Le cinéma français pris de court : Guillaume Pierret
L'action dans la peau
Après Fabrice Blin cet été, nous continuons notre tour des réalisateurs qui agitent le petit monde du court-métrage : aujourd'hui, rencontre avec Guillaume Pierret.
Comment es-tu venu à la réalisation ?
J'ai commencé très tard à réaliser des films, j'avais 22 ans à peu près. J'aimais le cinéma depuis que, comme beaucoup de gens, j'ai découvert Star Wars et ma première vraie claque au cinéma a été Jurassic Park. Ce sont des choses qui marquent.Je vivais dans le sud-ouest à Pau. Là -bas, dans les Pyrénées, l'industrie du cinéma n'est pas très développée !
J'ai commencé le jour où un pote a acheté une caméra. À l'époque c'était des caméras mini DV monoCCD, etc. Je l'ai empruntée et j'ai tourné avec mon meilleur ami d'enfance, Rémi Leautier (qui est toujours à mes côtés aujourd'hui) que je connais depuis vingt ans ou trente ans. Il faisait des arts martiaux, on sortait d'une séance de Danny The Dog et je me suis dit qu'on allait filmer quelque chose comme ça. Ouais, on a le droit d'avoir mauvais goût !
On a tourné une vidéo vite fait dans les bois avec beaucoup de monde, beaucoup de combattants... C'était ridicule, mais on en était super fier. Heureusement qu'à l'époque on n'avait pas Internet sinon on aurait vu la concurrence et l'on se serait dit qu'on avait déconné.
Du coup l'année suivante on a recommencé avec notre premier vrai court-métrage qui s'appelle Le Dernier Psaume, avec à nouveau des combats et de l'action, mais fait cette fois de manière un peu plus réfléchie.
J'ai publié sur Internet le court-métrage et je me suis rendu compte de ce qui se faisait dans ce milieu amateur : ça a été une vraie claque. J'ai constaté qu'il était possible de faire énormément de choses avec très peu. J'ai constitué un petit réseau de potes sur Internet qui m'ont toujours donné envie de me dépasser, dans mon coin des Pyrénées. Chaque année, j'ai refait un nouveau court-métrage, en essayant à chaque fois de repousser les limites du court-métrage action tel qu'il se concevait.
Le Dernier Psaume était un court-métrage d'art martial, genre qui était très répandu sur le Net, mais celui-là avait une petite particularité de la mise en scène qui était autant chorégraphiée que les combats.
Malgré tout ce qu'on a fait par la suite, c'est notre tournage le plus ambitieux, avec le plus de participants. On avait aucune expérience donc c'était très difficile, mais on voulait vraiment en mettre plein la gueule.
Rémi Leautier était chorégraphe des bastons et moi je m'occupais de la mise en scène, Rémi était aussi l'acteur principal ; on a toujours bien fonctionné en duo et l'on ne s'est jamais marché dessus.Aujourd'hui, Rémi, qui avait l'habitude de mettre en place la logistique de tournage, est devenu un véritable producteur. On continue de travailler ensemble, mais il ne joue plus, il ne s'occupe plus des chorégraphies : il s'occupe de tout ce l'on a besoin, il produit.
Comment a été découpé Le Dernier Psaume ?
Sur Le Dernier Psaume c'était assez particulier. On n'avait aucune notion théorique de découpage, mais j'avais un pote qui avait fait un BTS montage et qui m'avait expliqué quelques règles de base. On s'était fait la main sur le petit projet dans les bois juste avant et l'on avait tourné au moins quinze heures de rushs donc tout s'est créé au montage. On n'avait pas vraiment de scénario écrit et je pense que ça se voit.
À l'époque tout le monde se battait dans les bois. On ne voulait pas faire une démonstration physique.
Comment s'est fait Indemne ?
J'étais souvent sur les forums Internet à ce moment-là , notamment celui des Vidéastes amateurs qui est un super QG. J'ai vu ce que faisaient des potes et j'ai compris qu'un court-métrage était plus intéressant s'il faisait moins de cinq minutes, s'il était efficace, s'il avait une toile de fond et s'il avait des propositions en terme de spectacle.
Le scénario d'Indemne m'est venu très rapidement. J'avais envie de faire un duel au fusil de chasse dans une maison avec des coups de crosses. C'est parti de là , comme à chaque fois : une envie de scènes d'action.
Quel a été l'accueil ? Je crois qu'il tournait dans de nombreux festivals.
Il aurait pu tourner davantage, mais j'avais la flemme de l'inscrire à chaque festival. À l'époque ils n'étaient pas aussi bien référencés que maintenant et il était difficile de les trouver. Il a tourné un peu malgré tout et a remporté des prix. Mais c'est surtout l'accueil sur le Web qui a été fantastique.Donc après ça on s'est dit qu'on allait faire quelque chose de plus gros encore !
Avec Surrender. Quel était son budget ?
3000 €. Il n'est pas né tout de suite après Indemne car on était très content de ce dernier, mais les critiques qu'on me faisait portaient sur le scénario sans dialogue alors on s'est forcé à essayer d'écrire des dialogues pour le projet suivant.
Tu voulais faire quelque chose de purement visuel en tournant sans dialogue ?
Non, je ne me sentais juste pas capable de passer le cap de la direction d'acteurs. J'étais bien dans l'énergie pure non parasitée par les dialogues et je pense toujours qu'il est possible de raconter un court-métrage sans dialogue.
Il y avait quand même une direction d'acteurs dans Indemne mais beaucoup plus visuelle, qui passe par la gestuelle par exemple.
Voilà . Après les acteurs étaient bons, ça aide pas mal à être crédible.
Donc après Indemne on a commencé un court-métrage qui s'appelle Carnation et qu'on a tourné dans le désert des Bardenas en Espagne avec des dialogues et du "jeu d'acteur". En ouverture j'avais réalisé une poursuite en voiture entièrement truquée avec des crashs, des carambolages, etc., mais je suis resté sur ma faim et je n'en pouvais plus de monter ce court-métrage qui racontait une histoire à la con.
J'ai passé des mois et des mois à essayer de trouver une histoire cohérente pour intégrer cette poursuite de voitures dans un désert, mais on s'est embourbé. On s'était dit que de toute façon quand il sortirait il ne serait pas assez efficace.
On voyait Mickaël Mongin qui réalisait Pression Maximale, qui tournait en s'amusant fusillade sur fusillade donc on s'est dit qu'on arrêtait tout et qu'on allait faire ce qu'aurait dû être Carnation à la base : un film avec une vraie poursuite en voiture.
Combien vous a coûté Carnation ?
1000 € environ, car on habitait près de la frontière hispano-française. C'était toujours autoproduit.
À l'époque il y avait The Shield, les Jason Bourne, des choses qui me parlaient profondément parce que j'ai toujours filmé sur le vif sans anticiper sur l'action. C'est quelque chose que je fais depuis le début et ces succès m'ont conforté dans l'idée que c'était légitime, que j'étais à ma place avec ce style.
Je voulais faire une cavale dedix minutes dont le noyau dur était une poursuite en voiture truquée. Il se trouve que j'ai cherché un gyrophare de police auprès de cascadeurs automobiles qui ont adoré Indemne. Ils nous ont montré leurs vidéos de spectacle de rue, avec des voitures qui se retournent et à partir de la ça été l'engrenage. Rémi est parti produire le film en bloquant des rues et en trouvant des voitures à démolir.
Était-ce facile de trouver des fonds ?
Non. Bloquer une rue en soi n'est pas difficile il faut juste que la mairie soit d'accord, mais le plus dur évidemment est de convaincre, ce sont des mois et des mois de tractations. Rémi était sur le terrain pour avoir l'accord de la mairie et des flics, avoir une assurance de tournage... Heureusement, on avait des cascadeurs qui avaient l'habitude des spectacles de rue. Ça a été beaucoup de temps de préparation et les retours ont été formidables.
C'est avec Surrender que tu as signé un contrat aux États-Unis ?
Après Surrender on a été à Cannes au short film corner qui un peu le sous-sol de Cannes. On s'est fait distribuer directement par une boîte, Premium Films, pour une diffusion en chaîne à l'étranger. Il n'a pas été disponible sur Internet pendant un an du coup, alors que pour moi sa place est sur le Net. On a rencontré plein de monde par la suite, Surrender a été le point d'entrée.
À partir de là on te fait miroiter tout et n'importe quoi. On te demande si tu as un projet sur le feu et si tu n'en as pas en écrit un. Une boîte française à Paris nous a demandé un scénario de long-métrage qu'on a écrit pendant un an, à développement sous-payé.
Es-tu venu à Paris après Surrender ?
Non pas tout de suite, on était dans l'écriture de ce long-métrage et ça faisait un bout de temps qu'on n'avait rien tourné. Surrender devenait de moins en moins regardable, de moins en moins suffisant. Il fallait passer le cap de la direction d'acteurs. On a repris Surrender qu'on a tourné en HD : Matriarche. Le challenge n'était pas la poursuite en voiture, mais la direction d'acteurs et le scénario solide. On a tourné les scènes d'action avec Rémi dans le Languedoc Roussillon et l'on est parti avec les images à Paris .
Là , on a rencontré une boîte de production qui s'appelle Heska Productions qui a pris en main toute la seconde partie du tournage pour que je puisse me concentrer sur tout ce qui allait encadrer la poursuite en voiture. Du coup ça coûte plus cher de produire des scènes de dialogue que des poursuites en voiture (rires).
Le scénario était-il déjà écrit ?
Non pas du tout. On a tourné la scène d'action de <strong; font-family: Arial, sans-serif; line-height: 1.3em;">Matriarche dans l'optique d'en faire l'ouverture d'un long-métrage. J'avais le titre, la scène d'action, je connaissais la direction, mais rien d'autre. Finalement, c'était plus pratique d'en faire un court-métrage alors on s'est arrangé pour ne pas avoir d'acteurs dans cette scène d'action, que des doublures cagoulées qui peuvent coller avec n'importe qui.
C'est original comme méthode de production.
Je pense que c'est casse-cou et pas très intelligent, mais on s'en sort bien avec ça. On est arrivé sur Paris avec ces images et Heska est venu nous produire. Ils ont fait un super boulot de distribution et l'ont inscrit à tous les festivals possibles, partout dans le monde. On a eu pas mal de récompenses et un accueil vraiment bon. J'aimerais bien le mettre sur Internet pour y apporter un nouvel engouement, mais les courts-métrages font moins recette maintenant sur le Web. Grâce à Matriarche j'ai débloqué plein de projets de développement. C'est assez récent, mais il y a beaucoup de gens intéressés...
As-tu aussi écrit Matriache avec Rémi Leautier ?
Je me suis associé à mon pote Yvan Georges-Dit-Soudril dans l'écriture du scénario. Ça a été des mois de peaufinage, il y a eu huit versions, le tout encadré par Heska qui a mis à notre disposition leurs locaux pour les castings.
Es-tu resté au système D ?
Pour toute la partie action oui, mais avec quand même une équipe derrière : un chef-opérateur, des cadreurs, etc., le minimum syndical. Pour tout ce qui était scènes intérieures, je tournais, pour la première fois, avec une vraie équipe professionnelle : j'avais tout ce qu'il fallait en studio, on a payé tout le monde, on avait du matos, c'était vraiment carré, à la parisienne. Je me suis installé à Paris à la même période.
Quels sont tes nouveaux projets ?
Depuis beaucoup de gens ont vu Matriarche, comme Luc Besson, Olivier Marchal… C'est très intéressant pour la suite. Ils les ont vus parce qu'on leur a refilé : c'est très compliqué de se constituer un réseau, mais quand on fait du bon travail on finit toujours par être vu. J'espère qu'on a fait du bon travail... Du coup, ça débloque beaucoup de projets de long-métrages mais il faut bien les choisir. Si la boîte de production est sérieuse et qu'elle finance le développement, c'est très intéressant. Ce qui est le cas d'Heska.
Je pense qu'il faut multiplier les projets de longs quand tu débutes pour en concrétiser. Plus tu lances de lignes plus tu as de chances de pécher quelque chose.
Est-ce que tu veux toujours faire dans le polar "chorégraphié" ?
Le polar d'action. Pas forcément décérébré, mais de l'action.
D'où te vient ce goût pour ce genre ?
Je ne sais pas si c'est mon genre de prédilection, j'ai des goûts éclectiques, mais je suis quand même très attaché au divertissement, aux scènes généreuses de spectacle. C'est une énergie qui nous correspond bien. Sur le tournage un crash de bagnole c'est toujours fendard. Maintenant en France c'est un type de cinéma qui s'est un peu perdu avec le temps. On veut revenir à ce cinéma sans concession avec de l'énergie.
Quand on essaie de faire du genre en France c'est soit de l'horreur soit du polar.
Je n'ai pas choisi l'horreur parce que ça ne m'attire pas des masses, mais je suis content quand certains arrivent à faire leur film.
Il y a un peu de gore dans mes films, mais cela ressemble plus à ce que fait Stallone dans John Rambo : une demie seconde et terminé.
T'es-tu créé une "famille" de cinéma ?
On est amené automatiquement à la créer au fil des années. Ce sont toujours les mêmes personnes : Rémi, Damien Leconte (acteur et ancien champion d'Europe de kick boxing, c'est un mec en or), nos cascadeurs évidemment... Tous les gens avec qui on bosse restent par la suite : le compositeur, le chef opérateur, etc. Les cascadeurs ne faisaient pas de cinéma avant, ils avaient fait quelques prestations par-ci par-là , mais ce n'était pas les Julienne.
Est-ce que tu te revendiques d'un certain héritage français qui rejaillit aujourd'hui par Marchal ou Cavayé ?
Non. Je pense que ce sont des gens très bien, que je respecte et j'aime beaucoup certains de leurs films. J'ai eu l'occasion de discuter avec Marchal qui est très sympa mais non je ne suis pas dans cette mouvance.
Je m'inspire de films américains comme ceux de McTiernan, Sam Raimi, Spielberg... Et beaucoup de séries télé.
Est-ce que tu as des projets de fiction télé ?
Non, que du long-métrage de cinéma.
Est-ce que tu fais du clip et de la pub ? C'est alimentaire ou expérimental ?
Les deux. S'amuser avec du matos pour pouvoir manger !
Tu as créé une boîte de production...
Oui, j'ai créé une boîte avec Rémi qui s'appelle Indemne films. Ça va être notre boîte de production parce qu'on va être amené à faire notre premier long-métrage tout seuls, en indépendant, sinon on ne tournera pas avant 2018.
L'auto-production est-elle la voie à prendre quand on n'a pas de contact avec le milieu ?
Je pense que c'est risqué, il faut établir une stratégie qui fait que le film sera distribué en salles ou qu'il rentre au moins dans ses frais. L'aspect financier est une responsabilité, on a toujours fait en sorte que nos films se remboursent. Si on met de l'argent dans les fictions indépendantes, il faut qu'il revienne.
Un court-métrage se rembourse rarement, comment fais-tu ? Grâce aux scènes spectaculaires ?
Le plus spectaculaire à l'écran n'est pas forcément ce qui coûte le plus cher. Dans Matriarche c'est un tiers du budget pour les scènes d'action et deux tiers pour la partie dialoguée.
Tu te diriges vers la création d'un réseau de distribution parallèle...
Je rentrerai dans le système sans souci et je me donne tous les moyens pour le faire avec mes producteurs, mais évidemment on sait qu'il y a le chemin parallèle, qui est aussi un moyen d'y entrer.Le principal est que le film existe. On sait qu'on pourra créer ce film, peu importe, si on termine avec un ulcère on y arrivera.
Pour un long-métrage, il faut réfléchir en amont à une stratégie qui permet d'optimiser le tournage, avec un planning de tournage. Il faut faire ce qu'on appelle un proof of concept : certains passages tournés sous forme de trailer, spectaculaires et avec de l'ambition puis chercher des fonds privés par la suite.
Sam Raimi avait fait ça pour Evil Dead aux États-Unis.
On peut faire des trucs avec un petit budget. Quand on voit ses films comme Saw ou Insidious, tous ces films qui coûtent moins d'un million... J'ai toujours voulu faire mon premier film dans la sueur et le sang. Me filer 9 millions pour faire mon film je serais content, mais si on me refilait 100 000 ça me conviendrait aussi.
Il faut bien s'entourer et travailler au minimum en binôme avec quelqu'un d'assez complémentaire pour pouvoir se reposer dessus en cas de problème. Trouver une équipe qui partage son ambition et ses rêves. Que personne ne se marche dessus et que les rôles soient définis. Il faut avoir une vraie relation avec le producteur et commencer avec un projet trop lourd et trop ambitieux. Se casser les dents dessus et apprendre ! Je pense que c'est une bonne méthode.
Que penses-tu de la convention collective qui devrait entrer en vigueur en fin d'année ? (ndlr : le 1er octobre avant suspension par le Conseil d'État début septembre, après cet interview)
Apparemment un médiateur a été missionné, mais si elle passe cela veut dire qu'on sera obligé de payer, quel que soit le technicien, le minimum salarial qui est bien trop conséquent pour nous. On sera aussi obligé d'avoir un nombre de postes bien défini sur le tournage sans pouvoir faire d'équipe réduite. Après je n'ai pas lu cette convention collective... Cela met en danger le cinéma indépendant parce qu'avant, avec peu de budget, certains techniciens acceptaient d'être payés moins ou de trouver un intéressement ailleurs comme les recettes, ce qui permettait de réduire le coût de tournage qui est quand même un des coûts les plus importants sur un film. Si elle passe, ce ne sera plus possible, des gens comme moi ne pourront plus faire de films avec des techniciens sous-payés, mais consentants qui veulent faire partie d'une aventure qui les enthousiasme.