Fighter
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- Critique par Nicolas Zugasti le 8 avril 2011
Poing d'équilibre
Comment trouver sa place, comment parvenir à l’équilibre professionnel et personnel au sein d’une famille envahissante ? Une question qui s’impose à Micki Ward dont la vie hors et sur le ring est régentée par son entourage familial et une notion que David O. Russel applique à sa mise en scène.
Initialement destiné à Darren Aronofsky, qui en avait développé le scénario et ici toujours crédité en tant que producteur, l'histoire véridique de l'ascension tumultueuse du boxeur Micky Ward échoie à David O. Russel dont on avait perdu la trace depuis le remarquable Les Rois Du Désert en 1999 (I Love Huckabees ? Connais pas...). Lassé par un montage financier problématique différant sans cesse le premier tour de manivelle, Aronofsky en aura plus ou moins adapté certains éléments en les transposant au monde du catch pour les besois de The Wrestler et surtout, lui aura permis de livrer le très controversé et épidermique Black Swan. Un désistement qui aura été profitable à O. Russel puisque ce hit multinominné aux Golden Globes et récompensé aux Oscars par les statuettes sacrant Mélissa Léo et Christian Bale meilleurs second rôles de l'année passée entérine définitivement son retour triomphal. Une information qui n'a pas seulement fonction de faire du remplissage avec du factuel un peu clinquant (ce ne sont pas les prix glanés qui incitent à se déplacer pour un film. Si ?) car ces récompenses sont symptomatiques d'un film où les protagonistes de second plan sont mis en lumière, propulsés sur le devant de la scène.
Cela concerne donc en premier lieu l'entourage sportif et familial de Ward. Habituellement, le manager et la famille restent en retrait pour laisser le champ libre à celui qui arpente le ring. Or, ici tout est chamboulé par le fait que le manager est la propre famille du boxeur. En l'occurrence, une mère envahissante, véritable harpie qui se retrouve en outre déclinée en sept versions plus édulcorées mais non moins rageuses, dans les personnes des sœurs et demi-sœurs de Micky. Une influence, une emprise, également perceptible à travers le personnage du demi-frère, Dicky. Ce dernier n'est plus que l'ombre du boxeur qu'il aurait pu devenir, jouissant et s'illusionnant toujours de son unique exploit (avoir fait tomber le grand Sugar Ray Leonard) faisant de lui la "fierté de Lowell", et qui saisit l'occasion donnée par l'exploitation du potentiel de Micky pour revenir dans la lumière et peut être échapper complètement à la déchéance physique et sociale dans laquelle une consommation aiguë de crack l'a entraîné (un Bale absolument effrayant dans la peau de ce cadavre ambulant, rôle pour lequel il retrouve presque la maigreur terrifiante de The Machinist de Brad Anderson).
Fighter remet également au premier plan, par l'intermédiaire de ce boxeur issu d'un milieu modeste et ouvrier, la population besogneuse de cette bourgade du Massachussets. Plus encore que Rocky, Fighter met en valeur la condition prolétarienne de la ville, les manutentionnaires, les commerçants, les désœuvrés, ayant une forte et importante présence à l'écran. Et un rôle majeur en la personne de la barmaid tombant amoureuse de Micky. On le voit, Russel fait la part belle aux rôles féminins ou irrémédiablement soumis à l'influence et au jugement d'une figure féminine dominatrice, remisant dans l'ombre les hommes tels que le père et l'oncle de Micky qui tentent tant bien que mal de le conseiller, ou plus simplement d'exister, jusqu'à Ward lui-même pourtant au centre de toutes les attentions. C'est d'ailleurs là que réside l'enjeu principal et primordial du film, la reconquête et l'aménagement d'un espace personnel où il pourra à loisir se tourner vers la personne de son choix sans que les inimités diverses ne lui dictent ses choix. Il ne s'agit plus d'aller d'un camp (le giron familial) à un autre (l'amour de sa dulcinée) mais de trouver une certaine harmonie. Parvenir à l'équilibre entre les aspirations personnelles et sportives, entre liberté intime et obligation familiale.
Pour un boxeur, ne pas tomber, ne pas trébucher relève quasiment de l'obsession car c'est un "pas" vers la chute, la défaite. Plus qu'un film de boxe classique et / ou un biopic, Fighter se déploie autour du vacillement qui étreint aussi bien des personnages à la limite de la déchéance physique, sportive, sociale ou familiale, que le récit partagé entre drame familial dans le milieu de la boxe et film de boxe marqué par des relations filiales tumultueuses, ou sa mise en scène. Il est à ce titre intéressant de constater que Russel filme les échanges verbaux entre membres de la famille comme des affrontements et les séquences de combats proprement dites étant l'occasion de renouer des liens.
Le film dans son ensemble est donc en recherche permanente d'équilibre, que se soit dans la représentation d'évènements passés et avérés ou les points de vue adoptés. Ainsi, les images naviguent-elles entre reproduction précises d'archives télévisuelles et pure fiction et dont la mise en abyme se voit renforcé par le reportage de HBO suivant les pas de Dicky le drogué alors que ce dernier croit qu'il s'agit d'un documentaire sur son parcours de champion. Ainsi, le film transpose à l'écran l'interrogation décisive et constitutive de ces principaux protagonistes : Dicky Ecklund a-t-il vraiment fait tomber le grand Sugar Ray Leonard ou celui-ci a-t-il trébuché et, justement, perdu l'équilibre ? Une indécision qui déterminera finalement la position de chacun par rapport à ses rêves ou ses aspirations.
Mais là où le métrage devient véritablement passionnant, c'est dans la mise en scène des trajectoires de Micky Ward et Dicky Ecklund, qui après avoir été divergentes vont à nouveau évoluer en parallèle. C'est tout à fait remarquable lors d'un combat de Micky vécu au téléphone par un Dicky incarcéré, le découpage et les mouvements d'appareils s'ingéniant à faire occuper le même champ d'action aux deux frères, quand bien même ils seraient situés dans des espaces différents. Le ferment commun de ces deux personnages est la boxe. Et Fighter est avant tout le récit d'un double retour à la vie, une double renaissance. Celle de Ward s'émancipant d'une mère castratrice et celle d'Ecklund qui après avoir replongé dans le crack et être repassé par la case prison va retourner ce sevrage imposé à son avantage puisque lui aussi, tel un champion des poids moyen, va s'entraîner, multiplier les efforts physiques pour revenir au top non pas de sa vie sportive mais de son existence. Fighter ou la victoire éclatante des seconds couteaux.
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THE FIGHTER
Réalisateur : David O.Russel
Scénario : Scott Silver, Paul Tamasy, Eric Johnson, Keith Dorrington
Production : Darren Aronofsky, Mark Walhberg, Bob & Harvey Weinstein…
Photo : Hoyte Van Hoytema
Montage : Pamela Martin
Bande Originale : Michael Brook
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h55
Sortie française : 09 mars 2011Â