Filatures

Hong Kong story

Affiche Filatures

Non, il n’est pas question ici d’une nouvelle déclinaison de Loft Story mais d’un petit film (en termes budgétaires) aussi brillant que passé inaperçu et qui érige en principe dramatique et réflexif la surveillance constante par le biais de caméras.

La critique qui va suivre est à la limite de l’analyse mais demeure partielle tant Filatures fourmille d’idées. Un film réellement enthousiasmant, même pas nommé à LA cérémonie de récompenses du cinéma (peut être par manque de lobbying de ma part) et pire que tout, même pas encore sorti en DVD, douze mois après ! Si on faisait le compte des œuvres asiatiques mal distribuées ou sorties directement en vidéo depuis quelques années (entre Stephen Chow, Soi Cheng, Kyoshi Kurosawa, Wilson Yip entre autres) on aurait de quoi alimenter plusieurs Top Ten de films essentiels.

Pour se reposer entre deux tournages, Johnnie To produit les films de ses amis ou proches collaborateurs, manière de leur mettre le pied à l’étrier tout en maintenant son emprise sur le cinéma hong-kongais. To, c’est un peu le Luc Besson asiatique, alternant grosses prods commerciales et petits films intimistes et personnels avec souvent la même équipe technique et artistique (ou presque) et s’appuyant souvent sur un scénario écrit sur les emballages de baguettes. On arrêtera là la comparaison peu flatteuse pour Johnnie To car à la différence du nabab français, il sait maintenir un haut niveau esthétique et thématique dans chaque film où il s’investit, sans négliger le rythme narratif soumis généralement à la puissance visuelle de ses références et de ses expérimentations.

Nouvelle preuve d’un insolent talent, Filatures est une nouvelle production de la Milkyway Image réalisée par Yau Nai-Hoi (scénariste habituel de To) entre Election 2 et Exiled. Sorti à Hong-Kong en 2006, il a débarqué en France début janvier 2008 dans la discrétion la plus complète. Car malgré l’aura acquise par To dans le milieu cinéphilique et des festivals, il n’est pas un réalisateur populaire, autrement dit il a un potentiel commercial réduit. Il demeure donc peu distribué malgré l’attention critique croissante (mais pas suffisante), alors imaginez ce que l’on peut bien penser d’un film même pas réalisé par lui ! Et pourtant, Filatures mérite d’être vu car il n’est rien de moins qu’un des films de l’année 2008.

 

Filatures
 


OUVRE LES YEUX
Kate Tsiu incarne une jeune recrue qui intègre une branche spéciale de la police hongkongaise chargée des filatures afin de recueillir des renseignements pour les unités d’intervention. Leur crédo, voir sans être vu. Découvrant le service et les membres de son équipe, son baptême du feu prendra l’apparence d’un gang dévalisant les bijouteries en trois minutes chrono. Des braqueurs très bien organisés et aux actions précises et minutées pour une efficacité maximale puisque la ville entière est sous vidéosurveillance. Décidemment, Ennemi d’Etat n’en finit pas de faire des petits. Seulement ici, Filatures se rapproche plutôt de l’influence avouée du film de Tony Scott, le Conversation Secrète de Coppola. Le film de Yau Nai-Hoi diffère pourtant de son intrigue, préférant développer le procédé formel qui faisait de la caméra du réalisateur un appareil aux mouvements mécaniques suivant les déplacements de Harry Caul, soit une caméra de surveillance. Le réalisateur et le producteur hongkongais ont ainsi la brillante idée d’appliquer cette transformation à tout le métrage. Le récit se déploie dans une ville technologiquement avancée mais sous étroite surveillance. Et si l’on verra finalement très peu de ces eye in the sky (d’ailleurs le titre du film à l’international), c’est tout simplement parce que la caméra du réalisateur s’y est substituée  Une opération qui s’effectue dès le plan d’ouverture avec cette vue en hauteur de la ville à travers une caméra de surveillance comme le grain à l’image le trahit. La mise au point qui suit permet de se fondre avec la caméra du réalisateur qui épouse d’ailleurs le point de vue du spectateur. D’emblée, nous sommes mis dans la position du voyeur ultime, omniscient mais à la capacité d’action inversement proportionnelle. En outre, afin de rendre cette mutation définitivement opérante, tout le métrage sera soumis à une esthétique de vidéosurveillance : milieu urbain limite monochrome, multiplicité des points de vue, prédominance des vues en plongées, zooms violents sur les visages, etc. Tout un arsenal formel donnant corps à une impression de réalité et préfigurant les Cloverfield, [REC] ou Diarhée Of The Dead, sans qu’aucune caméra n’ait été brutalisée ou détruite lors du tournage.
Ce maillage de la cité deviendra d’autant plus inextricable qu’un comportement mécanique trahira la présence de ces caméras jusque dans les scènes se passant en intérieur ! Ce réseau, il sera avant tout utilisé par nos policiers pour détecter la moindre activité suspecte. Mais pour cela, il faut que la nouvelle recrue apprenne à ouvrir les yeux. Une leçon qui sera aussi bien assenée au spectateur par l’entremise de la première séquence où Piggy (ainsi surnommée par son chef, le toujours génial Simon Yam) devra faire attention au moindre détail. Les images enregistrées ne sont rien, n’apportent aucune information tant qu’elles n’ont pas été soumises à l’expertise de l’œil humain. Une objectivation du regard qui aura autant d’importance lors d’une rencontre anodine que lors de la fouille de détritus (scène très drôle où Yam guide littéralement la main de sa collègue pour reconstituer une lettre déchirée).
Cependant dans l’autre camp, on a trouvé la parade pour échapper à la traque incessante des caméras puisque le leader du gang de braqueurs, outre sa position adoptée et adaptée (en hauteur donc) lors de chaque méfait, oppose l’imprévisibilité de ses réactions. Ce qui renverra Piggy a un choix cruel entre poursuivre sa proie ou sauver le flic à terre pissant le sang, ouvrir ou fermer les yeux.

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DES HOMMES SANS OMBRE
Mais la maîtrise formelle est loin d’être gratuite et vaine puisqu’elle sert admirablement l’intrigue de ce polar pas comme les autres où deux missions bien distinctes vont finir par se croiser et se résoudre dans une conclusion des plus palpitante. Un film remarquable car il parvient à construire une intrigue allant crescendo à partir de la situation d’impuissance de protagonistes dont le décryptage des signes, des mouvements, prime et précède toute forme d’action. Un film qui s’articule autour de personnages avant tout marqués par leur inactivité et devant combler ces longues périodes d’observation de la cité pendant lesquelles les personnalités de chacun se dévoilent. Des temps d’attente qui finissent par devenir des temps de latence dès lors que Piggy, ne tenant plus en place, ira se dégourdir les jambes. Un film malgré tout loin d’être paisible puisque rythmé par des séquences de filatures diversifiées (poursuites à distance ou rapprochée, localisation et mise sous surveillance d’un suspect) et par des explosions de violence détonantes qui valent comme dernier recours pour un leader qui a bien compris que pour se fondre dans le réseau, il faut devenir un homme sans ombre. Ce sera d’ailleurs le nom de code qui servira à le désigner par ses poursuivants. Et pour devenir cet hollow man, il devra oublier tout confort et développer sa capacité à devenir un véritable eye in the sky. Soit exactement ce qui est préconisé à Piggy si elle veut survivre. Et cela commence par l’abandon de son identité comme le souligne l’emploi de noms de code (Hollow Man, Piggy, Dog Head ou encore Fat Man) en lieu et place de leur patronyme et mettant en exergue leur fonction dans l’histoire. Les flics en planque passant du statut d’hommes de l’ombre à celui d’hommes sans ombre.

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L’AVENIR DE L'HOMME EST LA... CAMERA
Petite production en terme logistique, Filatures compense les moyens réduits par une inventivité de tous les instants. C’est ainsi un formidable film d’action qui éprouve le genre à sa manière, non plus par le biais d’une caméra toujours plus frénétique mais en proposant de nouvelles trajectoires ou plutôt en s’appuyant sur la forme géométrique du triangle. Ou tri-angle puisque le triple point de vue servira à délimiter un champ d’action toujours mouvant et de repérer spatialement les participants. Une triangulation véritablement efficiente lors des scènes de poursuites et rendue possible par cet écheveau de caméras de surveillance quadrillant la ville. D’autant plus efficaces puisque invisibles à l’écran, remplacées, on l’a vu, par les caméras de cinéma qui adoptent elles-mêmes le point de vue des personnages. Ces derniers assurant cette fonction d’enregistrement des images. Un regard machinique illustré par les décadrages brutaux accompagnant les regards changeant de direction (chasses dans les rues, fusillade) ou les divers effets de montage qui démontrent en outre leur capacité à savoir filmer. Devenir un eye in the sky est donc primordial mais au sens propre.


EYE IN THE SKY (GUN CHUNG)

Réalisateur : Yau Nai-Hoi
Scénariste : Yau Nai-hoi & Au Kin-Yee
Producteur : Siu Ming Tsui, Johnnie To, Stephen Ng….
Photo : Tony Cheung
Montage : David M. Richardson
Bande originale : Dave Klotz  & Guy Serafa
Origine : Hong-Kong
Durée : 1h30
Sortie française (confidentielle) : 2 janvier 2008




   

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