True Grit
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- Critique par Guénaël Eveno le 1 mars 2011
Mattie au pays des cow-boys
Suite au meurtre crapuleux de son père, la jeune Mattie Ross engage un marshall fédéral pour l’aider à ramener le coupable et le faire pendre. Mais même pour une gamine aussi déterminée, il n’est pas de routes plus dangereuses que les étendues de l’Amérique de 1870.
Et il n’y a assurément pas de compagnie plus pittoresque que celle des personnages du nouveau film des frères Coen, premier western dans le fond, mais pas dans l’esprit, du duo de cinéastes au talent le plus redouté à l’Ouest du cinéma.
Mattie Ross, jeune fille de 14 ans résolue et droite comme un i. Le Marshall bavard et buveur de whisky Rooster Coghburn, vétéran de la Guerre de Sécession qui en a vu et combattu avec le terrible Général Quantrill. Le Texas Ranger LaBoeuf, 100% pur texan (et élégant) à la poursuite du même gibier de potence que Mattie : le geignard et colérique Tom Chaney qui a rejoint les rangs de la mauvaise troupe de bandits du célèbre Ned Pepper le chanceux. Des personnages désormais immortalisés par le quinté gagnant Haylee Steinfeld, Jeff Bridges, Matt Damon, Josh Brolin et Barry Pepper (au défi de trouver meilleurs choix), mais qui sont nés de la plume de Charles Portis en 1968.
Le roman True Grit est écrit à la première personne selon le point de vue de Mattie. A travers ses souvenirs, on explore l’Amérique post guerre de Sécession comme si on y baignait, dans une retranscription qui frise le témoignage tant les détails, les modes de pensée, d’expression et de vie des habitants du Vieux Sud sont aisément retranscris. Du témoignage du passé dans l'aventure de Matty au constat de la déchéance des grandes figures de l’Ouest, Portis parvient à transmettre une expérience simple et concrète. Devenu un classique instantané, True Grit est adapté l’année suivante par Henry Hathaway avec John Wayne dans le rôle de Rooster Coghburn.
100 Dollars Pour Un Shérif est un bon western qui valu à la coqueluche de l’Amérique (AKA l’homme le plus classe du monde) son premier et unique Oscar, mais l'impact de l'adaptation s’arrête où le classicisme pousse l’intrigue. Reprenant des pans entiers du roman, le film met du temps à démarrer. Il développe une chasse linéaire qui n’évite pas les répétitions et souffre surtout d’un manque cruel de point de vue. Matty Ross est bien présente, parfois même trop, mais le manque de subjectivité de ce qui est relaté nous pousse à suivre une aventure qui ne déparerait pas dans n’importe quel autre western, ce que True Grit est loin d’être, ne serait-ce que par son postulat de départ.
En réalisant leur version de True Grit, les frères Coen n’ont pas l’intention d’offrir un remake du film d’Hathaway mais bien celle d’adapter le roman de Charles Portis qui les a profondément marqué. Ils auraient pu aussi se perdre dans un trop plein de déférence mais le résultat, plus que gommer la frilosité de son aîné, parvient à donner vie autant par ses fidélités que ses infidélités à l’esprit de Mattie et à ce qui rendait si unique son point de vue sur les hommes qu’elle rencontrait. Les frères Coen prouvent leur allégeance au roman en démarrant sur ses premières phrases, concises et qui posent l’intrigue mieux que l’aurait fait n’importe quel récit filmé. Ils évitent ainsi de perdre de vue le principal, l’assassinat du père, et posent une réminiscence de ces voix off qui ont semé les introductions de leurs œuvres tournées vers le Sud (Blood Simple ou No Country For Old Men).
Ils termineront également leur film dans la tradition. Entre les deux s’amorce un jeu de pistes qui tend à perdre celui qui connaît le déroulement de l’histoire. Les frangins dispersent les personnages pour doper leur rythme et éviter la répétition, se permettent quelques incursions de leur cru (le docteur) et inséminent le récit d’idées qui mettent du sel dans les rapports des personnages autant que dans le jeu des comédiens (l’épisode de la langue) sans dénaturer un seul instant le propos de l’œuvre d’origine. En lieu et place d’un western classique, on se retrouve face à un hybride qui sait magnifier les étendues de l’Ouest quand le moment s’y prête mais encore plus multiplier les plans rapprochés sur les personnages qui parsèment le parcours de Mattie. Les Coen ne loupent pas une occasion de se poser à hauteur d’homme pour mettre en valeur la maestria de leur direction d’acteurs, la perfection des maquillages, des prestations, du détail dans les accents et les expressions.
Ces hommes de loi et bandits ne déparent pas du "bestiaire Coenien" tel qu’on le connaît, parfois capables de gravité et souvent victimes de leur propre tempérament qui les pousse dans des luttes ridicules. Les affrontements entre Coghburn et LaBoeuf pourraient traîner le film du coté du burlesque, mais la position d’observatrice et le sérieux de Matty permet de les saisir tel qu’ils sont, comme le produit d’un monde qui les a façonné et qui fait ressortir les traits les plus saillants de leur personnalité. Chacun de ses affrontements permet de replacer le contexte et offre au film son âme et sa spécificité dans le genre qui est visité. Il ouvre un œil contemporain sur des hommes passés à l’état de légendes alors qu’ils n’étaient alors que des rustres et des losers pour leurs proches et pour les gens comme Mattie. Si la gamine est beaucoup plus en retrait que son double de 1969, son âme dicte chaque description, enveloppant la réalisation des Coen et déterminant le point de gravité de la caméra.
Tel le Tom Regan de Miller’s Crossing, elle vogue d’un camp à l’autre, dispense les conseils de son ton assuré (juridiquement là où Tom Regan fait dans la politique) et passe son temps à marchander avec le destin alors qu’elle se trouve sur la corde raide. Une inconsciente qui a certes plus la témérité de la jeunesse que le courage de la nécessité de son aîné Coenien, mais qui finit par se prendre elle-même au jeu, dans la mesure de son sérieux. Loin d’être un Hobbit en terre des Elfes, Matty Ross observe pourtant avec un intérêt croissant ce monde dans lequel Tom Chaney l’a emporté en tuant son père. Un monde avec des gens loin d'être bien sous tous rapport, mais qui la forceront souvent à revoir ses jugements.
On pourrait reprocher à ce True Grit de se rapprocher dangereusement des films des frangins qui frisaient le western sans oser s’y perdre. Ce serait négliger le soin de la description et l’authenticité avec lesquels ils revisitent les fusillades, décrivent les morceaux de bravoure, enchaînent les plans magnifiques sur les étendues de la frontière, mais aussi la cinégénie du comportement de ces personnages qui s'affranchit parfois des descriptions de Charles Portis. True Grit transpire le western comme Miller’s Crossing transpirait le film de gangster et comme The Barber suintait le film noir. Comme pour ceux-là , le dernier films des Coen possède, au-delà de l’hommage, cette classe dans la composition des plans et ce soucis du détail qui l’emmènent au-delà de leur genre. Lorsque Carter Burwell nous ressort les traînées musicales douces amères de Fargo et de Miller’s Crossing, on a envie de se poser et d’écouter l’histoire qui se joue devant nous à 100%, dans tout ce qu’elle a de plus pure, de plus inéluctable, de plus romanesque mais aussi étonnamment de plus ouvertement émouvante.
S'il devait ne rester que cette chevauchée sous les étoiles de Coghburn et Mattie poétique au delà des mots, True Grit serait déjà un très bon film. Mais il y a le total, la somme des perfections et l’objet final qui résonne encore longtemps après le générique final. On y retrouve des personnages qui laisseront leur marque et des interactions qui n’ont pas à rougir aux grand aînés. L’Amérique de la Conquête est un pays de légendes que l’imaginaire populaire a contribué à façonner. Un pays que les frères Coen explorent avec le recul qu’on leur connaît mais qu’ils ne pourront jamais se résoudre à démythifier, car il appartient pour eux avant tout au cinéma.
TRUE GRIT
Réalisateurs : Joel & Ethan Coen
Scénario : Joel & Ethan Coen d’après l’œuvre de Charles Portis
Production : Scott Rudin, Joel & Ethan Coen, Steven Spielberg, Robert Graf…
Photo : Roger Deakins
Montage : Roderick Jaynes (Ethan Coen)
Bande Originale : Carter Burwell
Origine : USA
Durée : 1h50
Sortie française : 23 février 2011