Summer Wars

Un nouvel espoir

Affiche Summer Wars

Addiction, perte de contrôle, confusion identitaire, vie sociale inexistante... Voilà quelques uns des nouveaux croquemitaines d'une société sous ADSL. Avec Summer Wars, Hosoda évacue toute condamnation péremptoire du virtuel pour au contraire saluer le renforcement relationnel qu'il instaure.


Apéros géants, révélations par le site Médiapart des liens entre le ministre Woeth et la milliardaire Bettencourt, clochardisation des pontes et artistes de l'industrie du disque, du cinéma ou des jeux-vidéo ruinés à cause du téléchargement... Autant de répercussions cataclysmiques du Web 2.0 dans le monde réel qui semblent justifier les reportages toujours plus alarmistes (souvenez-vous, ce diable de MEUPORG) et la tentative des gouvernements d'en contrôler les flux. Le film Summer Wars, en mettant en scène la propagation d'un virus s'emparant du monde virtuel de Oz (réseau total puisque régissant les relations sociales, communautaires, commerciales et ludiques de ses adeptes) et menaçant l'intégrité de la plateforme comme celle physique de la population et pas seulement des utilisateurs, semble céder à la panique ambiante. Pourtant, Mamoru Hosoda refuse de verser dans la dénonciation stérile mais préfère s'appuyer sur les épreuves traversées pour démontrer des interactions de plus en plus étroites entre le monde physique et immatériel favorisant l'ouverture aux autres comme à soi-même.

Caractérisé par la fluidité de l'animation et sa richesse thématique, Summer Wars en revanche n'offre rien d'exceptionnel et de révolutionnaire graphiquement et narrativement (attention, cela reste très beau et très bien construit mais il est vrai qu'il se montre moins inventif que Paprika de Satoshi Kon avec lequel Summer Wars entretient de nombreuses et passionnantes correspondances (Cf. Versus n°19). Par contre, il révèle la cohérence de l'univers propre au réalisateur tissé au travers de ses divers travaux. Ainsi, Oz renvoie à la fois à ses Digimon, à son court métrage Superflat Monogram comme à son précédent film La Traversée Du Temps. Comme ce dernier, Summer Wars différencie graphiquement les deux mondes d'action (couleurs criardes et images numériques dans Oz / tons pastels et animation traditionnelle dans la réalité), à l'instar de ce que Hosoda expérimentait pour dépeindre les actions et les sauts de Makoto. D'ailleurs, on peut remarquer un motif commun aux deux films, la bande digitale se détachant d'un fond blanc apparaissant lors des bonds dans le temps de Makoto et entourant la matérialisation graphique de Oz. Instillant ainsi une troublante connexion, comme si pour se déplacer sur la ligne temporelle (symbolisée par cette bande ?), Makoto transitait par le monde viruel de Oz.

Summer Wars
 

Autre motif récurrent, les décomptes horaires émaillant les deux métrages et qu'il faudra déjouer puisqu'ils indiquent le rapprochement inéluctable de leur mort.
Mais les deux anime se distinguent également par la volonté affichée de développer prioritairement le quotidien de ses personnages plutôt que l'élément fantastique, une façon d'illustrer que la vie de tous les jours recèle autant d'expériences inoubliables que celles vécues dans des mondes étranges ou hors du temps. Cependant, avec cet espèce de War Games champêtre que représente Summer Wars, Hosoda ne joue pas la stricte opposition et séparation entre Oz et le domaine familial des Jinouchi, lieu d'action des retrouvailles de tous les membres de la famille. En effet, le réalisateur montre le débordement du virtuel dans le réel non pas en soulignant l'interpénétration de l'un à l'autre par une fusion graphique mais par le biais de subtiles correspondances entre les comportements adoptés dans le réel et le virtuel.

C'est le début de l'été, Kenji, véritable génie des mathématiques, et son meilleur ami tout aussi féru d'informatique sont chargés de programmer et d'administrer Oz. Soit de se plonger pendant plusieurs semaines dans un univers de pixels. Or, la jeune et jolie Natsuki invite Kenji à la suivre à la campagne pour une réunion familiale, l'enjoingnant donc à quitter le virtuel pour le réel. Secrètement amoureux de la lycéenne, Kenji est évidemment aux anges et compte bien profiter de ces quelques jours pour, sinon se faire aimer, du moins se rapprocher d’elle. Tant sentimentalement que physiquement car bien que présents ensemble à l'écran, ils sont à chauqe fois séparés dans le cadre par un élément de décor. Seulement la jeune fille présente Kenji à sa famille comme son fiancé et lui demande de ne pas la laisser tomber en endossant ce rôle (d'amoureux virtuel, donc) pour jouer le jeu jusqu'au bout. Ainsi, le jeune homme, véritable inadapté social sera comme déraciné au milieu de cette communauté dont, à l’instar d’un gamer plongé dans un nouveau jeu, il va devoir intégrer rapidement les règles pour "survivre" à des joutes verbales aussi dynamiques que les combats de Oz. Et tenter au passage d’amadouer le "boss" des lieux, la grand-mère matriarcale, figure tutélaire par excellence, scrutant avec insistance ce pauvre Kenji pour en déterminer les intentions.

De même, Hosoda s'ingénie à rendre la frontière entre deux sphères par nature divergentes de plus en plus ténue par le biais du montage, faisant disparaître la barrière physique représentée par l’écran puisque un seul regard vers lui d’un personnage est suffisant pour y pénétrer ou du moins passer le relais à leurs avatars. De plus, l’urgence de la situation (empêcher l'Intelligence Artificielle "Love Machine" de prendre le contrôle du Net et par ses dérèglements provoquer des dommages sur les infrastructures réelles) fait que la violence déployée dans l’arène virtuelle resurgit voire contamine le réel, comme lorsque Kazuma (King Kazma le super combattant du cyberespace) envoie une superbe droite à son cousin à l’origine de la surchauffe du serveur et qui donc amoindri leurs chances de vaincre.

Tout aussi fascinant est la manière dont Summer Wars invite à reconsidérer le recours à des solutions analogiques au profit de nouvelles formes de coopération plus efficientes, la connexion à un réseau engendrant une solidarité spontanée et immédiate. C’est parfaitement illustré au moment du décès de la grand-mère intervenant peu de temps après que cette dernière ait résolu la première crise provoquée par "Love Machine" en activant son tentaculaire réseau d’influence en multipliant les appels téléphoniques depuis un poste fixe. Une intervention décisive mais pas suffisante pour éradiquer définitivement la menace. Dès lors, ce sont tous les autres membres de la famille qui vont prendre en charge la suite du combat en se branchant à Oz via leurs consoles ou téléphones portables. Une crise de l’analogique très présente puisque l’écran de télévision, cette manière de représenter la réalité est montré comme devenant progressivement obsolète. Alors que toute la famille Jinnouchi se passionnait pour les rencontres de base-ball décisives pour l’obtention du titre national et jouées par un des leurs, ils vont peu à peu s’en désintéresser à mesure de l’ampleur du danger pris par le virus et ainsi préférer les écrans donnant à voir les actions menées dans Oz et leurs éventuelles répercussions concrètes.

Summer Wars
 

Outre les personnages de Kenji et Natsuki, Hosoda exprime son point de vue sur les nouvelles relations instaurées entre le virtuel et le réel permettant de renouer affectivement avec ses proches grâce au personnage de Wabisuke, le malheureux concepteur de l'I.A Love Machine dont la fonction a été détournée par les applications de l'armée américaine. Wabisuke est le prototype même du beau ténébreux mais dont la souffrance intérieure vient contraster le caractère taciturne et limite cliché. En créant cette entité qui a échappé à son contrôle, il était seulement motivé par le jeu et la création, les deux seuls palliatifs à sa portée pour échapper à un isolement qu’il impose et s’impose. Wabisuke s’est exilé aux Etats-Unis après avoir vu son honneur bafoué et si son invention devait lui apporter une reconnaissance professionnelle légitime, il recherchait plus vraisemblablement l’attention de ses proche et surtout la réconciliation et la fierté de sa famille. L’I.A qu'il amise au point n’est-elle pas dénommée "Love Machine", un programme destiné, en quelque sorte, à "fabriquer" de l’amour (propre, des siens, de ses confrères) ?

Enfin, impossible de ne pas évoquer le traumatisme de la bombe qui sous-tend de nombreuses oeuvres nippones et encore plus marqué que dans La Traversée Du Temps (oui, je persiste mais avec Summer Wars, difficile de nier l'évidence). Le film de Hosoda, par le développement du monde virtuel de Oz s'applique à en faire une forme d’échappatoire à une certaine pression sociale et catharsis d’un traumatisme national et sociétal. "Love Machine" s’échinant à précipiter un satellite sur une centrale nucléaire impose une vision d’apocalypse renvoyant au cauchemar de la bombe atomique. D'ailleurs Oz est constitué d'avatars tous plus kawaï les uns que les autres et, on l'a vu, est une émanation du Superflat Monogram. Le Superflat, ce mouvement artistique contemporain recherchant une superficialité protectrice en agglomérant divers élément de la culture pop et otaku. Un mélange de styles renvoyant à la confusion identitaire de la nation. Et c'est surtout cette menace d'une indifférenciation qu'illustre Summer Wars lorsque l'infection de Love Machine se matérialise d'abord par un sourire carnassier barrant le visage des avatars touchés puis lorsque ceux-ci viennent accroître la masse corporelle de l'I.A dans une absorption totale et radicale annihilant toute individualité. Avec Summer Wars, Hosoda fait le pari que derrière puis de l'autre côté de l'écran, un autre monde est possible et que tout univers immatériel n'est pas l'ultime refuge pour oublier ses traumatismes (individuel ou collectif) mais bien comme le meilleur moyen pour les dépasser.

Comme le disait le colonel Quaritch, nous ne sommes plus dans le Kansas. Pour autant, Oz ou par extension l'Internet tel que nous le connaissons n'est pas un lieu de perdition.

7/10
TOKI O KAKERU SHÔJO
Réalisateur : Mamoru Hosoda
Scénario : Satoko Okudera
Producteurs : Takuya Ito, Seiji Okuda, Yuichiro Sato, Nozomu Takahashi, Takafumi Xatanabe
Montage : Shigeru Nishiyama
Bande originale : Akihiko Matsumoto
Origine : Japon
Durée : 1h54
Sortie française : 09 juin 2010




   

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