Tim Burton - 1ère partie

Gothikart

Tim Burton, assis.

Il est des artistes dont il serait bien vain de rédiger la biographie. Non pas parce que leur vie est aussi vide que peut l’être le cinéma d’Eric Rohmer. Pas non plus parce que leur parcours personnel serait aussi mystérieux qu’un David Lynch en grande forme.


Non. S’il ne sert parfois à rien de s’étendre à l’infini sur l’enfance ou l’adolescence de certains auteurs, c’est tout simplement que leur œuvre parlent très bien pour eux-mêmes, au point que leur filmographie permet de dessiner leurs grandes évolutions de leur vie privée. Tim Burton est de ceux-là.  

En effet, difficile de ne pas lire en filigrane de sa carrière la reconnaissance progressive d’un poète peaufinant son style jusqu’à en faire une marque de fabrique et finissant par entrer dans le moule de la normalité en fondant une jolie petite famille. Après avoir été rejeté, le marginal de Burbank aura été accepté, encensé, digéré. Après avoir perverti l’imagerie Disney avec L’Etrange Noël De Mr Jack, il allait lui-même livrer du Disney sans risque avec Les Noces Funèbres. Et après avoir critiqué les petites banlieues américaines dans Edward Aux Mains D’Argent, il allait en faire l’éloge dans Big Fish.  

Réussite critique, publique, professionnelle et privée semblaient difficilement compatibles avec les pulsions solitaires et macabres du bonhomme. Certains fans y verront là une marque de reniement. De nouveaux fans apparaîtront pour encenser un auteur sur lequel il n’avait jamais manqué de cracher auparavant. Une troisième voie (dont je fais parti) aurait tendance à penser que cette évolution était inévitable et même prévisible puisque déjà en germe dans les premières œuvres du cinéastes. Et à défaut d’être franchement bons, ces derniers métrages ont le mérite d’être sans doute plus ambiguës et honnêtes qu’il n’y paraissent. Explications. 

Grossièrement, on pourra distinguer quatre phases dans le filmographie de Tim Burton. La première débute avec Vincent et va jusqu’au triomphe du premier épisode de Batman. C’est la période pendant laquelle le réalisateur doit faire ses preuves. Il est au service des producteurs et fait en sorte de gagner sa liberté artistique. Ses deux courts-métrages sont purement et simplement privés de diffusion, Pee Wee est tout entier dévolu à sa star mais laisse déjà apparaître derrière les couleurs bariolées un monde macabres où les symboles de l’enfance sont pervertis, Beetlejuice prolonge cette thématique avec une séparation entre le monde des vivant et celui nettement plus drôles des morts, Batman est un produit blindé d’impératifs commerciaux mais transcendé par une esthétique baroque et un Joker faisant le lien avec les premiers films de Burton. Trois longs-métrages où le rire synonyme de divertissement familial devient progressivement (très) inquiétant jusqu’à basculer dans la folie. Trois longs-métrages allant du petit succès limité aux frontières américaine jusqu’au carton planétaire.

Beetlejuice
 
Batman
 

Commence alors pour Burton ce qui peut être considérée comme la meilleure période sa carrière. Ayant obtenu la confiance des investisseurs, Burton a carte blanche et peut enfin revendiquer pleinement son univers fascinant, baigné de noir et de bleu. Avec Edward Aux Mains D’Argent, il livre un autoportrait bouleversant dans lequel éclate son rejet de l’American Way of Life en même temps qu’il revendique pleinement son statut de freak mélancolique. Dans Batman Returns, c’est l’univers du Dark Knight qui est gangrené par des désirs sadomasochistes, le "héros" étant traité au même niveau que les "méchants" dans une lutte sans merci entre désir de normalité et pulsions animales. Un électrochoc si tétanisant que le grand public venu chercher un aimable blockbuster estival tirera la gueule. Viendra ensuite l’Etrange Noël De Mr Jack, chef-d’œuvre d’animation dans lequel Burton confesse son désir d’appartenir au monde sucré de Noël mais, ne pouvant le comprendre, se résigne à demeurer dans le délire macabre dans lequel il (ou plutôt son double de fiction) s’ennuie pourtant. A ces trois films parfaits, indispensables et uniques vient s’ajouter une quatrième perle : Ed Wood, autobiographie à peine voilée d’un Burton clamant son amour des bandes fantastiques (surtout B et Z) et retraçant le combat d’un homme contre une industrie cinématographique castrant les auteurs. 

Avec cette œuvre de transition (Burton filme Ed Wood à la manière des vieux films en noir et blanc) viendra la reconnaissance critique. Avec dix ans de retard, certes… C’est alors que débute la troisième phase de sa carrière, celle où l’auteur se contente de devenir illustrateur. Mars Attacks!, Sleepy Hollow et La Planète Des Singes : trois grands spectacles qui recréent avec les outils modernes la magie des spectacles d’autrefois (invasion martienne ringarde, hommage à la Hammer, classique de la SF) mais qui sortent du lot par l’incroyable capacité de Burton à injecter une thématique subversive et très personnelle dans des films grands publics. Cette fois, le public est sous le charme. Et c’est un peu le drame.  

Burton est accepté par tous désormais. On l’aime pour ses belles images surtout. Burton quitte sa muse Lisa Marie et tombe sous le charme d’Helena Bonham Carter. Son père décède, il a un enfant. Le génie torturé est rentré dans le rang. Ces bouleversements se retrouvent dans Big Fish, œuvre qui amorce une nouvelle thématique sur la transmission de l’imaginaire, le tout enrobé dans un onirisme de téléfilm émerveillant ses nouveaux fans. Plus fin dans son propos et plus intéressant dans son esthétique pop, Charlie Et La Chocolaterie confirme néanmoins que l’on se promène désormais dans l’univers du cinéaste comme s’il s’agissait d’un parc d’attraction. D’où une absence de risques et d’audaces narratives (les enjeux dramatiques sont pour ainsi dire inexistants) qui culminera avec Les Noces Funèbres, remake inoffensif de L’Etrange Noël dans lequel le héros choisira  cette fois de rester dans le monde des vivants. Signe du renoncement ultime de l’artiste ? Ce serait oublier un peu vite que ce monde des vivants est décrit comme profondément terne.  

De là à y voir l’aveu d’un Burton s’ennuyant de cette normalité enfin acquise, il n’y a qu’un pas que Sweeney Todd franchit allègrement. Dans ce dernier film en date, le cinéaste semble vouloir redevenir celui qu’il était autrefois, éliminant les fantasmes sucrés d’un Big Fish avec sa compagne pour revêtir à nouveau la panoplie d’Edward Aux Mains D’Argent (voir la filiation assumée avec les rasoirs). La cinquième phase de sa carrière viendrait-elle de débuter ?   


1. COMPOSER AVEC LE SYSTEME


Vincent 
Quand on revoit les deux premiers courts-métrages de Burton, on comprend d’autant mieux comment un homme qui a tant critiqué les banlieues bourgeoises dans Edward Aux Mains D’Argent ait pu en faire ensuite une apologie avec Big Fish (mais en était-ce vraiment une ? Suspens !). Intéressons-nous d’abord à sa première réalisation en solo : la petite perle d’animation qu’est Vincent. 

Vncent
Enfant, Burton rêvait d'être Vincent Price. Ma voisine, elle rêve d'appartenir au Tokyo Hotel. Gothique quoi.


Tim Burton est né le 25 août 1958 dans la petite ville de Burbank en Californie. Il a grandi dans une banlieue typique américaine, avec son papa, sa maman et un frère. Cliché. Aseptisation. Routine. Burton est mal dans sa peau et trompe son ennuie en plongeant dans les films de série B (King Kong, Gozilla, Dracula…) et la littérature (les contes du docteur Seuss, la poésie d’Edgar Poe). Pas très loin de là se trouvent Los Angeles et les studios mythiques de Disney et de la Warner. Burton est introverti. Burton rêve d’évasion. Il passe les classes sans grand intérêt, préférant griffonner des personnages étranges sur ses carnets de croquis et réaliser des petits films en Super 8 avec ses amis. En 1976, il est admis au California Institute of the Arts, fondé par Walt Disney, et y apprend les bases de l’animation. Trois ans plus tard, il entre aux studios Disney et œuvre sur Rox & Rouky. Une expérience douloureuse pour lui car il ne supporte par de dessiner des gentils animaux. Son style macabre est sévèrement critiqué par les grandes pontes qui souhaitent quelque chose de plus lisse (ironie du sort : Rox & Rouky est sûrement un des dessins animés les plus pessimiste du studio). Burton accueille donc le projet de Taram Et Le Chaudron Magique comme une bénédiction quand il est engagé comme artiste concepteur mais là encore, ses propositions sont jugées trop bizarres (ironie du sort : blablabla). 

Passablement écœuré par l'esprit bien-pensant régissant la firme de Mickey, il se lance dans la conception d’un court-métrage basé sur un poème pour enfants qu’il a écrit. L’histoire est celle d’un jeune garçon de sept ans passablement perturbé, Vincent Malloy, qui fuit la réalité en jouant à Vincent Price. Fantasmes macabres, noir et blanc dépressif… L’idée a tout pour renforcer l’image de marginal que Burton a au sein de l’équipe d’animateur mais elle suscite cependant la curiosité du vice-président du studio qui voit dans le choix de l’animation (la stop-motion qui sera employée plus tard sur L’Etrange Noël De Monsieur Jack) une expérience intéressante. Le jeune dessinateur se voit allouer 60 000 dollars de budget ainsi qu’une carte blanche lui permettant de s’entourer avec qui bon lui semble. Burton engage donc Rick Heinrichs pour surveiller la production (il retravaillera avec lui sur la quasi totalité de ses films jusqu’à La Planète Des Singes) et ose approcher Vincent Price, son idole de jeunesse auquel il rend ici hommage, pour lui confier la voix du narrateur. Celui-ci accepte et nouera dès lors une profonde amitié avec le génie de Burbanks, interprétant même plus tard le rôle du Créateur dans Edward Aux Mains D’Argent. Autant dire que la participation du François Delambre de La Mouche Noire transcende littéralement le premier essai (et premier coup de maître) de Burton. Les magnifiques alexandrins sont déclamés avec une prestance d’outre-tombe, renforçant la poésie macabre des images. L’émotion est d’autant plus forte qu’on sent à chaque instant que le réalisateur a mis toute son âme dans le récit.  

Vincent
 

En six petites minutes lugubres, Burton paye son tribu à toutes les œuvres qui ont bercés son enfance. L’animation en stop-motion permet de reproduire les terrifiants jeux d’ombres de l’expressionnisme allemand, les pensées qui hantent le jeune garçon (plonger sa tante dans la cire chaude, transformer son chien en zombi) trouvent leurs racines dans la figure du savant fou hantant les films d’horreur, la folie dans laquelle s’enfonce le garçon rend un vibrant hommage aux écrits d’Edgar Poe… L’auteur dévoile tout son imaginaire en une poignée d’images fortes, du brouillard londonien d’où pourrait surgir Jack l’Eventreur à la toile de l’inquiétante maîtresse probablement enterrée dans le jardin en passant par l’escalier tortueux menant à un funeste destin… 

Mettant constamment la technique (impressionnante) au service de l’histoire, Burton livre ici son œuvre la plus personnelle avec Edward Aux Mains D’Argent, tragique autoportrait d’un enfant si désespéré par la banalité de son quotidien qu’il a préféré devenir un des monstres des œuvres qu’il aimait, troquant les quatre murs plats de sa chambre contre un monde torturé et sinueux, furieusement gothique. Il suffit de se délecter des quelques minutes de Vincent pour comprendre d’où l’auteur tient sa réputation de dark poète. Le plan final est un des moment les plus foudroyants de la filmographie de Burton, véritable ode funèbre à l’artiste perdu à jamais dans les méandres de son esprit tordu.    


Frankenweenie
S’il va de soit que Vincent est un pur joyaux d’animation annonçant la naissance d’un génie du 7ème Art, on peut aisément imaginer les visages effarés des gros boss de Disney en voyant l’œuvre difforme qu’ils avaient laissée voir le jour ! Jugé trop glauque, trop pessimiste et trop profond pour les enfants, le premier travail de Burton ne sera jamais distribué. Pourtant, l’essai fait le tour des festival et décroche la timbale au Festival International du Film d’Animation d’Annecy. Et même si le monstre ne cadre pas avec le cahier des charges du studio, on s’accorde à reconnaître que le responsable possède un talent évident.  

Tim Burton se voit alors confier la réalisation de Hansel Et Gretel, un téléfilm tout public de quarante-cinq minutes tourné exclusivement avec des acteurs asiatiques. Burton exécute sa commande sans rechigner et Disney lui offre alors les rênes d’un nouveau court-métrage tourné cette fois-ci en live. Budget plus lourd (un million de dollars), logistique conséquente, acteurs populaires à diriger (Barrett Oliver vient de cartonner avec L’Histoire Sans Fin, Shelley Duvall a été propulsée sur le devant de la scène grâce à Shining - on croise même Sofia Coppola en jeune voisine !) et script signé Lenny Ripp imposé. Ça s’appelle Frankenweenie et c’est l’histoire d’un petit garçon, Victor Frankenstein, qui voit son chien Sparky mourir, renversé par une voiture. Accablé par le chagrin, Victor décide de ressusciter son compagnon canin avec une invention bizarre et un coup de pouce de la foudre. Il y parvient mais la bête étant morte, elle attise le rejet et la haine des habitants de la banlieue. A première vue, Frankenweenie possède tous les ingrédients du bon film burtonnien. Le pitch de départ rend un joli hommage à l’adaptation que James Whale avait fait du mythe de Frankenstein, tout en ajustant soigneusement l’ensemble pour les enfants (l’accoutrement du chien avec ses vis dans le cou, l’usage de la foudre, le final). On trouve également une esthétique noir et blanc efficace renouant avec l’esprit de la Hammer mais aussi avec Vincent dans lequel le héros transformait déjà son chien en zombi.   

Frankenweenie
Le début de Frankenweenie : Burton jouait déjà à Ed Wood


Avec le recul, on s’aperçoit également que Frankenweenie préfigure une bonne partie de la carrière future de Tim Burton. Avec le jeune Victor marginal au milieu d’une Amérique WASP à mourir d’ennuie, on retrouve déjà le mal être du réalisateur dans sa jeunesse. Avec sa critique en pointillé de l’incompréhension des habitants de banlieue, c’est au brouillon d’Edward Aux Mains D’Argent que l’on assiste, référence on ne peut plus évidente lorsque les citoyens prennent les armes et poursuivent la créature. On retrouve également le fameux moulin en flamme emprunté à James Whale (et qui sera repris à l’identique dans Sleepy Hollow) et la niche du chien sera réutilisée dans L’Etrange Noël De Monsieur Jack (Burton semble avoir une certaine affection pour les clébard fantôme on dirait puisqu’il refera le coup avec Les Noces Funèbres). On ne manquera pas non plus de relever la sympathique séquence d’ouverture hautement autobiographique où le jeune héros met en scène ses propres films de monstres avec les moyens du bord et beaucoup de passion, annonçant déjà la future déclaration d’amour au génie du nul qu’est Ed Wood. Frankenweenie contient aussi des touches personnelles qui participent à son charme, à commencer par ce plan d’illusionniste où la tristesse du héros est révélée par de la pluie sur un carreau avant que l’on s’aperçoive qu’il s’agit en vérité d’un tuyau d’arrosage arrosant une jolie pelouse.  

Frankenweenie
Enfant, Burton voulait jouer les Frankenstein


Malheureusement, en dépit de toute la bonne volonté de l’auteur, de la superbe photographie et de la véritable curiosité que constituent ces vingt-huit minutes thématiquement riches, force est de constater que l’ombre de Disney se fait lourdement sentir d’un bout à l’autre du récit, empêchant systématiquement Frankenweenie de décoller. Le rythme est pour le moins poussif, semblant constamment hésiter entre un développement de long-métrage et le format court. Le démarrage est assez laborieux et une fois l’animal ressuscité, on a un mal fou à saisir où l’auteur souhaite en venir (les enjeux dramatiques sont pour ainsi dire inexistants avant le final). On sent également que tout a été édulcoré pour cadrer avec le jeune public, à commencer par un épilogue insupportable de niaiserie où le clébard zombi rencontre l’amour de sa vie avec une chienne bourgeoise. Un happy end faux-cul qui dévoile avant l’heure les relents réactionnaires d’un Tim Burton cherchant inlassablement à être parfaitement normal (on recense un même écart gênant à la fin de Bettlejuice où la jeune fille gothique devient mystérieusement une petite gamine comme les autres). Derrière la fable amère et l’ode à la différence se profile donc déjà les espoirs d’un homme souhaitant être accepté de tous et qui, le temps passant, rêvera de vivre lui même dans une jolie maison bourgeoise.  

Le plus étonnant est qu’en dépit d’une histoire finalement assez inoffensive et résolument destinée aux kids, Frankenweenie écopera d’une interdiction aux moins de douze ans, poussant les studios Disney à ne pas sortir le film en salle ! Après ce second essai raté, Tim Burton retournera à ses crayons, mettant uniquement en boîte un épisode de la série télé Faerie Tales Theater à la demande de Shelley Duvall (nom de la perle rare : Aladdin And His Wonderful Lamp) en attendant que sa carrière ne bascule pour de bon avec le projet de Pee Wee.     


Pee Wee's Big Adventure 
Affiche Pee Wee Si l’on devait un jour dresser une liste des oeuvres oubliées pour chacun des plus grands réalisateurs du 7ème Art, nul doute que Pee Wee’s Big Adventure occuperait une place de choix ! Eclipsé par les succès de Sleepy Hollow, Batman ou encore Charlie Et La Chocolaterie, ce premier long-métrage de Tim Burton est pourtant une étonnante curiosité, un film de commande transgressé par un jeune auteur désireux de faire ses preuves, une répétition générale avant la révélation Beetlejuice. 

S’il convient de citer Beetlejuice en introduction, c’est parce qu’on retrouve dans Pee Wee un même univers décalé, des accessoires disproportionnés et des visions fantastiques délirantes qui détonnent dans le monde réel. Comme si le réalisateur était armé d’une pipette d’acide dont il aurait éclaboussé la pellicule sporadiquement. Le spectacle familial est rongé par des fourmis rouges. Le monde, joyeux et rassurant de Pee Wee se mue quand on s’y attend le moins en bizarrerie effrayante.
Pee Wee, c’est Paul Reubens, la star comique de l’époque officiant à la télévision et étalant un humour décalé et surréaliste dans une émission pour les kids. Le Dorothée américain en somme. Un petit côté Mister Bean pour l’allure et un comportement d’enfant prisonnier dans un corps d’adulte qui plait au petit mais aussi aux grands. Il y a de l’argent à gagner avec tout ce succès et voilà comment la Warner en vient à justifier la mise en chantier d’un one man show sur grand écran. Reste encore à trouver un jeune réalisateur capable de se fondre dans le travail de commande tout en canalisant et en structurant les délires de Pee Wee Herman. Et pourquoi pas Tim Burton, remarqué par les producteurs pour son court-métrage Frankenweenie ? Sautant sur l’occasion qui lui est offerte, le marginal de Burbanks accepte et, en dépit d’un script intouchable et d’un budget limité, parvient à apposer sa patte au projet. Il faut dire que les univers du réalisateur et du comédien vedette sont bien plus similaires qu’on ne pourrait le croire, rendant la production bien plus agréable et bon enfant que prévu.

Car au fond, qui est Pee Wee ? Un grand fantaisiste qui invente des machines inutiles et rigolotes, qui décore sa maison avec des bibelots improbables, qui se lave les dents avec une brosse géante et qui beurre son pain avec un couteau disproportionné. Pee Wee est un lunatique qui fait ses courses dans un magasin de farces et attrapes et qui consacre un Amour incommensurable à son vélo rouge. Pee Wee est un éternel innocent qui part à la recherche de son vélo volé, croisant au cours de son road movie toute une galerie de marginaux avec lesquels il se lie d’amitié (SDF, taulard en fuite, bikers…). Pee Wee est tout simplement un doux freak comme les affectionne Tim Burton, en perpétuel décalage avec le monde dans lequel il vit.
En dépit d’une esthétique colorée à priori aseptisée et pas très éloignée de l’esprit de Disney, Big Adventure dessine en pointillé les traumatismes de l’enfance que Pee Wee et Burton ont en commun, le vélo incarnant la barrière que le personnage s’est construite pour se protéger du monde extérieur. Des clowns grimaçants et des dinosaures hantent les cauchemar du héros naïf et son périple à travers les USA est loin d’être aussi merveilleux qu’il ne l’est en apparence. Femme fantôme au visage de sorcière (il sera re-employé quinze ans plus tard dans Sleepy Hollow), voisin hypocrite et méchant, enfant caractériel à Hollywood, chiens affamés dans la nuit… Le parcours initiatique n’est pas si lumineux que ça et la fantaisie de Pee Wee devient le seul moyen pour lui de se protéger des évènements extérieurs.  

Ce va et vient constant entre la féerie et la noirceur confère au premier long métrage de Tim Burton un cachet improbable annonçant déjà la folie macabre de Beetlejuice mais aussi les liens étroits qu’entretient le Joker de Batman entre le rire et la mort. Si on voulait résumer l’esprit du film, on pourrait dire que Pee Wee est un Teletubbies qui aurait été sodomisé par le Joker (ou alors l’inverse, c’est pas mal non plus). Forcément, c’est assez barré mais surtout très très drôle. Qu’on ne s’y trompe pas : l’histoire de ce type qui court après son vélo est avant toute chose un grand moment de comédie, certes un peu cliché et limité par un script privilégiant les sketchs interchangeables, mais vraiment savoureux et original. On jongle ainsi entre le cartoon live, le burlesque d’un Buster Keaton, l’absurdité des Monty Python, l’humour noir et la parodie. On ne sait pas trop qui déconne le plus entre Pee Wee et Burton mais ce qui est sûr, c’est que le réalisateur s’est fait plaisir en rendant hommage ses influences cinématographiques, avec pour point culminant une course-poursuite dans les studios de la Warner où s’entrechoquent violemment les beach movies, les comédies musicales, le Père Noël et les kaiju-eiga de la Toho (Godzilla fait une apparitions remarquée et remarquables !). Les séquences oniriques servent également de prétextes pour filmer des monstres en motion capture, comme si Burton nous rappelait qu’en dépit du projet impersonnel, il n’avait pas renoncé à l’âme de Vincent. On notera également que c’est avec ce film que le cinéaste a commencé a constitué la grande équipe qui l’accompagnera tout au long de sa carrière, qu’il s’agisse du monteur Billy Webber, du décorateur Rick Heinrichs et de l’immense compositeur Danny Elfman (qui écrit ici la seconde bande originale de sa vie !).  

En dépit de ses précieuses qualités et de l’existence d’une suite signée Randal Kleiser (Big-Top Pee Wee, 1988), Big Adventure demeure encore aujourd’hui l’œuvre la plus méconnue de Tim Burton, y compris chez ses fans. La raison est simple : quatre ans après le succès du film en salles marquant l’apogée de Paul Reubens, celui-ci fut surpris en train de se masturber dans un cinéma porno, entraînant un immense scandale chez les puritains coincés ainsi que le renvoi pur et simple de l’acteur des plateaux télés. Pas de quoi entacher l’amitié qu’il avait noué avec le grand Tim (il incarnera le père du Pingouin dans Batman Returns). Pas de quoi non plus renier la petite réussite que constitue ce voyage loufoque méritant amplement d’être réhabilité.    


Beetlejuice 
Affiche Beetlejuice Avec ses 41 petits millions de dollars de recette au box-office US, Pee Wee aura au moins servi de petite carte de visite pour un Burton qui pu ainsi trouver les fonds nécessaire afin de se lancer dans la réalisation de Beetlejuice, œuvre elle aussi souvent mise de côté qui s'apparente pourtant à un brouillon remarquable de la suite de la carrière du cinéaste.

En effet, tous les germes du cinéma Burtonien sont présents ici et permettaient déjà à l'époque de cerner la personnalité du maître. Qu'il s'agisse du récit et de sa thématique, de la mise en scène, de la musique ou bien encore des acteurs, Beetlejuice prend des airs de répétition générale avant le grand déchaînement de créativité inaugurer par le premier Batman. L'œuvre de la reconnaissance en somme. En effet, comment ne pas voir dans le personnage de Beetlejuice la folie macabre du Joker de Batman ? Comment ne pas reconnaître la description fantaisiste du monde des morts qui sera développée par la suite dans L'Etrange Noël De Mr Jack (avant d'être repris sans le moindre apport créatif dans Les Noces Funèbres) ? Comment ne pas se rendre compte que la contribution de Danny Elfman à la bande original permet d'apporter une touche de magie noire aux images étranges ? Et comment ne pas admettre qu'avec Beetlejuice, Tim Burton était en train de se forger une famille d'acteurs récurrents pour la suite de sa filmographie.

Beetlejuice
Avant L'Etrange Noël et Les Noces Funèbres, ça déconnait déjà sévère chez les macchabées


Dans le rôle du mort-vivant sous ecstasy, Michael Keaton se déchaîne comme un diable en cabotinant à outrance au point qu'on se demande si c'est bien le même comédien qui sera ensuite figé dans les costumes de Bruce Wayne. Autour de lui, Winona Ryder joue les petites gothiques avant l'heure d'Edward Aux Mains D'Argents (Burton l'a choisie lors des auditions parce qu'elle portait les mêmes vêtements que dans le film), Jeffrey Jones vient faire le bourge coincé (il reviendra ensuite dans Ed Wood et Mars Attacks!) et Catherine O'Hara irradie l'écran avant d'aller donner de la voix dans L'Etrange Noël De Mr Jack.
En dehors de la galaxie du réalisateur, on trouve deux autres révélations pour les rôles principaux : Geena Davis et Alec Baldwin. Loin de l'immense popularité dont ils jouissent à présent, le couple vedette à l'écran parvient à tirer leurs personnages de la niaiserie qui les définie en les rendant immédiatement attachants et surtout, extrêmement hilarants (ils sont complètement à l'ouest du début à la fin).
Si l'on se réfère à l'ensemble de la filmographie de Burton, on comprend aisément ce qui à pu le séduire à ce point dans le scénario de  Warren Skaaren : la mort est traitée comme un univers décalé et rigolard, complètement fou. Ce qui aurait pu n'être qu'un banal récit de maison hantée se mue en festival de l'horreur poétique et loufoque où un jeune couple décédé décide de terrifier les nouveaux habitants en attendant de pénétrer dans le monde des morts.

Beetlejuice
 

Le monde des morts est présenté comme une extension fantastique du système bureaucratique où les suicidaires sont forcés de travailler (le pendu distribue le courrier, celle qui s'est taillée les veines est à l'accueil...), la jeune fille est une grosse dépressive qui prend très à cœur sa lettre d'adieux en vue de son éventuel futur suicide, ses parents sont des gros bourges qui seront possédés jusqu'à danser comme des tarés durant un dîner d'affaire, le couple de fantômes s'éclate à trouver les divers moyens de faire peur aux gens (arrachage de la peau du visage, déformation du corps... Une vraie comédie loufoque évidemment dominée par Beetlejuice qui n'est pas un revenant bien sage mais bien un gros dépravé jurant, fumant et fan de bonnes chairs.
Ne respectant pas grand chose et surtout pas la bienséance, Tim Burton ressemble encore à un jeune gamin s'amusant à tout égratigner. Son film, il l'a un peu construit comme un jeu de massacre, preuve en est avec le parallèle insistant entre le petit village où se situe l'action et sa reproduction sous forme de maquette vers laquelle on sera sans cesse renvoyé. Le générique du film (annonçant celui d'Ed Wood) est une magnifique vue aérienne suivant une route avant que l'on ne s'aperçoive qu'il s'agit d'une miniature sur laquelle se balade une vilaine tarentule ! Une manière efficace de nous prendre la main pour nous plonger dans un univers fantastique en nous rappelant qu'on peut parfaitement rire de la mort. Plus largement, Burton nous présente un monde qu'il affectionne, le sien, rempli de marginaux cherchant leur place dans le monde. En achevant son film par la cohabitation entre la vie et la mort, le réalisateur démontrait déjà sa volonté de ne pas mettre les deux pieds dans un seul univers.

Beetlejuice
 

D'un côté, nous avons le monde de l'art bourgeois et bien-pensant symbolisé par le personnage de Delia Deitz que le film prendra un plaisir à ridiculiser, en montrant que cet art est ennuyeux, prétentieux et surtout étouffant (les immondes sculptures qui emprisonneront réellement l'artiste à l'écran). De l'autre, nous avons l'au-delà empruntant au gothique (les toiles d'araignées, les portes qui grincent, les squelettes) et au baroque (monde de l'illusion, couloir de la mort à l'architecture désaxée) qui est aussi drôle que dangereux. Ce monde étrange, Burton l'affectionne, le connaît bien (Barbara chevauche le serpent) mais ne s'y sent pas totalement chez lui. Il préfère donc un monde alternatif, ni tout blanc ni tout noir, avec une grande maison étrange et ses maquettes où il pourrait côtoyer les vivants et les suicidaires (on est pas si loin de ce que proposera une séquence des Noces Funèbres où les morts remontent à la surface retrouver avec bonheur ceux qu’ils ont laissé).
Bien entendu, Beetlejuice ne pousse pas encore la thématique très loin et tombe parfois dans certaines maladresses malvenues, notamment à la fin quand le personnage de Winona Ryder perd mystérieusement sa marginalité en rentrant de le rang et s'en accommodant même très bien (elle danse avec plaisir, on la comprend vu le morceau qu'elle écoute). Bien entendu, les SFX ont parfois pris de méchants coups de vieux, les trucages à l'ancienne étant certes sympathiques (la rampe/serpent : un régal !) mais parfois très laid comme le monde de sable, véritable carnage esthétique. Le script peine quand à lui à focaliser sa narration sur un personnage précis. Néanmoins, la bonne humeur de l'ensemble couplée aux chansons d'Harry Belafonte (difficile de résister à Day-O et Shake Shale Señora) et au thème musical somptueux de Danny Elfman finisse par nous convaincre qui oui, un artiste venait bien de naître sous nos yeux en 1988.

Ne restait alors plus à Tim Burton qu'à développer son immense potentiel en confirmant les espoirs placés en lui, chose qu'il fit bien sûr dès l'année suivante avec le premier opus de Batman. Et même si Beetlejuice a perdu un peu de son prestige, notamment à cause de la (pas si mal) série dérivée animée, il demeure encore aujourd'hui un merveilleux moyen d'aborder l'ensemble de l'œuvre d'un cinéaste qui n'avait pas fini de nous éblouir.


Batman
Affiche Batman C’est en 1989 que la Warner, soucieuse de lancer une franchise de luxe à succès dans la lignée de Superman, décide de confier à Burton un sérieux dépoussiérage du mythe Batman. Un choix à première vue étrange quand on sait que le cinéaste a déclaré ne pas spécialement apprécier les comics, à l'exception du Batman de Bob Crane. A n’en pas douter, c’est la dimension schizophrène de Bruce Wayne et son caractère antisocial qui ont pu le convaincre de prendre les commandes de cet énorme machine hollywoodienne.  

Une machine tellement énorme que le tournage fut un bras de fer perpétuel entre les producteurs désireux de viser un public large en explosant le box-office et l’artiste tentant d’imposer sa vision gothique. Certains fans décrièrent même à l’époque certains de ses choix, notamment la présence au casting d’un Michael Keaton jugé trop fade. Constamment maintenu sous la pression des financiers et obligé de composer avec un script en perpétuelle évolution (mais que viennent foutre les hommes de mains du Joker en haut de la cathédrale ??), Burton use pourtant d’un stratagème subtil pour faire valoir ses idées : il présente des œuvres qu'il a réalisé en opposant celles dont il a eu le contrôle total et celles où il eut les mains liées par les producteurs. Cela ne lui permettra pas d’échapper à certaines contraintes (la musique de Prince, une Kim Basinger transparente) mais au moins sera-t-il parvenu à imposer sa patte inimitable, transformant un simple film de commande en une remarquable réussite artistique intemporelle. 

Batman
Le Gotham de Burton : quand New York rencontre Fritz Lang


A mille lieux de la ridicule série des années 60 avec Adam West, le Batman de Burton surprend et dérange ! Tout d’abord par son look global très dark. En calquant Gotham sur un New-York dépressif, Burton dresse le tableau d'une société malade où les rayons de soleil ne filtrent jamais. La ville semble figée dans une ambiance mortuaire et fantomatique puisant directement dans les plus grands classiques du 7ème Art. L'irruption dans un restaurant du Joker et de sa bande évoque la troupe d'Alex dans Orange Mécanique, les architectures majestueuses surgissent tout droit du Metropolis de Fritz Lang, le remarquable travail sur la lumière et les ombres tant à rapprocher le Dark Knight de Nosferatu… Le film noir pointe également son nez à plusieurs reprises, notamment lors de la séquence du meurtre du parrain de la mafia ou encore lors de l’assassinat des parents de Bruce (calqué sur les cases de Miller). Des influences parfaitement digérées entraînant immanquablement le film vers une étrangeté propice à un déchaînement de démence anarchique. Le peuple est présenté comme une masse d’idiots prêt à prendre n’importe quel psychopathe pour le Père Noël, la société de consommation devient ouvertement meurtrière, les produits de beauté et le rire ne servent plus que de masques grotesques à la folie pure, les meurtres s’enchaînant dans la joie et la bonne humeur… Burton nous tend le miroir déformant d’un monde moderne ridicule et devenu fou derrière le masque rassurant de la normalité.  

Le combat que se livrent le héros masqué et sa Némésis résume à lui seul cette ambivalence thématique. Introduit par le personnage de Vicky Vale (bombasse superficielle servant néanmoins de référent au spectateur pour introduire les bases de l’univers filmique), Bruce Wayne et son alter ego sont en permanence effacés, comme pour renforcer la marginalité de ce héros en retrait. Ainsi, lors de la réception au début du métrage, on ignore un long moment qui est Wayne alors qu’on est censé être chez lui. De même, quand la journaliste Vicky découvrira le QG secret de l’Homme Chauve-Souris, celui-ci demeurera dans l’ombre. Batman est donc un individu torturé et schizophrène mais il semble paradoxalement transparent, réduit bien souvent à sa plus simple expression iconique, figé dans sa lutte contre le Mal qu'il porte en lui.
A la fin du métrage, face au Joker, l’un reproche à l’autre de l’avoir crée en premier. Le Joker semble donc être le double maléfique de Batman mais l’un et l’autre sont complémentaires et se sont mutuellement donnés vie (l’un en tuant les parents du jeune Bruce, l’autre en poussant l’assassin dans une cuve d’acide). Bruce Wayne est aussi raide et calme que le Joker est extraverti. Tous deux affichent un visage monolithique : un air grave contre un sourire béat. Le Joker serait-il la matérialisation du refoulement de Wayne ? Il y a fort à parier que s’il n’avait pas à combattre inlassablement le Mal, Wayne serait un véritable psychopathe.  

Batman
 
Beetlejuice
Batman et Beetlejuice : deux films dans lesquels Burton fustige l'art prétentieux


Batman est un film à l’image de son héros, tiraillé entre une apparence consensuelle répondant à des impératifs commerciaux et des revendications artistiques morbides propres à son auteur. Une œuvre hybride mais fascinante, Burton étant clairement à l’aise quand il s’agit de pirater une commande à gros budget. "Je fais de l'Art jusqu'à ce que mort s'en suive", clame le Joker. Compte tenu du fait qu'il est la vraie vedette du film, impossible de ne pas associer cette réplique à celle d'un cinéaste désireux de ne pas vendre son intégrité à une opération avant tout commercial.



2. AFFIRMER SA MARGINALITÉ 

Edward Aux Mains D'Argent

Affiche Edward Aux Mains d'Argent Le logo de la Twenty Century Fox apparaît sur l'écran : il est teinté de bleu et un écran de neige semble annoncer un beau conte de Noël. La musique de Danny Elfman monte comme une complainte désespérée et notre cœur fond sur place. Le film n'a même pas encore commencé qu'on est déjà transporté. Le premier plan se révèle enfin : une porte de manoir s'ouvrant sur un abîme de ténèbres. Edward aux mains d'argent est une invitation dans l'esprit de tordu de Tim Burton, un voyage dans un monde étrange et personnel où il pleut des biscuits. Bienvenue dans un chef-d'œuvre.

Suite au triomphe de Batman dans les salles, le cinéaste gothique s'est retrouvé dans une position privilégiée au sein des studios puisqu'il avait toute leur confiance, chacun de ses films s'étant révélé plus que rentables (Batman était à l'époque le plus gros succès de la Warner). L'occasion idéale par conséquent pour ne plus avoir à se réapproprier les scénarii et surtout d'aborder des sujets plus personnels pour ne pas dire autobiographiques. Ainsi, l'histoire d'Edward Aux Mains D'Argent est née d'un dessin réalisé par Tim Burton lorsqu'il était enfant. Un dessin représentant le personnage dans des habits noirs et avec des ciseaux à la place des mains. Un dessin présentant déjà un visage figé sur lequel se lisent l'innocence et la mélancolie. Un dessin à l'image de son auteur et exprimant tout son mal être de l’époque où il vivait à Burbank.

Edward Aux Mains d'Argent
  
L'Etrange Noël de Mr Jack
Dans Edward Aux Mains d'Argent et L'Etrange Noël De Mr Jack, on pénètre chaque fois par une porte vers un univers merveilleux et intemporel. Celui des contes de Burton.


Le quatrième long-métrage du réalisateur nous entraîne dans un quartier typique de l'Amérique profonde avec ses maisons identiques, ses jardins proprets et ses habitants superficiels. Un endroit d'une effarante platitude (le ciel bleu semble écraser les maisons) où les horribles foyers colorés expriment tout le néant créatif des habitants évoluant dans des intérieurs peu meublés et trop grands. C'est dans cet endroit que vit Peg Boggs, une représentante en cosmétique ratée qui décidera un jour de frapper à la porte du château dominant la ville en haut d'une colline. C'est là qu'elle rencontrera Edward, être étrange et solitaire avec des ciseaux à la place des mains, et qu'elle emmènera gentiment avec elle. Joli postulat de départ pour Tim Burton évoquant le droit à la différence en adoptant la forme d'un conte intemporel (aucune date ne vient situer l’action). Comment un être difforme comme Edward va-t-il s'intégrer à une société aussi absurde ? Comment sera-t-il perçu ? Peut-il lui-même la comprendre ?

S'il suscite la curiosité durant les premiers jours, Edward reste avant tout une bête de foire incompatible avec la bêtise du milieu. Tout le monde apprécie Edward parce qu'il est utile et gentil. Il taille les haies, fait du toilettage pour chien et s'improvise même coiffeur. Un bon garçon comme on dit mais chez qui on ne perçoit que le physique monstrueux et le talent créatif. Edward l'a compris et éprouve une incapacité à exprimer son malaise à être montré du doigt comme la créature du jour, notamment lors d'un show télé. Il aimerait être comme tout le monde et pas juste l'être étrange sous les feux des projecteurs. Il refoule ainsi ses sentiments et ne les exprime que dans la solitude, en déchirant le papier de sa chambre tout en se regardant dans le miroir (un moment d'une violence inouïe, peut être le plus éprouvant dans la filmographie de Tim Burton et qui trouvera son penchant féminin dans Batman Returns avec la destruction de l'appartement par Selina). Edward n'est pas idiot et il sait bien que s'il sort de la case dans laquelle on l'a fait entrer, il sera violemment rejeté, ce qui finira par arriver dans le dernier acte du film où, pour avoir oser exprimer son amour envers Kim, on ne verra plus en lui qu'un monstre cruel. Incompris des autres, la différence acclamée sera retournée en peur dès qu'Edward demandera à avoir sa propre identité et non celle qu'on lui a attribuée. Tim Burton revendique donc son droit à la différence tout en revisitant le mythe de La Belle Et La Bête, son film s'achevant de manière tragique, le "monstre" retournant à sa solitude et tuant symboliquement l'incarnation des masses via le personnage de l'ex-copain de Kim.

Edward Aux Mains d'Argent
 

La bête, le film la sublime. Il y a quelque chose de divin chez Edward. Et pour cause : sa demeure se situe entre le Ciel et la Terre. Le Créateur d'Edward est un savant qui voulait fabriquer une machine avec un cœur, une machine capable d'aimer. Cette machine, c'est en quelque sorte le Fils chargé d'apporter la bonne parole chez les hommes, celui destiné à apporter la magie et le rêve dans un monde terriblement hypocrite et méchant. Et c'est ce que fera Edward qui ne se contentera pas seulement de tailler les haies en leur donnant des formes merveilleuses, mais qui apportera également la neige. La créature est un ange élevé dans la morale la plus parfaite des contes mais  condamné à une apparence de mort-vivant parce qu'il n'a jamais été terminé. Une des plus éprouvante séquence du film nous montre l'Inventeur offrir des mains à Edward mais mourir avant de les lui poser. Apparemment emporté par une crise cardiaque, la mise en scène laisse une place à l’imagination, en recourant à des images fortement symboliques. Le regard de Vincent Price n'exprimerait-il pas l'horreur d'avoir crée un être inachevé chargé de le remplacer ? Les ciseaux caressant le visage du créateur ne renvoient-il pas ironiquement à la situation d'un Edward coupés littéralement du reste du monde et du père ?
Ce recours à la symbolique se retrouve clairement dans la distinction entre le monde réel (les villas très terre à terre) et le monde du rêve (le château à l'architecture maladive) et trouve sa plus belle conclusion lorsque Edward prend la place du Dieu Créateur, exprimant sa mélancolie dans des sculptures de glace amenant la neige sur Terre, neige incarnant la fusion entre le réel et l’imaginaire. Edward Aux Mains D'Argent s'impose comme une puissante allégorie sur une humanité condamnée par son incapacité à rêver, où les vrais artistes sont destinés à la solitude et au néant (voir le trou dans le grenier où vit Edward).

Edward Aux Mains d'Argent
Cette photo est dédiée à Rafik Djoumi (si si, il y a du mythe là-dedans !)


Fidèle à ses habitudes, Tim Burton aura pris le risque d'engager des comédiens dans des rôles à contre-emploi, notamment avec Johnny Depp qui deviendra dès lors son alter ego sur pellicule. Dissimulé derrières une tonne de maquillage, contraint d'exprimer les émotions dans le regard et non par le dialogue, le héros de 21 Jump Street (et idole des midinettes) éblouit l'écran et nous fait chavirer. L'alchimie avec Winona Ryder (qui retrouve le cinéaste après Beetlejuice) est d'autant plus forte que les deux acteurs étaient ensemble à l'époque du tournage. Sublimé par la photo bleutée de Stephane Czapskyà la fois intemporelle, magique et glacée ; transcendé par le score enchanteur de Danny Elfman, Edward Aux Mains D'Argent marque l'accomplissement d'un auteur qui continuera d'exorciser ses démons dans une succession de chefs d'œuvres tous plus précieux les uns que les autres.

  
Batman Returns
Affiche Batman Returns Et Batman Returns n’est pas des moindres ! Le succès triomphal du premier opus lui ayant permis d’acquérir une certaine liberté artistiques, Tim Burton a toutes les cartes pour délivrer son monument ultime, nanti d’un budget maousse et d’une plus grande confiance des producteurs et du public envers ses choix créatifs. Et bien qu’il n’ait d’abord pas souhaité rempiler pour cause de mauvais souvenirs sur le tournage précédent, la présence de Catwoman au générique allait le convaincre de renouer avec l’univers du justicier masqué.

Grand bien lui en a pris. Batman Returns est peut être le chef-d'œuvre de sa carrière. Son film le plus gangrené, malade et pervers. Ou comment corrompre une grosse machine Hollywoodienne en la transformant en foire aux monstres violente et anti-familiale. Un coup d'état en somme, et sans conteste une des grosses productions les plus ahurissante de folie qu'on ait jamais vue. Les mains presque libres, Burton fait valoir son regard d’artiste. Exit la bande originale commerciale : le score majestueux de Danny Elfman s'épanouit désormais sur toute la pellicule comme une tâche d’encre. Les décors de Bo Welsh sont quand à eux plus impressionnants et sombres, servis par la photographie de Stephen Czapsky plongeant Gotham sous une couche de neige glacée. En somme, le premier Batman ne fut jamais qu'une répétition générale avant la véritable entrée en piste du cirque que représente Batman Returns. Débarrassée des scories précédents (scénario en réécriture perpétuelle, blondasse de service…), cette suite plonge toujours plus loin dans la folie macabre, vampirisant tous les chapitres du cahier des charges des producteurs. Les scènes d'action sont ainsi expédiées quand tout le monde attendait une débauche d’effets pyrotechniques, les codes du divertissement tout public sont pervertis avec une jouissance absolue (la romance lorgne vers le sadomasochisme, la vision de la famille est d’une impitoyable cruauté) et le casting quatre étoiles ne sert qu’à étaler une galerie de freaks ravagés loin de faire rêver les foules.

Batman Returns
 

Sombre, Batman Returns l'est à plus d'un titre. La lumière du jour n'effleure jamais l'objectif de la caméra. On plonge littéralement dans les ténèbres des tourments des personnages. Sur l'affiche du film, Batman, Catwoman et le Pingouin se tiennent sur la même ligne, entourés d'ombre. Une manière d'annoncer que le héros sera mis au même plan que les méchants, quitte à gommer la mince frontière qui sépare l’homme et le monstre, le bien et le mal. Les trois personnages principaux ne sont-ils pas associés à un animal ? On se souvient dans le premier film du dîner entre Bruce et Vicky. La trop grande table marquait la distanciation que s'imposait Bruce (il n'avait jamais mangé dans ce salon) et le présentait comme un marginal insociable. Ici, cette marginalité s’étend aux trois protagonistes principaux, à commencer par le Pingouin, véritable figure tragique qui, en fin de compte n'est pas foncièrement méchant. Là où le Joker était un véritable tueur avant même sa transformation, les vilains de cette suite sont devenus mauvais après avoir été les rebus de la société. Pingouin n'est jamais qu'un enfant difforme qui fut abandonné par ses parents un soir de Noël et condamné à vivre dans les égouts. En quête de reconnaissance sociale, il est manipulé par un politicien et exercera sa vengeance face à ce monde qui ne le comprend pas. Idem pour Catwoman. Avant d'être la femme/chat redoutable, Selina Kyle est juste une employée vivant dans un monde de poupées, une fille trop gentille dans un monde trop cruel et totalement déconnectée du monde (elle se parle toute seule, y compris sur son répondeur). Ce n'est que dans la mort qu'elle trouvera l'occasion d'assumer ses pulsions les plus refoulées.

Batman Returns
 
Batman Returns
La future Femme-Chat contre son chien de patron. Bienvenue dans un monde animal.


Le plus grand des mérites de Batman Returns vient sans conteste de son refus complet du manichéisme. Même le plus pourri des personnages, Max, est paradoxalement le plus humain, tant dans son apparence que dans son instinct paternel (Burton l’associe néanmoins à un chien lors de la séquence du meurtre de Selina. Plus que jamais, il est question de la dualité qui habite l'être humain. Chacun rêve de normalité, et pourtant, ce monde normatif semble bien plus triste que les ténèbres, en témoignent les égouts du Pingouin peuplés de personnages du cirque, d’animaux de zoo et remplis d’accessoires fantastiques (parapluies fantaisies, canard de bain géant). Les protagonistes sont tous attirés par une vie tranquille qu'ils n'atteindront jamais, étant bien plus à l’aise derrière le masque exprimant leur animalité que dans les habits de ville trop serrés. Et si c'était ça finalement leur nature profonde ? On remarquera en effet que durant le bal situé vers la fin du récit, Bruce et Selina sont les seuls invités à ne pas être costumés, comme si les tenues de soirée bienséantes étaient justement leur costume. Les deux amants sont comme des fantômes quand ils ne portent pas leur seconde peau de cuir (Keaton est volontairement fade, Selina est clairement assimilée à un mort-vivant quand elle revient à son appartement) et ne se rapprochent de leur vraie nature que lorsqu’ils ils revêtent leur tenue d’animaux prêts à s’entredévorer. Pleine de violence, la passion qui lie Catwoman et Batman est clairement établie comme sadomasochiste : la tenue de cuir de Catwoman, la réaction de Bruce face à l'entaille que lui a laissé Catwoman, la scène bestiale devant la cheminée... Il est d'ailleurs éprouvant de voir à quel point Batman n'est sans doute pas si innocent que ça dans sa volonté d'arrêter le Pingouin. Ne le jalouse-t-il pas au fond de lui, de n'être pas, à l'inverse du Pingouin, un véritable freak ?

Batman Returns
  
Batman Returns
  
Batman Returns
 

Alignant les monstres de foire sans jamais tendre vers un happy end rassurant (Batman Returns est une œuvre totalement désespérée où les monstres se suicident, finissent seuls ou meurent par électrocution), Burton démolit chaque symbole du bonheur enfantin pour servir son discours sur la marginalité et l’incapacité pour les freaks de vivre dans un monde qui pourrait les accepter. Les clowns sont des psychopathes en puissance, le sapin de Noël libère une nuée de chauves-souris, le joli train électrique transporte des bébés mis en cage… Sans oublier cette séquence bouleversante où Selina détruit son appartement (notamment ses jouets), qui fait écho à celle, toute aussi tragique, d’Edward Aux Mains D’Argent. Burton tend à nouveau le miroir peu reluisant d’une société gouvernée par des pourris, aux valeurs familiales hypocrites et où la frontière entre l’homme et l’animal tend à s’effacer (voir la séquence virulente anti-armée où Pingouin s'adresse à ses animaux avant la bataille). Seule solution : assumer son moi profond, telle cette Selina invisible assumant sa féminité en Catwoman castratrice et indépendante (les vies qu’elle perd sont toujours causées par des hommes).

Bien que Burton prétende avoir du mal à juger son film aujourd'hui (Spielberg tient le même discours avec le fiévreux mais pourtant définitif Indiana Jones Et Le Temple Maudit), cette séquelle aux aventures de la Chauve-Souris frappe par son incroyable richesse esthétique et thématique. Un film ultra budgété devenant une vision d'auteur sur les rebus de ce monde. Difficile d'imaginer que pareil film détraqué ait vu le jour... Inutile de préciser que le film fut une (semi) déception au box-office à sa sortie.


L’Etrange Noël De Monsieur Jack
Affiche L'Etrange Noël de Mr JackPeut-on réellement référencer L’Etrange Noël De Monsieur Jack dans un dossier sur Tim Burton quand on sait que le film a été réalisé par Henry Selick ? Oui, cent fois oui. Quand bien même une large partie des spectateurs et du lectorat seraient en train de découvrir avec effarement que c’est bien l’auteur de James Et La Pêche Géante qui a signé cette petite parle d’animation, difficile de ne pas reconnaître la paternité du projet à un Burton assurant le poste de producteur et ayant lui-même écrit l’histoire de ce conte cauchemardesque. Tout, des décors aux personnages, transpire la dépression macabre de l'auteur d'Edward Aux Mains D'Argent.

A commencer bien sûr par l’esthétique barrée du monde des Morts. Le grand Tim a lui même pris en charge toute la conception visuelle du film, ce qui explique la multitude de trouvailles macabres qui émerge de chaque plan du film. Laboratoire d'un docteur Frankenstein dont le crâne s'ouvre comme un couvercle, tour bancale où se terre le héros Jack Skellington, un épouvantail roi d'Halloween, champ de citrouilles grimaçantes par pleine lune... Un monde inquiétant semble à deux doigts de s'effondrer, comme si un vent invisible exerçait une pression sur chaque bâtiment afin de les plier le plus possible. Un bric-à-brac furieusement cohérent et envoûtant, fourmillant de détails savoureux (détails qui manqueront clairement aux Noces Funèbres).
Le bestiaire qui peuple Halloween Town vaut lui aussi le détour puisqu'il convoque le best-of de l'imaginaire Burtonien (il a réalisé lui même chaque personnage) avec son lot de loups-garous, enfants difformes promenés par leur mère avec une laisse, chien fantôme, vampires qui sortent la journée avec un parasol et même créature sortie tout droit du Lac Noir. Une véritable compilation des meilleures figures du film fantastique à des années lumière des formes rondes et des couleurs joyeuses de Disney (pourtant producteur).

L'Etrange Noël de Mr Jackj
 

Il se dégage donc une vraie magie du look général de L'Etrange Noël (préférez le titre original bien plus évocateur : The Nightmare Before Chrismas) qui n'est pas sans rappeler le premier court-métrage de Burton. Une magie par ailleurs renforcée par la qualité de l'animation puisque L'Etrange Noël est le premier long métrage réalisé en stop motion, c'est-à-dire avec des objets animés image par image. D'où une certaine "réalité" palpable à l'écran, comme si les marionnettes avaient acquis une vie propre. La prouesse est à mettre au crédit d'Henry Selick, qui, avec une patience démesurée, est parvenu à organiser ce joyeux bordel tout en témoignant d'une imagination débordante pour chaque plan du métrage. Un feu d'artifice d'idées qui frappe dès le somptueux générique d'introduction où l'on découvre le carnaval des horreurs comme dans un grand huit, avec une caméra sans cesse en mouvement, un éclairage sidérant de maîtrise et même le chat noir de Vincent en guest. Jamais on aurait cru pouvoir admirer une telle diversité d'angle de prise de vue dans un métrage en stop motion ni de tels mouvements de caméra. La complainte de Jack sur sa colline face à la lune, la caméra tournant sans cesse lors du chant dans les bras d'une Vierge, le fabuleux éclairage à la Mario Bava dans l'antre d'Oogie Boogie... Que ce soit sur terre ou dans les airs, les prises de vues ne sont jamais fixes, tout semble tourner très vite, comme si nos mirettes étaient hypnotisée par tant de prouesses, à la manière de Jack Skellinghton découvrant émerveillé Christmas Town. Pour faire court, disons tout simplement que L'Etrange Noël De Monsieur Jack est un film plein, généreux et intemporel.

L'Etrange Noël de Mr Jackj
 

Si l'on peut rattacher la paternité de Nightmare Before Christmas à Burton et Selick, il serait injuste d'oublier le troisième grand responsable de la réussite formelle de l'œuvre, à savoir le fidèle Danny Elfman, chargé de la bande originale. Avouons-le, le compositeur ne s'est pas gêné pour imposer sa patte en piratant le projet, le transformant en gigantesque comédie musicale débridée. De grosses tensions sont apparues au stade de la conception du film puisque Danny Elfman modifia sensiblement le scénario afin de caser un maximum de chansons à la place des dialogues (ce qui aura pour effet un clash de trois ans entre Elfman et Burton puisque c'est Howard Shore qui signa la BO d'Ed Wood). La place accordée aux numéros musicaux a donc fini par grimper de fonction exponentielle, transformant sensiblement la teneur du résultat final. Paradoxalement, c'est dans la volonté des trois auteurs à injecter le plus d'eux même dans le film que celui-ci a atteint ce degré de schizophrénie maladive. Chacun s'est donné à fond pour marquer sa touche personnelle, et au lieu d'annuler toute la puissance de l'œuvre, cela n'a fait que la décupler. Impossible de ne pas taper du pieds lors du "What's this ?" entonné par Jack découvrant la magie écœurante de Noël ni de ne pas verser sa larme en entendant la mélancolie de Sally, la "fiancée de Frankenstein" amoureuse de Jack. Qu'il s'agisse du rythme trépidant des mélodie, de la parfaite rhétorique des rimes ou encore de la méchanceté corrosive des textes tapant violemment sur les bonnes valeurs (la chanson d'Am-Stram-Gram qui gratte l’image du Père Noël jusqu'au sang), le travail d'Elfman se doit d'être salué par sa perfection de tous les instants.

L'Etrange Noël de Mr Jackj
  
L'Etrange Noël de Mr Jackj
L'Etrange Noël De Mr Jack : quand Burton avoue sa fascination pour le rêve de Noël en admettant ne pas être capable de sortir de son univers gothique. Emouvant.


Mais au-delà de la réussite artistique et technique, The Nightmare Before Christmas est avant tout un magnifique conte cruel qui témoigne encore une fois de l'étonnante constance de Burton à sonder ses propres démons. La scénariste Caroline Thompson a accompli des prouesses pour compiler en moins d'une heure dix toute la thématique de l’artiste. Ainsi, Jack (déjà aperçu au passage dans Beetlejuice) se présente directement comme l'alter ego du cinéaste. Un monstre populaire parmi les monstres grâce à son extraordinaire talent. Seulement voilà, Jack le squelette est fatigué de cet univers. Il s'ennuie et aspire à autre chose. Burton montre déjà les signes précurseurs de l'évolution future de sa filmographie. Les valeurs semblent s'inverser et ce qui paraissait ennuyeux avant (la politiquement correct et les bons sentiments) devient merveilleux. A l'inverse, ce qui était le refuge féerique comme la demeure d'Edward Aux Mains D'Argent devient d'un ennui répétitif. Burton ne nous montre-t-il pas déjà qu'il a la sensation de se répéter avec son univers de freaks (la ville d’Halloween et son décompte permanent pour la prochaine fête) et qu'il aspire plus que jamais à la normalité ? Sauf que contrairement au politiquement correct qui animera plus tard un certain Big Fish, Jack Skellinghton ne parviendra jamais à changer. En tentant de prendre la place du Père Noël, il effrayera les enfants et sera violemment rejeté. Jack (et par échos Burton) aspirait à la normalité douce mais il ne parvient pas à comprendre ce monde qui n'est pas le sien (auparavant, c’était surtout les autres qui ne le comprenaient pas). Ne restera alors plus que la tristesse finale lors d'un faux happy end où les deux mondes (Noël et Halloween) se croisent temporairement grâce à la neige, Jack restant prisonnier de son univers mais ayant néanmoins trouvé une muse pour partage sa peine (Lisa Marie, dont nous aurons largement l’occasion de reparler).

L'Etrange Noël de Mr Jackj
 

L'Etrange Noël De Monsieur Jack est donc avant tout l'histoire d'un Tim Burton qui va à l'encontre des conventions populaires (son film, bien que produit par Disney, est anti-Disney) et qui nous confesse toute sa peine à sortir de ses propres codes, acceptant son identité de marginal. La puissance thématique est là, discrète mais jamais écrasée par le somptueux emballage qui nous fait dire que le vrai Père Noël, c'est bel et bien Burton et toute sa clique.


Ed Wood
Affiche Ed Wood Si Ed Wood est un des plus gros échecs dans la carrière de Tim Burton, il n'en demeure pas moins un de ses meilleurs films. Un des meilleurs réalisateurs du Cinéma s'attaque à la biographie du plus mauvais. Le résultat est un des chefs-d’œuvres (un de plus) les plus personnel de l'auteur qui, à travers Wood, nous parle de lui même : sa marginalité et son combat contre Hollywood.

Hollywood... Burton ne s'y est jamais senti à l'aise, incapable de rentrer dans le moule du conformisme. La pression exercée par les studios lors des tournages des Batman ne l'a pas laissé sans séquelles. Aussi, lorsque le projet d'Ed Wood arrive sur sa table, le réalisateur y voit l'occasion de travailler avec un petit budget sur lequel il aura une grande liberté artistique (Touchstone lui fait les yeux doux alors qu'il est habituellement rattaché à la Warner). Et c'est tant mieux car cela lui permettra d'exploiter admirablement toutes les possibilités du script afin d'en tirer un magnifique autoportrait subtil. Ed Wood, c'est tout simplement l'histoire de ce metteur en scène nullissime qui croyait dure comme fer en la Magie du Cinéma, et qui tentait de vivre en dehors des contraintes des producteurs. Plus généralement, Wood était un doux rêveur d'histoires fantastiques qui n'étaient grandioses que dans sa tête. Comme toutes les figures habituelles du cinéma Burtonien, le héros est un individu qui fuit la réalité, un marginal enfermé dans ses illusions innocentes. A la différence prêt qu'ici, il s'agit d'un homme ayant vraiment existé. De la même manière, tous les freaks qui entouraient le cinéaste ont bel et bien vécu, qu'il s'agisse de Bela Legosi (le mythique interprète de Dracula), la montagne Tor Johnson ou bien encore la Vampira qui fut plagiée ensuite par Elvira. Comme si pour la première fois, le surréalisme émergeait dans la réalité. Cette véracité historique est à n'en pas douter ce qui a séduit Burton bien avant de faire du cinéma, le jeune garçon renfermé pouvant se retrouver aisément dans ces marginaux incompris.

Ed Wood
Comme Burton, Ed Wood affectionnait les freaks sortis tout droit d'une série Z


En quelque sorte, Tim Burton est le double d’Ed Wood, le talent en plus. Burton se livre discrètement en dressant le portrait d'un homme qui aimait se travestir et qui n'était pas compris de la masse vivant dans la norme. Bien sûr, Burton n'est nullement un travesti mais ce trait de la personnalité du personnage ne sert jamais que de déclencheur au rejet dont il est victime. Et de la même manière qu'Ed Wood se mettait à nu dans son film Glen Ou Glenda, Burton se met à nu dans Ed Wood. La biographie ne sert qu'à parler de ses obsessions. On prendra pour exemple la magnifique scène du train fantôme où le cinéaste raté confesse son vice caché à Kathy. L'homme évolue dans un monde de comédie macabre (les divers monstres de l'attraction) et se retrouve brusquement ramené à la réalité, lorsqu'une panne survient. D'un seul coup, les deux tourtereaux ne sont plus entourés que de noir, Wood n'évolue plus dans le rêve : il est confronté à la réalité sombre du monde. Ce n'est qu'après que Kathy lui annonce qu'elle l'accepte tel qu'il est que les lumières se rallument et que le wagon poursuit sa route vers le spectacle de carnaval. De la même manière, Burton s'offre avec ce film une incursion dans une histoire réelle, loin du carnaval gothique habituel, comme s'il prenait le temps de nous livrer qui il était profondément.
Les parallèles entre les deux cinéastes sont d'ailleurs multiples. Le duo Wood/Legosi ne peut que nous renvoyer à l'admiration que Burton porte à Vincent Price. Dans les deux cas, un jeune novice rend hommage à son idole vieillissante en lui attribuant un rôle divin dans un de ses métrage. Difficile également de ne pas voir chez un Wood bataillant pour s'imposer en vain à Hollywood l'image d'un Burton réglant ses comptes avec une industrie cherchant à brimer le talent. Entre le portrait peu reluisant qui est fait des stars une fois les projecteurs éteints, les société produisant des merdes dans le seul but de faire de l'argent ou encore les producteurs cherchant à tirer profit de leur position en imposant leur casting et leur point de vue sur le script, le réalisateur nous livre une brillante satire d'un milieu qui n'a pas tellement changé à  travers les décennies.

Ed Wood
 

D'un strict point de vue technique, le film est sans doute le plus abouti du réalisateur. En dépit d'une esthétique noir et blanc à l'ancienne et d'un refus complet à l'esbroufe, Burton livre un film rétro à la mise en scène surprenante de précision. Le choix du noir et blanc est parfaitement en phase avec l'esprit respectueux vis à vis des films abordés (vous imaginez Plan 9 From Outer Space en couleur, vous ?). Le film commence comme tout bon programme horrifique à l'ancienne, avec son présentateur qui sort d'une tombe, puis le générique défile sur des images de pierres tombales, de pieuvre animée image par image et d'OVNI déplacés avec une ficelle. Ça fleure bon les années 50, jusqu'au plan aérien d'Hollywood qui n'est rien d'autre qu'une grosse maquette. Les reconstitution des films de Wood font preuve d'un soucis maniaque du détails (postures des personnages, intonation, rythme, cadrage) et chaque comédien a été choisis pour coller au plus prêt des modèles. Pour un résultat tout simplement SIDERANT. Martin Landau est littéralement Bela Legosi (il a d'ailleurs remporté l'Oscar pour cette interprétation), Bill Murray excelle en Bunny et Johnny Depp livre encore une fois une composition à la limite du mimétisme. Quand à la musique, dirigée par le futur compositeur de la trilogie de l'Anneau, Howard Shore, elle reprend quelques thèmes de vieux classiques comme Le Lac Des Cygnes employé dans le Dracula de Browning ou pioche dans les musiques des œuvres de Wood. Bref, le film de Burton ne semble nullement avoir été fait dans les années 90 tant il transpire l'authenticité d'une époque dépassée. Il convient de saluer le remarquable travail sur le noir et blanc du réalisateur qui puise directement dans un baroque gothique totalement en phase avec l'esprit de la Hammer. On pensera à cette confrontation entre Wood et Legosi où ce dernier menace de se tuer alors que l'éclairage en contre-plongée accentue la dimension effrayante des ombres (souligné par des cadrages désaxés) ou bien encore à la représentation d'un Legosi dans son cercueil semblant tout droit surgir d'un film de Dracula. On pourra également voir, lors d'une scène où le comédien se drogue, une allusion à Nosferatu, le personnage étant présent à l'arrière plan sous la forme d'une ombre effrayante (façon subtile de remettre Legosi à la place d'un vampire humain qui n'est plus que l'ombre de lui même).

Derrière un aspect rétro parfaitement maîtrisé, Tim Burton vient ni plus ni moins que de faire son auto-portrait. La seule différence avec Ed Wood est que ce dernier était un génie du nul là où Burton est un génie tout court. Ce film est surtout un regard très triste et pessimiste sur une industrie de production brisant les rêves d'auteurs (aussi mauvais soient-ils) ne demandant qu'à s'exprimer à travers l'art. La conversation fantasmée avec Orson Welles et le faux happy end seront bien vite ramené à la réalité avec le triste épilogue venant rappeler le destin peu reluisant de ces artistes ratés. Ed Wood, ou la déclaration d'Amour d'un Tim Burton à tout un pan du cinéma souvent oublié et dénigré. Un cinéma qu’il avait déjà commencé à exhumé depuis longtemps et qu’il va littéralement ressusciter avec le totalement barré Mars Attacks!. L’auteur se mue progressivement en illustrateur. 


A suivre....




   

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