esprit du héros Roy Miller) malgré le recours à un repère visuel et sonore (l’hélicoptère enregistrant et traquant depuis le ciel les déplacements des belligérants) pour situer chaque partie, faisant baisser l’excitation et la tension par manque d’une totale compréhension. Sans atteindre le niveau d’implication du remarquable Démineurs, le film demeure haletant alors qu’il n’y a aucune révélation fracassante à attendre.
Mais ce qui importe est de plonger au cœur du réel, les spectateurs mais aussi les résidents de l’opulente green zone. C’est la fonction de Miller, agent du réel pénétrant les lieux où évoluent les représentants des officines gouvernementales pour les confronter aux conséquences de leurs décisions. Voir cette scène où Miller en uniforme, couvert de sable et de poussière, rencontre l’agent de la C.I.A près d’une piscine à l’intérieur de cet oasis anachronique et choquant. De même, l’enjeu de cette interaction entre deux univers distincts et parfaitement antinomiques (même leur régime d’images diffèrent puisque les décadrages, zooms et autres mouvements rapides d’appareils seront mis en sourdine) est de confronter parallèlement l’alter-égo du réalisateur (et donc celui du spectateur) à une certaine réalité politique. Avec son style inimitable faisant coller sa caméra aux basques de ses personnages jusqu’à s’y substituer par moments, Greengrass oblige à encaisser presque frontalement (on est pas loin d’un regard caméra) les vérités assenées par Freddy, le "Democracy is messy" de Poundstone ou le "Don’t be naïve" de Brown. La transformation progressive de Miller gagnant en lucidité est une manière de signifier, plus explicitement encore que Bloody Sunday, la fin d’un certain idéalisme dont le candide soldat était jusqu’à présent le parangon.
A l’instar de ses précédentes réalisations, Greengrass n’esthétise pas à outrance la violence mais en interroge intelligemment le recours même au sein de fictions plus récréatives comme le diptyque bournien (l’hésitation à tuer un autre super agent en qui il reconnaît un frère d’arme lobotomisé) ou le présent métrage. Les effets de réel imprimés à de spectaculaires scènes d’actions permettent en sus de traquer une part d’humanité oubliée consciemment ou par les circonstances. Mais plus important, Greengrass affirme et affine film après film que la moindre action est soumise d’abord à l’analyse et au bon agencement des informations collectées, qu’elles soient visuelles ou verbales, le morcellement de l’action étant concommitant du morcellement de l’information reçue et perçue. Bloody Sunday, Vol 93, La Mort Dans La Peau, La Vengeance Dans La Peau, Green Zone, les héros sont plongés dans un véritable chaos guerrier qui est une répercussion du chaos informationnel qu’il faudra en priorité réorganiser pour pouvoir agir le plus efficacement possible.
Et le réalisateur de stigmatiser subtilement l’information médiatique puisqu’en amplifiant la distorsion, elle devient problématique. Dans Bloody Sunday, c’était les commandos paras ayant ouvert le feu sur les manifestants qui donnent les premiers leur version des faits aux caméras de télé, dans Vol 93, c’est le flash de CNN qui donne l’élément manquant à tous (le crash d’un avion dans une des tours jumelles) et pourtant inexact et incomplet (on annonce que c’est un appareil de type Cessna) et dans Green Zone, l’intervention télévisée de Bush Junior deopuis un porte-avions déclarant la fin des hostilités (donc la victoire américaine) provoque des éclats de joie dans la cité d’émeraude mais se trouve immédiatement invalidée par les plans suivants et les propos de Al-Rawi signifiant à Miller au contraire que tout ne fait que commencer. Greengrass enfin met également à jour les graves manquements journalistiques et y apporte même une alternative par le biais de son héros qui veut cette fois-ci raconter convenablement l’Histoire.
Le réalisateur a beau se défendre d’avoir voulu faire un film à charge, si Green Zone se montre un poil décevant en termes d’action, il se double d’une formidable dimension politique ne se contentant pas d’enfoncer des portes ouvertes.
GREEN ZONE
Réalisateur : Paul Greengrass
Scénario : Brian Helgeland & Rajiv Chandrasekaran
Producteurs : Lloyd Levin, Christopher Rouse, Eric Fellner, Debra Hayward …
Photo : Barry Ackroyd
Montage : Christopher ROuse
Bande originale  : John Powell
Origine : France / Etats-Unis / Espagne / Angleterre
Durée : 1h55
Sortie française : 14 avril 2010