Coraline
Le meilleur des deux mondes
Neuf ans. C’est le temps qu’il aura fallu pour enfin voir le nouveau film du réalisateur de L’Etrange Noël De Mr Jack.
Après avoir fait patienter les fans avec la ressortie 3D l’an dernier de son chef-d’œuvre de 1993, Henry Selick (quoi ? C’est pas Tim Burton qui a réalisé L’Etrange Noël ?) revient enfin à la réalisation et à l’animation pure, après l’échec du sympathique mais bancal Monkeybone.
Et pour son grand retour, qu’il aura bien eu du mal à réaliser, il choisit de s’atteler à adapter un livre de Neil Gaiman, l’auteur à l’œuvre riche et considérée comme culte pour beaucoup. Parfois auteur de BD comme Sandman ou de livres tels que Stardust ou Coraline, Gaiman est aussi scénariste, que ce soit d’œuvres originales comme Mirrormask, ou d’adaptations personnelles (l’horrible Stardust de Matthew Vaughn) ou pas (La Légende De Beowulf, co-écrit avec Roger Avary). On le retrouve donc, très naturellement à l’écriture de l’adaptation de Coraline, aux côtés du père Selick.
C’est avec le studio LAIKA que Selick s’est associé pour Coraline, après les avoir rejoints pour superviser les jolies animations sous-marines de La Vie Aquatique de Wes Anderson ainsi que pour réaliser Moongirl, court métrage récompensé dans plusieurs festivals.
Après ces concluants essais, LAIKA et Selick se sont donc attelés à ce projet complexe et ambitieux, car aussi réalisé pour sortir en 3D. Evidemment, il faudra se battre pour le voir dans ces conditions-là en France, mais le film montre encore une fois la volonté des créateurs de vouloir offrir un spectacle visuel total. Malheureusement, le sympathique festival Jules Verne a diffusé le film dans une superbe copie numérique, mais non en 3D. Et tous les impatients, lassés de voir le film repoussé en France (il était censé sortir en avril dernier), ont dû se tourner vers l’Albanie (le pays de Christine) où le film est visible depuis quelques temps, en version "simple" bien évidemment. On comprend que les coûts de l’équipement 3D sont importants, mais vu l’offre qui se multiplie, il va peut être falloir penser à se bouger les fesses les enfants.
Bref, revenons à Coraline, vous savez, le film qui met à l’amende Les Noces Funèbres, œuvre bien pauvre, d’un certain Tim B., réalisateur désireux de retrouver la gloire d’un film réalisé en 1993 et parti tourner des nanars remplis de plans de grue.
Pour certains (voir le blog de Rafik Djoumi), Selick et Burton ne seraient pas en extrêmement bons termes, malgré Selick qui s’est dit partant pour donner une suite à L’Etrange Noël. Du coup, difficile de savoir réellement la teneur ironique et piquante de Coraline, mais il est quand même évident que Selick reste attaché à un univers macabre proche de celui du réalisateur de Beetlejuice, tout en s’en démarquant de manière claire, de par ses choix esthétiques bien marqués. Nombreux donc seront ceux qui penseront que Selick livre une œuvre trop "burtonienne", trop proche de l’univers du bonhomme, et il se peut que Coraline en souffre. C’est pour cela donc qu’il faut faire preuve d’un certain recul pour apprécier le film, et bien se dire que Selick et Gaiman sont là , sachant très bien ce qu’ils font, avec leurs univers et leurs visions des choses.
Visuellement, le film est vraiment magnifique. La technologie est parfaitement utilisée, l’animation d’une fluidité incroyable, et la projection numérique rend vraiment justice aux idées, aux décors somptueux et à la lumière époustouflante. Difficile donc de ne pas rentrer totalement dans le voyage de Coraline, et je parie que l’immersion est décuplée en 3D.
Le délire est donc total, d'autant plus que le scénario des compères est très bien ficelé, permettant une progression assez intelligente dans la découverte du monde parallèle avec une bonne installation du récit et des personnages bien écrits. L’interactivité entre les deux mondes fonctionne, les parents sont excellents, autant dans leur apparence à la fois rassurante et effrayante, que dans leur comportement, assez bien écrit pour rappeler à tous certains sentiments d’enfance et certaines peurs liées à la figure autoritaire et pénible qu’ils ont pu être. Cette ambiguïté inhérente au film est sûrement sa grande réussite, tant il réussit à traiter son sujet sans tomber dans le symbolisme lourdingue ni dans la démonstration morale comme trop des films "pour enfants" ont tendance à faire. Le métrage fonctionne totalement à ce niveau-là , se permettant d’offrir un voyage total au spectateur.
Mais c’est justement là qu’il pêche, car à trop vouloir donner, Coraline se perd dans sa narration et les enjeux ont du mal à arriver à un dénouement clair. Pendant une bonne heure, on est dans le voyage et la découverte des deux mondes, avec leur brochette de personnages loufoques, leurs décors somptueux, leurs idées visuelles débordantes. Et puis, d’un coup, un conflit est introduit, et dès ce moment, le film peine à se terminer et à fermer les axes narratifs développés auparavant. C’est dommageable car le déséquilibre est tel qu’on sort un peu du film, et le charme, jusqu’alors total, disparaît peu à peu pour arriver à un final légèrement plat et bien en deçà du reste du métrage.
Il est dommage de terminer sur cette petite touche négative, car durant une heure, Selick et Gaiman avaient réussi à livrer une œuvre attachante et sublime, portée par l’excellente partition d’un Bruno Coulais en grande forme qui réussit à livrer un score parfaitement adapté au délire, tout en y apportant quelque chose de très décalé et vraiment réussi. Mais encore une fois, il va falloir supporter les rapprochements incessants avec un certain Danny E.
Pour conclure, difficile donc de ne pas vous conseiller d’aller voir Coraline, en 3D si possible, qui, malgré des petits écarts scénaristiques, reste un périple merveilleux devant lequel les grands enfants que vous êtes ne pourront pas s’empêcher de repenser à ce que vous imaginiez ces longues journées d’été quand vous vous emmerdiez chez mamie et que vos parents vous pompaient légèrement l’air.
CORALINE
Réalisateur : Henry Selick
Scénario : Henry Selick & Neil Gaiman d'après son livre
Production : Claire Jennings, Mary Sandell, Henry Selick, Bill Mechanic…
Photo : Pete Kozachik
Montage : Christopher Murrie & Ronald Sanders
Bande originale : Bruno Coulais & They Might Be Giants
Origine : USA
Durée : 1h40
Sortie française : 10 juin 2009