Sword Of The Stranger
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- Critique par Nicolas Zugasti le 21 juillet 2009
Rônin des bois
Timoré, Sword Of The Stranger l’est certainement en matière de distribution (une sortie technique expédiée fin mai) mais certainement pas en matière de démonstrations graphiques excessives, faisant du film de Masahiro Andô un digne héritier de Ninja Scroll !
Non, il ne s’agit pas d’une comparaison hasardeuse tant les séquences d’action de Sword Of The Stranger impressionnent et procurent une excitation comparable. Mais c’est définitivement dans sa peinture du contexte politique de l’époque et sa manière de faire vivre ses personnages que le film de Masahiro Andô fait la différence et qu’il s’impose comme la surprise de l’année.
Julien Dupuy dans sa critique du film sur DVDRama se félicitait de la distribution en salles d’animés japonais autres que les valeurs sûres Miyazaki, Otomo, Oshii ou Kon. Un effort louable certes mais qui reste circonscrit à un parc de salles encore trop limité. Si bien que hormis un cercle restreint de connaisseurs ou de cinéphiles curieux, peu auront pu apprécier la première réalisation de Masahiro Andô dans des conditions optimales.
Le film se déroule pendant la période Sengoku (milieu du XVème siècle jusqu’au début du XVIIème siècle) au Japon, époque de troubles sociaux et politiques marquée par le chaos et les guerres de clans. Soulèvements paysans, guerres civiles, disparition d’un pouvoir central, les shoguns perdent toute autorité, une période d’instabilité totale qui voit l’émergence de communautés villageoises au profit de la bourgeoisie et des grands domaines féodaux. C’est dans ce contexte que tente de survivre le jeune orphelin Kotaro, accompagné de son chien Tobimaru. Il va être épaulé par un mystérieux rônin sans nom dont le corps est marqué des stigmates de luttes passées. Kotaro fait de ce samouraï sans maître son protecteur en lui promettant de lui remettre sa seule richesse, une pierre précieuse, si celui-ci le mène sain et sauf auprès du moine qui l’a jusqu’ici recueilli et élevé. Nanashi ("Sans nom" en japonais) accepte et ses talents de combattant ne seront pas de trop car le jeune garçon suscite la convoitise d’une étrange cohorte de guerriers chinois servant la dynastie Ming, des combattants insensibles à la douleur et dont le leader impitoyable, Rarô, est de type européen (grand blond aux yeux bleus).
Avant d’être promu au poste de réalisateur, Masahiro Andô aura montré de grandes dispositions en étant animateur clef sur Jin-Roh, Métropolis ou Ghost In The Shell et participant aux productions de la compagnie Bones telles que Cowboy Bebop ou Full Metal Alchemist. Sword Of The Stranger est donc l’occasion pour lui de faire éclater son talent et il ne loupe pas l’occasion, proposant des scènes de combats totalement hallucinantes de virtuosité, de rapidité et de violence tout en demeurant d’une clarté et lisibilité à toute épreuve. Le découpage est une pure merveille et les aficionados des jump cuts et autres bouillies filmiques en caméra secouée feraient bien de s’en inspirer. La sauvagerie rappelle donc le chef-d’œuvre de Yoshiaki Kawajiri Ninja Scroll et comme lui, Sword Of The Stranger ne nous impose aucune ellipse, le sang gicle, les membres tranchés volent aux quatre coins de l’écran et la vitesse d’exécution masque à peine cette profusion macabre. Cependant, jamais Andô ne s’appesantit sur des plans gores détaillant les dégâts infligés. La violence est purement instinctive, conséquence des talents de combattants tuant pour survivre ou se défendre. Tandis que Ninja Scroll était entièrement dévoué à un récit fantastique initiatique où le héros combattait des démons, Sword Of The Stranger s’attache à une intrigue certes basique voire simpliste (protéger un enfant) mais prend de l’ampleur à mesure de la contextualisation historique. Très peu de dialogues mais le film dépeint parfaitement grâce à ses images les troubles émaillant cette période et notamment les rivalités claniques où le bras droit d’un seigneur voit dans la possession de cet enfant le moyen de prendre le pouvoir. De même, Andô multiplie les plans mettant en scène des paysans observant de loin les combats incessants, molestés par les diverses factions de guerriers ou participant indirectement à l’histoire en aidant Kotaro et Nanashi, soulignant visuellement leur présence de plus en plus importante.A défaut de les propulser dans la tourmente, Masahiro Andô relie significativement le peuple aux événements lors de la première confrontation entre Nanashi et Rarô. Tandis que les deux combattants sur un pont se jaugent avant d’engager le combat, la caméra s’intéresse à un pêcheur à proximité puis à des enfants en train de jouer pour ensuite former un plan large donnant une vue d’ensemble du positionnement de chacun. L’affrontement débutant lorsque la ligne du pêcheur commence à s’enfoncer.
Mais il ne faudrait pas oublier le plus important, la relation unissant le rônin taciturne au garçon dont l’irritation et la colère permanentes masquent une peur et une anxiété à fleur de peau. Le rapport de petit maître à vassal va ainsi se muer en amitié teintée de défiance et illustrera surtout l’évolution de Nanashi qui parviendra à conjurer le trauma l’ayant conduit à sceller d’un cordon son sabre. Nous assistons donc progressivement à la libération psychologique et physique du guerrier qui adviendra finalement lors de vingt dernières minutes époustouflantes où, après la révélation de son drame fondateur au cours d’un flashback, il s’élance et arrache enfin son sabre du fourreau, libérant à la fois ses émotions et sa rage comme le traduit son visage.
Ce samouraï sans maître et sans nom rappelle (dans les postures et la manière d’étirer le temps avant un duel) bien évidemment les personnages incarnés par Eastwood et Bronson chez Sergio Leone. Des références affirmées et assumées par le réalisateur qui enrichissent le métrage. Et plutôt que de construire des personnages figés dans leur légende naissante, il prend le pari de les faire exister à l’écran en rendant leurs corps de celluloïd sensibles à des manifestations physiques comme la faim ou le froid. Ces corps déversant toutes sortes de fluides corporels (sang, urine, sueur) illustrent la prépondérance du langage corporel sur le langage parlé. Le mutisme que s’impose Nanashi en refusant d’utiliser sa lame s’avère plus dramatique que son économie de mots puisqu’il manque de causer la mort du chien de Kotaro. Nier sa véritable nature s’avère donc aussi dangereux que de céder à ses pulsions ou de réfréner son humanité. L’équilibre adviendra aux côtés de ce gamin si spécial, moins pour l’immortalité fantasmée qu’il représente pour les chinois lancés à sa recherche que pour sa capacité à transcender les inimitiés.
Sorti en 2007 dans son pays natal, le film fut plutôt froidement accueilli, quand bien même il renoue avec un chanbara traditionnellement violent. Pas vraiment étonnant vu que Sword Of The Stranger se montre d’une étonnante virulence envers les japonais (ici définis par un racisme patent), envers les autorités, politique comme religieuse. Ainsi, les représentants du bouddhisme sont-ils pétris d'une compromission les poussant à trahir leurs devoirs moraux (protéger Kotaro).
Le racisme, Rarô l’européen y est confronté mais aussi Nanashi. Oui, car l’étranger du titre, c’est lui. La révélation de sa condition intervenant lorsqu’on le montre se laver et se teindre les cheveux avec des baies, seul subterfuge lui permettant d’être enfin accepté.
Plus impressionnant, Masahiro Andô fait de Rarô et Nanashi les seuls dignes dépositaires de la sagesse et d’un code d’honneur en décrépitude dans le chaos ambiant.
Dommage que le format peine quelque peu à rendre encore plus tangible l’ampleur des lignes narratives sous-jacentes, de sorte que l’on se prend à espérer que Sword Of The Stranger, à l’instar de Ninja Scroll ou comme pour Kenshin Le Vagabond ou Samuraï Champloo, fasse l’objet d’une mini-série.
Peu probable étant donné le peu de retentissement dont cette œuvre a bénéficié au Japon ou même à l’international. Concluons avec le fol espoir livré par Masahiro Andô à Julien Dupuy lors d’une interview qui restera sans doute lettre morte :
"Mais je compte surtout sur le public français pour m'aider dans ma carrière. Parce que c'est grâce à l'accueil en France des films de Kitano que le public nippon s'est intéressé à lui en tant que réalisateur. Vous pouvez donc influer sur nos carrières au Japon !"
Vœux pieux que l’on souhaiterait voir se concrétiser le plus tôt possible tant Sword Of The Stranger et son auteur ont le potentiel pour devenir des références incontournables..
SUTORENJIAÂ : MUKO HADAN
Réalisateur : Masahiro Andô
Scénario : Fumihiko Takayama
Production : Masahiko Minami
Photo : Yohei Miyahara
Bande originale : Naoki Sato
Origine : Japon
Durée : 1h43
Sortie française : 27 mai 2009
Commentaires
Je l'avais vu il y a plusieurs années et pour une raison que j'ignore, je croyais me souvenir d'une histoire de frères naufragés qui se seraient retrouvés dans un pays étranger pour s'affronter.
Je l'ai revu à l'instant et à présent, je perçois mieux l'intérêt qu'avait Nanashi à se nouer à ce garçon. Le noeud de son fardeau passé, qu'il avait attaché à son sabre pour se souvenir du meurtre d'un jeune innocent (sous la contrainte de son maître de clan), se délie progressivement au fur et à mesure qu'il rattrape sa faute.
Ce garçon qu'il vient aider se transforme ainsi rapidement en espoir de rédemption et explique le fait que contrairement à la milice chinoise qui souhaite l'immortalité, lui n'aspire qu'à l'amitié.
Dans la version que j'ai revue la VF a ommis explicitement de traduire les dialogues chinois du film, ce que je trouve dommage même si cela accentue le côté "étranger" des personnages.
Je regrette que le scénario soit un poil simple, bien qu'il a le mérite de s'attacher à des nuances de gris. Chacun agit par intérêt.
Merci pour ce compte-rendu.
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