Soyez Sympas Rembobinez

Magnéto cierge

Affiche Soyez Sympas Rembobinez

En se filmant dans son salon avec un Rubik's Cube, Michel Gondry crée l’événement. Fatalement, quand il propose de refaire des classiques hollywoodiens à sa sauce, tous les fans du bonhomme frétillent d'excitation.


Enfin, pas exactement tous les fans. En effet, comment le public bobo appréciant Gondry pour son approche arty et système D du cinéma allait gérer pareil blasphème : un hommage aux bandes des décennies passées destinées aux masses vulgaires telles que
RoboCop, Ghostbusters et Rocky ?
Si certains ont trouvé la parade en arguant que le cinéma n'est pas fait pour oublier la réalité (ce qui n'est ni le propos de Gondry ni des auteurs oeuvrant dans l'imaginaire, bien au contraire, il n'y a qu'à… heu, voir
Be Kind Rewind pour s'en convaincre), d'autres préféreront apprécier une gentille blague potache doublée d'une critique hélas inoffensive des studios et leur maniaquerie des droits et autorisations. Et surtout un manifeste ludique pour un cinéma fédérateur, divertissant (qui ne veut pas dire aliénant), capable de titiller l'intérêt du plus grand nombre sans sombrer dans le nivellement par le bas, tout en impliquant le public dans le processus. En l'occurrence ici, les habitants d'un quartier mettent la main au carton-pâte pour produire un film sur la vie du jazzman Fats Waller, égayant ainsi le quotidien dans le block (un peu comme dans Ze Film, en plus joli tout de même).

Gondry a eu la pertinence (ou l'opportunisme si on voit le mal partout) de lancer ce projet alors que les films faits à la maison (et surtout faits à l'arrache) pullulent depuis quelques années sur les sites tels que YouTube, ont leurs propres stars, codes et festivals. Le succès rencontré par ces vidéos montre que le spectateur lambda peut aisément faire abstraction des déficiences techniques et artistiques si elles sont compensées par ce qui manque le plus aux productions actuelles : la chaleur humaine et la spontanéité. Lassé des produits scientifiquement conçus par une armée de marketeux et des égo-trips d'artistes autistes, le public post-moderne se fabrique ses propres films pour mieux se réapproprier des œuvres dont il a l'impression qu'on fait tout pour l'empêcher de les voir, ou alors avec une bonne dose de culpabilité (rappelons que découvrir des films aujourd'hui est un privilège de riches qui passe par des messages nous traitant de voleur
sur DVD, de pirate potentiel au cinéma - nous demandant également de faire de la délation - , que jouer aux héros de notre enfance devant une caméra est passible d'amendes, qu'organiser des projections privées peut être perçu comme de la concurrence déloyale envers les distributeur, etc. Et passons sur les impostures critiques ordonnant à l'audience d'adorer ou détester des productions selon des motivations trop obscures). Bref, à une époque ou l'art et les cultures sont sous la croupe de juristes, Soyez Sympas Rembobinez arrive à point nommé, comme un grand cri d'amour de geek arguant que les films appartiennent avant tout aux spectateurs (n'est-ce pas George ?). 

Soyez Sympas Rembobinez
Complètement Def, Mos a plein d'alu


Mais paradoxalement, c'est la spontanéité qui manque au dernier opus de l'auteur de
La Science Des Rêves. Le premier chapitre en est symptomatique : le magnétisme du personnage de Jack Black n'est qu'un prétexte pour justifier le concept du film, à savoir la fabrication des inventifs tournés-montés suédées de films célèbres, comment ils vont faire de leurs auteurs des vedettes locales, et in fine permettre à un quartier de se rassembler autour d'un film. Or cette mise en place est bien trop brouillonne pour que l'on y pénètre pleinement, baladé entre des séquences à l'intérêt relatif (le graphe dans le tunnel, la pisse aimantée), des personnages mal présentés (Jack Black ne doit pas pénétrer le vidéo-club bien avant d'être magnétisé, pourquoi ?), un sabotage paraissant moins important que le gag visuel qui le précède, et une scène pivot existant juste parce que Jerry (Black) décide comme ça de changer toutes les cassettes de place. Beaucoup d'approximations à l'écriture qui gênent l'adhésion au récit, accentuant du coup l'aspect concept du métrage ("on suède des films et c'est cool") plus que l'œuvre à part entière et le propos qu'elle comptait soutenir.
Propos qui, comme stipulé auparavant, ne vas pas au bout de l'idée de départ purement géniale de
Be Kind Rewind. Car au lieu d'embrasser la réflexion moderniste que ce courant appelle, Gondry préfère recentrer son film vers la fable sociale de quartier maintes fois vue, sans chercher à questionner davantage le phénomène. Tout comme la charge contre la sclérose des studios, bazardée en une petite scène, hilarante et bien sentie certes, mais à l'esprit satyrique amoindri par l'absence de conséquence de cette intervention ubuesque (mais crédible !) des costards-cravates sur la fermeture du vidéo-club (because destruction de l'immeuble).

Comme quoi, entre une proposition initiale pleine de bonnes promesses et un scripte permettant d'en exploiter toutes les ressources, il y a un monde que Gondry ne réussit malheureusement pas à atteindre. Restent tout de même des séquences gavées d'idées ingénieuses (
Men In Black suédé, sublime), un plan-séquence assez monstrueux, de jolies scènes portées par des comédiens impeccables (notamment Mos Def et Mélonie Diaz) et un plaisir de tourner qui ne se dément jamais (Gondry, infatigable, va même jusqu'à s'auto-suéder, et ça c'est grand !), en adéquation avec l'amour évident que porte le cinéaste au cinéma (c'est bête à dire mais y en a, on dirait que ça les emmerde de faire des films).
Mais après les deux baffes virtuoses et émotionnelles qu'étaient
Eternal Sunshine et La Science Des Rêves, on peut être déçu par cet opus plus proche de Human Nature, d'autant que le pitch devait littéralement terrasser d'extase les fans que nous sommes. Tant pis, la prochaine fois.

5/10

BE KIND REWIND
Réalisateur : Michel Gondry
Scénario : Michel Gondry

Production : Georges Bermann, Julie Fong, Raffi Adlan…
Photo : Ellen Kuras
Montage : Jeff Buchanan
Bande originale : Jean-Michel Bernard
Origine : USA

Durée : 1h41
Sortie française : 5 mars 2008




   

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