W. - L'Improbable Président

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Affiche W.

"Le film trace à peine en sous-main d'étranges parallèles entre la marche victorieuse du jeune Alexandre (356-323 avant J.-C.) sur l'empire perse et celle des troupes américaines sur le Moyen-Orient."


En janvier 2005, Didier Péron dans Libé osait révéler l'impensable intention cachée d'Oliver Stone avec son biopic Alexandre. Prenant son courage à deux mains et bravant les interdits, Péron démasquait l’écœurante métaphore pro-Bush :
"Le roi perse Darius a un look à la Ben Laden suffisamment évocateur pour que sa traque au fin fond des montagnes inhospitalières d'Asie mineure se superpose de facto à celle du gourou-terroriste et de ses sbires sur les hauteurs afghanes. L'image d'un aigle survolant la bataille de Gaugamèles est un clin d'oeil appuyé aux faucons du Pentagone. Il y aurait une certaine audace à poursuivre les rapprochements mais, dans ce pétage de plombs historico-péplum de grande ampleur, ces marqueurs contemporains font figure de balises idéologiques typiquement stoniennes : on les remarque mais on ne sait vraiment pas où le metteur en scène veut en venir. Sa fascination pour le personnage et sa fureur expansionniste reste obscure, les motivations d'Alexandre et la possible modernité de son aventure, tout autant."

Une représentation fidèle de Darius III de Perse devient un ersatz de Ben Laden (car "ils se ressemblent tous" ?), on ignore les faits présentés dans le film (le cadavre de Darius est traité avec respect par Alexandre, les motivations du conquérant étaient claires d'autant plus qu'elles sont écrites noir sur blanc dans les livres d'Histoire : ne répète-t-il pas au moins trois fois qu'il désire unir les peuples et apporter à tous les connaissances des Grecques ?), on renie vingt ans de filmographie incisive sur les heures les plus sombres de l'histoire contemporaine US et voilà comment l'auteur de JFK, Platoon et Salvador utilise son projet de longue date sur Alexandre Le Grand pour magnifier les exactions de l'administration Bush au Proche-Orient. Ne faire aucun parallèle avec les anciens films du réalisateur permet le procès pour "pétage de plombs" et "balises idéologiques" menant à de la "fascination obscure" pour une "fureur expansionniste". On se gardera donc d'expliquer à Péron et ses lecteurs comment Alexandre décrivait avant tout les grandeurs et décadences d'une civilisation impérialiste bâtie sur la conquête à grande échelle.

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"Bon allez les gars, dites-moi qui est le génie qui a lancé ce programme de communication nommé Alexandre, là"


Il faut comprendre Péron et remettre l'article dans son contexte : nous sommes début 2005, George W. Bush entame un second mandat à la Maison Blanche et à la stupeur générale. Les états-uniens sont donc décrétés irrécupérables et tout ce qui porte le signe de l'Oncle Sam se doit d'être moqué car, c'est évident, les américains sont tous à l'image de leur Président. Pullulèrent ainsi pendant quatre années des vidéos montées et orientées pour prouver l'inculture crasse de tous les américains, chaque extrême était pointé du doigt par les médias sans prendre soin de rapporter la chose aux proportions du pays, on décidait que les trois quarts de leur production ciné est réac et/ou facho (d'autant plus facilement que les satires démontrant une ouverture d'esprit du public US au moins égale à son homologue européen ne sortent quasiment pas chez nous - quand des daubes vraiment réac telles que Die Hard 4 sont plébiscitées par la critique française) et avoir des réflexes et propos quasiment racistes envers eux n'émeut personne. Il est nécessaire de rappeler ces quatre magnifiques années de réel pétage de plomb hystérique car maintenant que Barack Obama est élu, tous les américains redeviennent fréquentables (alors que concrètement il n'y a qu'un million d'électeurs sur trois cents millions qui a changé de camp).
On ne manquera pas également de souligner les conséquences néfastes d'articles comme celui de Péron sur Alexandre, car même si la réponse usuelle lorsque l'on aborde le problème est un déni rapide d'une probable influence des grands médias sur son public (alors que chacun est persuadé de la réelle influence de son blog), il existe pourtant une vérité vue de mes yeux vue : celle d'étudiants et de futurs scénaristes / cinéastes répétant les fadaises trouvées dans leurs revues. Donc oui, sachez que pour certains jeunes auteurs français un Oliver Stone n'est qu'un sale propagandiste, un film ne s'analyse qu'à l'aune des fantasmes qu'on y projette et proposer des messages articulés autour de plusieurs axes est le meilleur moyen pour être incompris et mis au ban de la sphère culturelle. 

Quoi qu'il en soit, c'est le cas du président US qui est traité dans W., dernier opus d'un Oliver Stone qui étonne les spectateurs pour deux raisons : la sortie précoce d'un biopic sur un président encore en activité et l'empathie qui s'en dégage envers le locataire de la west wing. Stone prend ainsi à contre-pied ceux s'attendant à une satire virulente et énervée, rappelant le cas Nixon dans lequel le vétéran du 'Nam avait choisi de comprendre l'homme et non de flinguer le personnage. Rebelote ici, l'approche ayant le significatif bénéfice de ne pas décrédibiliser une démonstration documentée par un jeu de massacre immature et partiale. Et de toutes façons, le fiston Bush est déjà passé à la moulinette par le duo Matt Stone et Trey Parker avec That's My Bush!. 
Déconsidéré par son père au profit d'un frère programmé pour succéder à la dynastie, passablement feignant et inculte, George W. n'a rien d'autre que son éloquence de bon gars proche du peuple pour réussir. Et Stone d'illustrer, plutôt sagement, comment cela suffira au désir de reconnaissance d'un fils par un père qu'il ne parvint pas à tuer, et donc à installer un sportif du dimanche alcoolique dans le bureau de POTUS. Si la critique n'est pas à boulets rouges ni démonstrative à l'excès, c'est peut-être pour coller à l'état d'esprit du personnage, un peu simple, un peu gamin, passant son temps à grignoter des saloperies, prenant des décisions sur la politique agricole en fonction de ce qui se trouve dans son sandwich. Stone laisse ainsi jouer le contraste entre les situations et le contexte pour amuser, ou effrayer. Voir les leaders de la plus grande puissance économique se perdre dans un champ, leur Président donner plus d'importance au nom d'une mission qu'à la stratégie de la mission même ou se réjouir lorsqu'on lui tend une notice à signer parce que "super, y a que trois pages !", ça fait sourire mais c'est très loin d'être rassurant. L'inconvénient du procédé étant qu'il implique forcément moins qu'un JFK ou un Nixon conçus comme des opéras dans des bureaux, d'autant que Josh Brolin n'est pas si convaincant dans le registre tragi-comique du personnage. Il est assez évident que selon Stone, W. Bush ne méritait pas de fresque historique mais une simple et légère comédie douce-amère pointant les étapes décisives du bonhomme. Les deux majeures étant celles où Stone retrouve un peu de son ardeur passée (du temps où il carburait à autre chose que l'eau minérale), à savoir la rencontre de George avec sa femme, période où il prend conscience de sa capacité à capter l'attention en ayant rien à dire, et le moment où son alcoolisme faillit lui coûter la vie avant une révélation divine ; vu la façon dont la séquence est filmée, la plus belle de Stone depuis la charge mortelle d'Alexandre (en y réfléchissant, il aurait pu recycler le plan du Christ portant une bouteille de Vittel de World Trade Center), on peut raisonnablement penser que c'est à travers ce point commun avec l'auteur que s'explique l'adoucissement d'un portrait qu'on pouvait espérer un chouia plus sec. A contrario les scènes déconnectées de l'évolution du personnage n'apportent non seulement rien mais sont filmées assez platement, telle que le fameux bretzel incident dont le placement au sein du métrage, isolé de tout le reste, prouve que même Stone n'était pas convaincu de son intérêt. 

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Après l'affaire du bretzel, on fit suivre W. par le docteur Carter en cas de trachéo urgente


En parlant de déconnectés, des Didier Péron avaient préparé le terrain histoire de se prémunir de l'anomalie qu'est cette petite satire précoce de Bush #2 par un cinéaste soi-disant adorateur de son action au point de l'illustrer dans une fresque historique sur Alex Le Grand. Admirez : "De même que certains analystes politiques s’étaient demandé dans quelle mesure le Fahrenheit 9/11 de Michael Moore n’avait pas aidé à la réélection de George Bush quand il croyait le disqualifier à tout jamais, on devra peut-être imputer la défaite de Barack Obama au W. d’Oliver Stone."
De telles pirouettes rhétoriques se doivent de figurer au programme olympique de patinage artistique. Avancer que Fahrenheit 9/11 a permis la réélection de Bush afin de mieux dénigrer l'action de Stone avec son dernier film, le donnant responsable par avance d'un événement qui n'aura jamais lieu, c'est tutoyer le sublime. Pour Libé, écrire pamphlets et railleries est complètement improductif. Merci Libé.

Restons dans le comique car l'on peut tracer un parallèle entre W. et le récent Coluche, les deux projets parlant rien de moins que de l'accès au pouvoir d'un usurpateur. S'ils partagent la même approche archi-documentée et mettent l'accent sur le charisme de leur protagoniste en dépit d'un examen approfondi des arcanes du pouvoir (Stone, lui, s'y était déjà frotté) leur permettant de briguer de si hautes responsabilités, ils diffèrent dans le traitement de la chose : Stone impose son personnage de la même manière que celui-ci s'impose dans le landerneau électoral, la mise en scène étant alternativement effacée puis subitement grossière, tandis que De Caunes ne variait aucunement un filmage destiné à montrer comment Coluche faisait parti des meubles, était indissociable de son époque. Les premières scènes des deux bandes parlent d'ailleurs d'elles-mêmes : Stone offre un gros plan sur Josh Brolin dès le premier photogramme, puis un long travelling arrière et circulaire, comme pour signifier que dorénavant on devra accepter ce type comme sommité autour de laquelle gravitera le monde, tandis que De Caunes multipliait les plans de dos et travellings latéraux reculant le plus possible le moment fatidique où il doit révéler qu'en fait c'est pas vraiment Coluche sur scène. 
Toujours dans le registre comique, il faut noter que ces réacs d'américains qui font rien qu'à faire des films de propagande pour l'Oncle Sam ont produit en 2006 un long-métrage montrant comment un comique de télévision accédait à la Maison Blanche. Man Of The Year de Barry Levinson est en quelques sortes le croisement de W. et de Coluche. L'aspect fictionnel permettait au personnage principal incarné par Robin Williams de s'interroger sur la légitimité d'un quidam à exercer le pouvoir, réflexion que l'on ne trouve hélas pas dans l'opus de Stone (tout bonnement parce que l'entourage de Bush n'avait aucune raison à remettre ceci en question) et trop peu dans celui de De Caunes (tout juste compte-t-on la dispute avec Reiser). On remercie donc Canal + qui le diffuse ce mois-ci après deux années d'invisibilité (une comédie politique avec Robin Williams par le réalisateur de Rain Man, c'était vraisemblablement pas assez vendeur pour sortir dans nos salles française de spectateurs ouverts et cultivés que nous sommes).

Mais vous attendez fébrilement l'inestimable avis de Didier Péron sur le nouveau Stone. Alors ouf, on est soulagé, la fourbe entreprise a échoué, Obama a gagné ! Reste le film, donc, et là on savoure : "La facture de la mise en scène est par ailleurs d’une laideur indigne". Face à un jugement aussi juste qu'argumenté nous tenons à préciser que Péron est celui qui a vu, par exemple, de "l'audace expérimentale" dans des scènes de vingt minutes caméra à l'épaule de La Graine Et Le Mulet montrant un enfant ne voulant pas faire sur son pot et ses parents répéter en boucle les deux phrases apprises lors de la répète de l'impro, et vu de "l'ambition" quand ces dites scènes aux enjeux dramatiques absolument complexes (mais il va caguer ou non ?!) étaient étirées sur deux bobines pour mieux éviter d'aborder le réel sujet du film. Ça laisse songeur. Ha oui, précisons évidemment qu'à aucun moment l'auteur ne se remet en question sur le rapport Stone / Bush, car, il fallait s'y attendre, "difficile d’imaginer film plus authentiquement inutile" que W.. Pourquoi inutile ? Allez savoir, le refoulement est un processus complexe.

6/10
W.
Réalisateur : Oliver Stone
Scénario : Stanley Weiser
Production : Bill Block, Moritz Borman, Ethan Smithh
Photo : Phedon Papamichael
Montage : Alexis Chavez & Julie Monroe
Bande originale : Paul Cantelon
Origine : USA / Hong Kong
Durée : 2h00
Sortie française : 29 octobre 2008




   

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