La Mémoire Dans La Peau
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- Analyse par Pierre Remacle le 2 septembre 2008
The movie who wasn’t there
Un homme inconscient est repêché par un bateau de pêche au large de Marseille. Sans mémoire, et donc sans identité, notre homme va devoir chercher qui il est. Pour commencer son enquête, l’homme n’a qu’un seul indice : un numéro de compte d’une banque Suisse, numéro qui avait été implanté dans sa cuisse.
Direction la Suisse, donc, où l’amnésique découvre non seulement son nom, Jason Bourne, mais également qu’il est titulaire d’un compte crédité de plusieurs millions de dollars.
A peine sorti de la banque, Bourne se voit poursuivi par des tueurs professionnels. Où qu’il aille, sa vie est menacée. Mais Bourne est un homme plus difficile à tuer qu’il en a l’air. En effet, toutes ces épreuves font naître des réactions chez Bourne dont il est le premier à s’étonner. Expert en arts martiaux et en combat rapproché, parlant couramment de nombreuses langues, sniper accompli et tireur infaillible, Bourne semble être le tueur parfait. Cependant tous ces éléments soulèvent de nombreuses questions : comment Bourne a-t-il appris toutes ces choses ? D’où vient tout cet argent ? Pourquoi veut-on le tuer ?
Peu à peu, il comprend que son destin est indissolublement lié à celui que l’on appelle Carlos, terroriste recherché par toutes les polices du globe et accessoirement probablement le meilleur tueur à gages du monde. La lutte à mort entre ces deux tueurs parfaits débute réellement à Paris : infiltration de QG, trahisons et assassinats s’entrecroisent, la lutte est serrée. D’autant plus serrée que la CIA, qui a formé Bourne, ne comprend plus l’attitude de ce dernier et, manipulée par un Carlos machiavélique, s’est décidée à l’éliminer (éliminer Bourne, pas Carlos… enfin Carlos aussi mais bon… oh et puis merde, lisez le roman).
Poursuivi par les sbires omniprésents de Carlos ainsi que par ses anciens commanditaires, recherché par la police pour un crime qu’il n’a pas commis, Bourne ne peut se fier qu’à lui-même pour accomplir ce qu’il sait obscurément être sa mission : tuer Carlos. Le duel final aura lieu à New York. Dans la pièce même où l’identité de Bourne (The Bourne Identity… le titre original du livre ainsi que de ce film) a été conçue…
MEMORIES OF MURDER
Alléchant, ce résumé ? On pourrait le considérer… sauf que presque rien de ce dont on vient de parler ne se retrouve dans le film The Bourne Identity. En effet, c’est dans le roman éponyme de Robert Ludlum que le duel Carlos-Jason est au centre de l’intrigue. Feu Robert Ludlum à qui l’on doit d’autres romans comme La Progression Aquitaine ou encore Osterman Week-End (qui a d’ailleurs été adapté en film par Sam Peckinpah avec Rutger Hauer), sans oublier les autres opus de la saga Bourne.
Soyons clairs : le nom du personnage principal, le pitch de départ, et la localisation de la plus grande partie de l’intrigue à Paris sont les seuls éléments du roman The Bourne Identity que l’on retrouve dans le film. Il n’est pas question ici d’un scandale dû à une adaptation qui serait en fait une trahison de l’œuvre originale. Ici, le stade de la trahison est dépassé depuis longtemps. Dans le cas qui nous occupe à présent, il serait plus propice de considérer que le roman The Bourne Identity et le film du même nom racontent des histoires qui n’ont aucun rapport entre elles. Dès lors, on peut raisonnablement se demander pourquoi avoir intitulé le film The Bourne Identity.
Cette interrogation ne prend que plus de force à l’écoute du commentaire audio du réalisateur, au cours duquel ce dernier avoue son grand amour pour le roman original. D’accord, mon grand. Alors, pourquoi avoir jeté quasiment tout du contenu de ce roman à la poubelle ?
Bref, le manque de cohérence, d’imagination et, ô ironie, de mémoire des décideurs d’Hollywood, The Bourne Identity ayant déjà été adapté en téléfilm avec Richard "Père Ralph de Bricassart des Oiseaux Se Cachent Pour Mourir" Chamberlain, tous ces différents manques donc, se voient mis en exergue par un projet qui n’a apparemment pas été réfléchi pour un sou.
Tant que l’on en est à parler du pitch, il est intéressant de constater que The Bourne Identity commet l’erreur que bien trop de films commettent, a savoir : se contenter d’un pitch, justement. En l’occurrence, "le héros est un amnésique doté de capacités faisant de lui le tueur parfait et évolue dans un monde dangereux". Dans le roman, tout cela était intégré à une intrigue pas forcément originale (de l’action mâtinée d’espionnage, le tout saupoudré de politique-fiction) et assez longuette (ok, disons fort longuette), mais en tout cas prenante. La preuve : une fois le roman achevé, on a envie de lire la suite des aventures de Bourne. Le côté "je ne sais pas qui je suis ni où je vais" y était un moyen, non une fin. Or ici (comprendre, dans le film) l’intrigue est alambiquée et tourne à vide. Les enjeux ne sont pas identifiés, ce qui ne pardonne pas dans un thriller politique. On est bien loin de l’excellent Spy Game de Tony Scott, dans lequel les scènes de bureau sont plus dynamiques que les scènes d’action (tout en restant toujours d’une lisibilité remarquable). Dans The Bourne Identity, on voit beaucoup de gens fort occupés devant leurs claviers d’ordinateurs, mais on ne sait pas trop quelles sont leurs motivations. On nous montre des dialogues de pontes de la CIA qui ont l’air fort concernés, mais on ne comprend pas grand-chose à ce qu’ils disent. Bref, comme le personnage Jason Bourne lui-même, le film donne l’impression de beaucoup courir sans vraiment savoir où il va.
UN AMÉRICAIN A PARIS
Mais quel réalisateur trouve-t-on derrière The Bourne Identity ? Il aurait fallu choisir un gars nerveux, qui assure lors des scènes d’action. Mais non, on a Doug Liman. Qui a réalisé Swingers et Go (une histoire à la narration déstructurée sur des djeuns qui vont dans des boîtes de strip-tease… Trop super…). On rappellera également aux distraits qu’après The Bourne Identity, Liman a également réalisé Mr Et Mrs Smith ainsi que Jumper. Bref, autant dire un homme de challenge. Un rebelle. Un chien fou. Il ne restait plus qu’à espérer que le gars ait pris un peu de Viagra pour durcir une réalisation décidément trop molle. Résultat ? Bof-bof.
Un des gros problèmes de The Bourne Identity est justement qu’on attend tout au long du film que ce dernier commence réellement… mais que cela ne démarre jamais en fin de compte. Manque de rythme flagrant, donc. Problème de plus: la réalisation très "eau minérale" de Liman (insipide, incolore et inodore) n’arrange pas vraiment les bidons. Et pour couronner le tout, le film n’évite pas le ridicule involontaire : ainsi, la présentation des autres tueurs auquel la CIA fait appel afin de défragmenter Bourne est une réminiscence à hurler de rire des convocations des gentils dans le dessin animé des eighties MASK (avec petites scènes de la vie quotidienne des tueurs interrompues par l’appel du travail… manque plus que la montre qui bipe comme dans le dessin animé). Echec total alors ?
Hé bien non. Le film est sauvé du naufrage par la dernière chose à laquelle on aurait pu s’attendre de la part de Liman : des scènes d’action (relativement) nerveuses et dynamiques. On retiendra les bagarres au corps à corps auxquelles se livre Bourne. La scène de l’ambassade attirera également notre attention. Mais c’est la bagarre contre le tueur italien dans l’appartement parisien de Bourne (waw, c’est un film hyper cosmopolite… le héros prend même le TGV et il roule dans une Mini… vive l’Europe) qui remporte le lot. Sec, d’une brutalité féroce, très violent, chorégraphié au micro-poil, ce combat est remarquable. On notera également une poursuite réaliste et assez agréable dans les rues de Paris. Agréable certes, mais sans plus… On est bien loin de celles de The Bourne Supremacy ou encore de The Bourne Ultimatum. Vraiment très loin.
Il y a aussi ce duel des snipers dans la campagne entre Bourne et le "professeur", un des redoutables tueurs que la CIA a dépêché pour éliminer Bourne. Malheureusement, toute la bonne impression que laissent ces scènes est sérieusement amoindrie par une fin très peu compréhensible et torchée à la va-vite. Dommage.
BOURNE. JASON BOURNE.
On a beaucoup comparé Jason Bourne et James Bond, notamment à l’occasion de la sortie de The Bourne Supremacy, le deuxième film consacré à Jason Bourne. Cette comparaison s’est fort accentuée en 2007 avec The Bourne Ultimatum. Est-ce justifié ? Ce rapprochement est-il fondé ? Oui et non.
Première chose : Matt Damon n’a pas vraiment le charisme d’un Sean Connery. On précisera néanmoins que Damon, de bon qu’il est dans The Bourne Identity, devient carrément excellent dans les deux opus suivants. Mais toutes considérations d’acteurs mises à part, les deux personnages ne se situent pas vraiment dans le même registre. The Bourne Identity reste dans un domaine plus axé sur le réalisme : pas d’Aston Martin de luxe ni de vodka Martini au shaker secoué mais pas agité. Pas de champagne Don Pérignon millésimé ou de gadgets fantaisistes. Dans The Bourne Identity, le véhicule du héros est une vieille Mini déglinguée. Ou bien alors il prend le métro (au moins ça n’a pas fait exploser le budget du film). La copine du héros n’est pas une top-modèle. C’est une fille un peu paumée sans attache fixe qui en est presque réduite à vivre dans sa voiture. A ce titre, le choix de Franka Potente (et zou, une touche européenne de plus) parait assez judicieux : son côté girl next door rajoute à ce réalisme qui a semblé être recherché tout au long du film. Tant que l’on est à parler des acteurs, signalons la prestation de Clive Owen dans le rôle du Professeur, tueur qui n’a pas grand-chose à dire mais qui a la classe (comme toujours quand il est question de Clive Owen). Et, ironie de la chose, c’est ce même Clive Owen qui avait été approché pour prendre la succession de Pierce Brosnan dans le rôle du meilleur agent secret du monde. La suite, on la connaît tous.
Donc, rien à voir entre Jason Bourne et James Bond ? Pas si simple.
Les initiales déjà . Le hasard n’a probablement pas grand-chose à faire là -dedans. Mais la chose la plus intéressante à étudier, c’est l’influence qu’ont eue les films Bourne sur le reboot de James Bond auquel on a droit depuis peu. Car Casino Royale, sorti en 2006, a clairement retenu la leçon de The Bourne Supremacy, le deuxième épisode de la saga Bourne sorti en salles deux ans plus tôt. Place au réalisme, aux bagarres sèches et violentes. Bye bye les gadgets bondiens.
Mais c’est encore plus visible après The Bourne Ultimatum, clôturant la trilogie Bourne et sorti en 2007. Quand on regarde la bande-annonce du James Bond annoncé pour fin 2008, Quantum Of Solace, le rapprochement saute aux yeux. On y voit un extrait d’une cascade où une moto franchit le vide avec la caméra la suivant au cours du saut. Une image qui était reprise dans la bande-annonce de The Bourne Ultimatum où Bourne franchissait d’un bond le vide entre deux immeubles.
Finalement, c’est peut-être ça, le plus frappant. Que cela soit la saga Bourne qui ait réussi à influencer (partiellement du moins) un monde aussi balisé et sans surprises que celui des films estampillés Bond. Et de nous mettre alors à rêver à ce que donnerait un James Bond réalisé par… Paul Greengrass, le réalisateur des prodigieux The Bourne Supremacy et The Bourne Ultimatum. On peut rêver, oui.
Certains vous diront même que c’est l’essence même du cinéma
THE BOURNE IDENTITY
Réalisateur : Doug Liman
Scénario : Tony Gilroy & W. Blake Herron d'après le roman de Robert Ludlum
Production : Doug Liman, Patrick Crowley, Richard N. Gladstein…
Photo : Oliver Wood
Montage : Saar Klein
Bande originale : John Powell
Origine : USA, Allemagne
Durée : 1h59
Sortie française : 25 septembre 2002