Dumb & Dumber De
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- Critique par Guillaume Meral le 23 décembre 2014
Trop vieux pour ces conneries ?
Parmi tous les cas de figures susceptibles de déconnecter notre cerveau reptilien de la capacité à raisonner et remettre les choses dans leur contexte, deux exemples se détachent du peloton : un bon gag à base de crise diarrhéique et le retour d’un amour de jeunesse jusque-là figé dans une temporalité évanescente.Â
Vous aurez compris le poids du dilemme s’exerçant sur l’exercice du jugement critique avec la sortie de Dumb & Dumber De, la réunion des deux situations conflictuelles au sein du même bouzin n’aidant clairement pas à jauger objectivement un film par ailleurs (très) loin d’être réussi, mais pas assez raté pour que l’on puise jeter aux gémonies leur instigateurs en écrasant pudiquement une larme de chagrin devant un nouvel exemple de siphonage rétroactif d’un pan emblématique de la culture pop. C’est que dans l’exercice au combien délicat de la séquelle vingt ans après (pas besoin de tirer sur l’ambulance, on connait les victimes), Dumb & Dumber De détonne, met à mal la grille de lecture que l’on a pris l’habitude d’appliquer sur ce genre de projet suintant le cynisme et/ou le manque d’investissement des personnes impliquées, brandissant le retour des talents présents depuis le premier jour comme caution inébranlable à leur bonne foi artistique.Â
De fait, s’il est évident à la vision du film que son existence tient au moins autant à la volonté conjointe des Farrelly et de Jim Carrey de relancer des carrières au creux de la vague qu’à la démarche romantique décrite en interview, le résultat ne respire pas cette connivence calculatrice que l’on a appris à reconnaitre dans ces réunions d’anciens élèves budgétées à coup de dizaines de millions de brouzoufs (choisissez votre devise, la phrase est aussi vraie des deux côtés de l’Atlantique). Au contraire, ce qui ressort le plus de Dumb & Dumber De, c’est justement une angoisse : celle de ne plus être dans le coup, d’être dépassé par leur nombreux épigones qui se sont engouffrés dans la brèche qu’ils ouvrirent en autodidacte avec le premier opus, et surtout celle de plus avoir de public pour rigoler à leurs conneries. Une angoisse qui rejaillit indirectement au travers du pitch de cette nouvelle mouture : alors que Lloyd se réveille d’un état catatonique simulé depuis vingt ans (!), Harry lui révèle ses soucis de santé, suffisamment important pour nécessiter une greffe de reins dans les plus brefs délais. Au même moment, ce dernier apprend qu’il est père d’une fille âgée de vingt ans, et qui pourrait bien lui donner le rein dont il a besoin…
On connait la trajectoire des frères Farrelly, rois Midas de la comédie qui pète à la fin des années 90, progressivement débordés sur leur propre terrain par leurs disciples spirituels, aujourd’hui redevenus simples artisans de l’humour caca-prout, qui a pris entre-temps le temps de se démocratiser au point de devenir la norme sine qua non de la plupart des comédies US sorties sur les écrans ces dix dernières années. Or, c’est bien ce manque de reconnaissance au sein d’une industrie prospérant sur leurs acquis qui semble poser problème aux frangins du Rhode Island depuis maintenant une bonne décennie. Désormais considérés comme suiveurs et non plus meneurs, à plus forte raison que leur tentative d’épurer leur cinéma de l’humour potache qui les caractérisait n’a pas vraiment remporté l’adhésion du public (les pourtant excellent Deux En Un et Terrain d’Entente), le duo est désormais condamné à prendre le train en marche, soumettant la réception de leur films aux standards établis par les nouveaux money makers de l’usine à rêve (voir l’accueil tiédasse réservé au pourtant réjouissant Bon A Tirer, dont le pitch renvoie instantanément à la mouvance Appatow approved). Il n’est probablement pas innocent à cet égard que le film se centre sur la quête d’Harry et Lloyd pour retrouver la fille du premier (qui fait également l’objet de l’affection du dernier), ni même que les circonvolutions de l’intrigue poussent nos deux abrutis préférés à faire rire aux larmes une bande de hipsters dont la moyenne d’âge ne dépasse pas la trentaine. Comme tout un chacun, Harry et Lloyd cherchent leur place dans le monde.
On imagine la douleur que doit causer le désamour du public pour un réalisateur populaire, surtout pour des auteurs qui incarnent ce terme dans sa pureté étymologique comme les Farrelly. Or, si le duo évite judicieusement de céder au jeunisme ambiant pour racheter une popularité en forme de crise de lèse majesté à leurs personnages, c’est bien cette peur absolue que le spectateur se fasse chier qui plombe leur démarche. Fonctionnant sur le modèle de la suite bigger and louder, Dumb & Dumber De ne cesse de refléter la perte de confiance des réalisateurs, visiblement fragilisés par leur déconvenues récentes au box-office, et jouant sur tous les tableaux pour mettre les chances de leurs côtés et récupérer le public qu’ils ont perdu au fil des années : renvois incessants à l’original pour titiller la fibre nostalgique des anciens, surenchère permanente de gags qui se succèdent selon une logique roborative (voir le sonotone de Jeff Daniels, simple prétexte pour que Jim Carrey puisse doigter une vieille), hyperconscience mal digérée de la bêtise des personnages les empêchant d’interagir correctement sur l’inévitable intrigue secondaire… (à une farce aux feux d’artifices prés) De fait, non seulement le film essaye de ménager la chèvre et le chou en entretenant l’intégrité des personnages tout en adoptant une frénésie rythmique qui ne se greffe jamais organiquement au cinéma des frères Farrelly, pas vraiment adapté à l’option roller coaster, mais ceux-ci se retrouvent à jouer sur un terrain qui sollicite presque instinctivement une comparaison ne tournant pas vraiment en leur faveur (Frangins Malgré Eux, le mètre-étalon contemporain de la comédie qui colle). Bien sur, tout cela n’est qu’hypothétique, et loin de nous la prétention de psychanalyser les frères Farrelly à travers une œuvre conçue dans une optique dionysiaque aussi assumée que Dumb & Dumber De. Reste que le film se fait de trop nombreuses fois réquisitoire contre ses auteurs, comme en témoigne ce climax jouant la carte du contraste de manière trop ostentatoire pour être honnêtes (nos deux énergumènes sont confondus avec des éminents scientifiques suite à une série de quiproquos méchamment téléphonés), ou ce générique final mentionnant un scénario écrit à … douze mains ! Preuve qu’il y a bien quelque chose qui ne va pas au royaume des laxatifs tueurs de cuvettes et des petits aveugles caressant des perruches décapitées.
C’est d’autant plus dommage que paradoxalement, les défauts du film rassurent sur le talent de ses instigateurs, qui par intermittence se rappellent à notre bon souvenir lorsqu’ils laissent la connerie de leur personnage s’immiscer naturellement dans la structure adoptée, tel ce faux-départ de l’aventure venant interrompre l’intrigue avec brio. Des fulgurances malheureusement noyées dans un ensemble victime du souci de bien faire trop prononcé pour être spontané. Pourtant tout semble y être : Jim Carrey et Jeff Daniels subliment plus que jamais la bêtise de leurs personnages avec un bonheur communicatif, les recrues s’éclatent dans leurs partitions respectives (Kathleen Turner et le toujours génial Rob Riggle, juste parfaits), et le film réussit même à émouvoir dans sa conclusion lorsque les Farrelly célèbrent la mélancolie qui imprégnait déjà les quelques moments d’introspection de l’original, la bienveillance humaniste du regard des frangins demeurant le meilleur garde-fou contre la bérézina intégrale qui menaçait l’entreprise.
Mais à force de ranimer la magie de jadis au forceps, les Farrelly ne font que confirmer que ce combat n’est plus vraiment le leur, en tous cas pas sous sa forme hyperbolique. Le talent est toujours là , mais le cœur n’y est plus vraiment, et c’est sans doute le constat le plus difficile à tirer d’un film qui en soit n’a rien de franchement antipathique. Comme quoi, à l’instar de tout ce qui paraît facile, régresser avec la manière, c’est vraiment tout un art…
Dumb & Dumber TO
Réalisation : Bobby & Peter Farrelly
Scénario : Bobby & Peter Farrelly, Sean Anders, Mike Cerrone, John Morris & Bennett YellinÂ
Production :Â Bobby & Peter Farrelly, Riza Aziz, Joey McFarland, Bradley Thomas...
Photo : Matthew F. Leonetti
Montage : Steven Rasch
Bande originale : Empire of the Sun
Origine : USA
Durée : 1h49
Sortie française : 17 décembre 2014
Commentaires
C'est pourtant un peu à quoi ressemble ce papier. ^^'
Du coup, j'ai un peu l'impression que la critique a été conçue avec un parti pris déçu d'avance (ça peut se comprendre avec la carrière un peu decrescendo des Farrelly), alors que je trouve que cette suite s'en sort sacrément bien malgré le poids de l'héritage, que le film prend d'ailleurs un malin plaisir à faire exploser souvent juste après avoir joué la carte de la nostalgie.
Je ne comprends pas du tout cette phrase : "surenchère permanente de gags qui se succèdent selon une logique roborative (voir le sonotone de Jeff Daniels, simple prétexte pour que Jim Carrey puisse doigter une vieille)".
Elle semble positive (avec le qualificatif "roborative" notamment) mais la parenthèse semble indiquer le contraire, alors-même que ce gag est énorme ! (c'est là où le film est aussi fort : il arrive à innover, surprendre et donc faire rire même dans le scato/crado)
Enfin bref, je ne crierais pas au chef-d'oeuvre comme pour D&D1, mais je ne comprends pas trop l'accueil réservé à une suite plus qu'honnête et généreuse.
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