Une Affaire D'État
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- Critique par Nicolas Zugasti le 3 décembre 2009
Barbouzeland
Qu’attendre d’un réalisateur de retour d’un exil peu convaincant outre-atlantique, des scénaristes de son premier film, Maléfique, qui se sont entre temps aguerris sur les synopsis de Astérix Aux Jeux Olympiques et Bienvenue Chez Les Ch’tis, d’une première séquence dévoilant l’explosion d’un avion dans une gerbe d’effets spéciaux approximatifs…?
Tout simplement une bonne petite claque dans ta gueule de chien d’incrédule.
Décidément, nous assistons à une convergence de faits et de leur représentation cinématographique vraiment étonnante. Après le District 9 de monsieur Besson, voilà que le phénomène de synchronicité s’invite à l’occasion de la sortie d’Une Affaire d’Etat de Eric Valette dont le contexte fictionnel trouve un écho inattendu dans l’actualité brûlante. Décès d’Omar Bongo le 7 juin 2009, procès de l’Angolagate et condamnation le 27 octobre 2009 de monsieur Pasqua (entre autres), soit la résurgence de pratiques occultes maintenant disparues (vraiment ?) que le film de Valette se propose de mettre en lumière. Non pas pour livrer une simple et simpliste charge dénonciatrice mais bien pour nourrir un récit initiatique incroyablement dense renvoyant avec efficience et un égal bonheur aux plus grandes réussites des films de complot des années 70, qu’ils soient américains (Pakula, Siegel, Pollack) ou français (Boisset, Verneuil, Gavras).
Adaptant le roman de Dominique Manotti Nos Fantastiques Années Fric, Eric Névé le producteur, le réalisateur et ses scénaristes, Alexandre Charlot et Franck Magnier (quand même les gars, pourquoi Astérix 3 ?!) déplacent son action située dans les années 80 en pleine guerre Iran / Irak pour aborder de plein fouet et contemporainement les réseaux politiques, économiques et financiers unissant l’Afrique et la France. A ce titre, le montage post-première séquence souligne intelligemment et intelligiblement ces liens en faisant se succéder plans d’archives d’africains armés ou de population meurtries par la faim et la violence et plans d'institutions françaises où se prennent décisions politiques et économiques. Oui, Une Affaire d’Etat s’ébat dans les eaux troubles de ce que l’ancien président de Côte d’Ivoire, Houphoüet Bouani, désignait par le terme de Françafrique et que le candidat à la présidence monsieur Sarkozy affirmait en 2006 vouloir réformer : "Il nous faut construire une relation nouvelle, assainie, décomplexée, équilibrée, débarrassée des scories du passé et de ses obsolescences."
Seulement voilà , cette volonté électorale vola rapidement en éclats lorsque notre Président, au cours de la remise de la Légion d’Honneur à Robert Bourgi, se fendit d’un cristallin hommage au Monsieur Afrique de De Gaule, Jacques Foccart : "Je sais, cher Robert, pouvoir continuer à compter sur ta participation à la politique étrangère de la France, avec efficacité et discrétion. Je sais que, sur ce terrain de l'efficacité et de la discrétion, tu as eu le meilleur des professeurs et que tu n'es pas homme à oublier les conseils de celui te conseillait jadis, de “rester à l'ombre, pour ne pas attraper de coup de soleil'. Sous le chaud soleil africain, ce n'est pas une vaine précaution. Jacques Foccart avait bien raison."L’acceptation, par le Général, des indépendances successives des colonies françaises en Afrique fut ainsi parasitée par cette éminence grise chargée de maintenir une partie de ce continent sous tutelle politique de la France par le biais de soutiens ou mises au pouvoir de régimes favorables à la République. L’actualité réveille donc des souvenirs que la fiction va s’ingénier à mettre en scène avec précision, le personnage de Bornant (André Dussolier) étant un décalque à peine masqué de Foccart. La Françafrique en ligne de mire, le film a l’intelligence de ne pas dater le déroulement de l’action induisant de facto la permanence, dans la réalité, des évènements racontés.
Un avion transportant des armes destinées aux rebelles congolais explose en plein vol. La nouvelle commande est cette fois-ci assortie d’une prise d’otage de soldats français. Va alors se mettre en branle une machination infernale actionnant des leviers commerciaux et politiques pour satisfaire aux exigences des insurgés, la libération providentielle des otages étant envisagée comme un atout majeur dans l’influence de l’opinion publique en vue d’une réélection. C’est donc Bornant qui est chargé de mener l’opération tout en contrecarrant les manipulations de Macquart, son rival de la D.C.R.I (ex R.G et D.S.T), et les trahisons dans son propre clan. Cet équilibre déjà bien fragilisé va peu à peu se briser à mesure que son homme de main, Michel Fernandez, tentera de masquer des erreurs de parcours (meurtre d’une call-girl et de son complice maître-chanteur) qui lanceront dans l’arène les policiers de la section criminelle du capitaine Bonfis et de sa nouvelle collègue, l’impétueuse et extrémiste lieutenante Chahyd.
Les instigateurs de ce modeste projet (en terme budgétaire) cinématographique vont s’en tenir aux tractations nébuleuses sur le territoire et évacuent le contre-champ africain qui sera rappelé au détour de flash infos ou de renseignements échangés. Terrible constat que l’enjeu véritable relègue l’humain au hors-champ. Il faut à tout prix préserver sa stratégie et donc la face. Un récit noir qui va multiplier les enjeux et les personnages mais qui ne perdra jamais le spectateur tant la construction maîtrisée rend cette complexité apparente limpide. Tout s’enchaîne avec fluidité et cohérence et rappelle même le foisonnement des lignes narratives s'emmêlant avec précision de James Ellroy, référence affichée de l’équipe scénaristique. Si son influence transparaît formellement peu à l’écran, il n’en reste pas moins que l'entrecroisement décisif de mini arches narratives sans liens apparents est digne du mad dog.
Le film s’avère en outre un formidable récit initiatique pour ses trois personnages principaux. On assiste ainsi à la déchéance de Bornant qui fait l’apprentissage de la solitude du pouvoir, lâché par ceux sur qui il pensait pouvoir compter. Chahyd (Rachida Brakni) expérimente quant à elle les méthodes biaisées des services des Renseignements Intérieurs. Tandis que Fernandez (Thierry Frémont) est le curseur en perpétuel déplacement dont les actions le méneront de l’ombre des commanditaires à la lumière de la rue, de Bornant et la maquerelle Mado à la lieutenante Chahyd. Ses bourdes entraînant peu à peu un renversement des forces : Chahyd est ainsi poussée à intégrer la D.C.R.I et son opacité pour conserver la mainmise sur l’affaire et les tractations de Bornant sont de plus en plus dangereusement mises à jour. Un renversement de valeurs qui atteint même le spectateur puisque Fernandez apparaît de moins en moins comme la machine à tuer froidement que l’on nous avait présenté. Un personnage pivot et donc essentiel mais cela ne semblait pas une évidence pour tout le monde lors de la recherche de fonds auprès des chaînes de télévisions comme Valette le dévoilait lors d’une interview accordée à l’excellent blog Klr-obscur : "...Thierry Frémont qui est un immense acteur de cinéma malheureusement trop peu utilisé. C’est d’ailleurs son personnage qui a fait qu’on n’a aucun financement de la part des chaînes hertziennes. Elles ont toutes lues le script, elles l’ont trouvé vachement bien, rythmé, plein de suspens, mais toutes nous ont posées les mêmes questions : « A quoi sert ce type Fernandez?» et « Pourquoi ne pas s’en tenir à l’affrontement entre le politicien et la flic?» "
Les joies de la pensée télévisuelle…
Enfin, il convient de souligner l’utilisation par Valette de ses influences assumées. Le western sert en priorité à caractériser le personnage de Bonfis par l’entremise de deux affiches (magnifiques soit dit en passant) ornant son coin de travail et l’adjonction d’une musique. Il n’en faut pas plus pour comprendre sa personnalité et déterminer son éthique. La reprise du thème musical du Retour De Ringo (composé par… Ennio Morricone, who else?) qui lui est ainsi associé permettra par ailleurs de marquer le changement de tempérament de Chahyd. Si nous sommes loin d’un western urbain à la Carpenter, on ressent tout de même l’importance de ce genre pour le réalisateur qui, au-delà des références explicitement affichées, utilise son imagerie lors de la scène d’escorte de Fernandez jusqu’à son train. Surtout, il envisage le western (italien, plus particulièrement) comme moyen d’expression idéal pour éprouver toutes les comploteries puisque comme ce genre, le film, par l’intermédiaire de ses protagonistes, aborde frontalement les problématiques posées.
Sans fioritures ni affèteries formelles, Une Affaire D’Etat se définit également par un rythme soutenu (1 heure 39 pour une histoire d’une telle ampleur), une brutalité explosive et dont le maniérisme – la façon de filmer des personnages isolés dans des lieux publics désertés, des allées et venues ou des conversations entre deux portes rappelle Pakula ou Pollack - n’est jamais rédhibitoire. L’action se situe à Paris mais on a l’impression par endroits d’être à Washington.
UNE AFFAIRE D’ÉTAT
Réalisateur : Eric Valette
Scénario : Alexandre Charlot, Franck Magnier et Eric Valette d'après le roman de Dominique Manoletti
Producteurs : Eric Névé
Photo : Vincent Mathias
Montage : Fabrice Rouaud
Bande originale : Noko 440
Origine : France
Durée : 1h39
Sortie française : 25 novembre 2009