Die Hard 4
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- Critique par Nicolas Bonci le 20 juillet 2007
Piège de minables
Quiconque a survécu au visionnage du medley gothique Underworld ne pouvait que craindre le pire à l'annonce d'un Die Hard confié à Len Wiseman. Archétype du cinéaste populaire nouvelle génération, à savoir grand geek auto-proclamé avalant culture pop depuis sa tendre jeunesse, s'intéressant à tout, fan de la première heure, blablablabla, Wiseman refourgue ses "références" au public tel un oiseau la becquée à ses petits : déchiquetées et régurgitées.
Depuis les cas Jackson, Tarantino et Wachowski, il apparaît que c'est un gage suffisant pour devenir cinéaste à Hollywood. Ces années 2000 ont ainsi vu naître des esthètes pops tels que Mark Steven Johnson (les attentats visuels Daredevil et Ghost Rider), Kurt Wimmer (le multi-pompeur Equilibrium et l'ultra naze Ultraviolet, Tim Story (la sitcom Fantastic Four), James Wan (initiateur de la plus longue caméra cachée de l'histoire avec Saw), Eli Roth (Cabin Fever et Hostel), Kerry Conran (le best of synthétique Sky Captain Et Le Monde De Demain) ou encore Zack Snyder (le docteur ès diplomatie qui remake Zombies sans le propos politique, qui adapte 300 sans le propos historique), c'est-à -dire une tripotée de fanboys trop heureux qu'on leur donne les moyens de reproduire ce qui les faisait rêver gamins pour se poser deux secondes les questions nécessaires à une mise en image iconique de leurs sujets.
Et voici donc que le plus atteint d'entre tous succède au grand John McTiernan.
Le travail effectué par McT sur ses Die Hard (et le spin-off officieux mais indispensable Last Action Hero) revêtait une importance considérable tant au niveau de la mise en scène "académique" (Die Hard 1) que de l'introduction dans le cinéma populaire d'une réflexion post-moderne sur la perception de la fiction et du réel (Last Action Hero et le gigantesque Die Hard 3). Si l'on met de côté l'opus 2 exécuté par le bourrin Renny Harlin, on pouvait penser que la boucle était bien bouclée et McClane d'aspirer à une retraite méritée. Ce qui était trop beau.
Il ne fallait évidemment pas ici espérer retrouver les vertiges filmiques de McTiernan. Len Wiseman nous a déjà prouvé par deux fois avec les ténébreux Underworld que ses idées de mise en scène ne dépassaient jamais celles du plus commun des films amateurs. On pouvait donc s'attendre au pire, mais alors à ce point...
Die Hard 4 est un film si moche et débile que l'on ne sait par où commencer, contenant plus d'incohérences que toute la filmographie de Bruno Mattei. Mesurez l'exploit. Les festivités débutent avec un jeune hacker dialoguant sur le Net en utilisant son nom civil comme pseudonyme, mais attention, l'honneur est sauf, il écrit en leetspeak. Apprécions dans la foulée la fine tactique de terroristes qui vont jusqu'à planquer des pains de plastique dans les PC des hackers (qui ne remarquent rien malgré les boîtiers transparents). Et au cas où un kilo de C4 ne serait pas suffisant, un commando attend au coin de la rue. On peut questionner l'intérêt de faire péter des immeubles entiers quand on dispose de tueurs discrets à proximité des cibles, mais les impératifs pyrotechniques de Wiseman ont des raisons que la raison dramaturgique ignore. Ces mêmes terroristes prendront plus tard la peine de se vêtir avec les équipements du FBI, de maquiller un hélicoptère en véhicule du Bureau pour infiltrer en toute quiétude une centrale. Arrivés à la dite centrale et au premier garde croisé, ils sortiront les flingues et dégommeront tout. Cela valait la peine de se camoufler, et au diable le précepte hitchcockien qui veut que pour réussir un film il faut réussir les méchants. A ennemis cons, film con.
Tentons mainteannt de résumer brièvement la séquence du pont, car même avec le recul on ne peut toujours pas y croire : McClane conduit un semi-remorque sous une autoroute surélevée, un F-35 se pointe, et tire un missile sur le camion. Un pilier de l'autoroute s'interpose (parce que les accessoires et éléments de décors interviennent pour sauver McClane en toutes situations. Nous y reviendrons plus tard dans le paragraphe "Objets inanimés et scénaristes, avez-vous une âme ?"), McClane est secoué par l'explosion, l'avion de chasse le chasse, et environ quinze secondes plus tard, plan large (on s'en souviens car ils sont assez rares) : dix kilomètres de route s'effondrent.
Plus tôt, McClane survolait Washington en hélico sans être inquiété par les autorités (hautement improbable), une explosion décidait de pas finir sa course afin de permettre aux deux héros de vivre, McClane fonçait à l'aveugle avec un 4x4 en prenant le risque de renverser le jeune hacker (miraculeusement il n'embarquait que la méchante), McClane encore, sortait de chez Kevin Smith précipitamment et repartait avec une voiture alors qu'il était venu en hélico, sans que rien auparavant ne laisse présager cette action. Pour une fois, cette incohérence pourrait passer pour anodine, si elle n'illustrait l'obsession de Wiseman pour les figures codées du genre au dépens d'une mise en scène cohérente : il désirait la classique scène du héros quittant les lieux décidé et revanchard, il la fait, en dépit des connexions logiques de scène à scène. Ce qui sur le papier n'est pas bien grave, puisque très souvent appliqué, au cinéma se voit ici comme le nez au milieu de la figure :
 "Je suis le héros, je suis colère, je m'en vais casser du bad guy. Ça y est je sus dehors… Bon ben je prends cette voiture et tant pis".
 Alors qu'avec le minimum syndical de mise en scène :
 "Je suis le héros, je suis colère, je fixe le vide en plan rapproché et crée une tension".
Ellipse.
"Je suis le héros, je suis dehors, je prends la caisse de mon nouveau pote qui m'a donné les clés pendant l'ellipse".
Toutes ces pécadilles ne sont qu'un amuse-bouche à côté du traitement de l'anti-héros John McClane, prouvant s'il était nécessaire (et à la vue de l'accueil critique et publique délirant de ce film, il est absolument nécessaire de le rappeler), que Wiseman ne comprend pas grand chose à ce qu'il voit, et donc à ce qu'il filme.
McClane a marqué le public par son aspect "monsieur tout le monde" à l'heure où les Stallone et Schwarzy étaient les gabarits du héros moderne : simple flic, mauvais mari, père de famille dépassé, phobique de l'avion, alcoolique. Ce qui en fait un personnage à part, c'est que si une mouette défèque, ça tombera forcément sur ses pompes. Et à cette tare, vraisemblablement amplifiée par une déformation professionnelle obsessionnelle, il oppose un pragmatisme, un bon sens, une intelligence et un sang froid à toute épreuve, que masquent mal sa nonchalance et sa bad ass attitude de pur cowboy yankee. C'est en cela qu'il est un dur à cuire, un emmerdeur indécrottable qui s'en sort toujours, un "die hard".
C'est surtout pour cela qu'il est un héros.
Ce qu'a retenu Wiseman des Die Hard sont les "pif paf pouf", les "boum bam bim" et les "Yippi kai". Selon lui, McClane se sort toujours des pires situations grâce à une ahurissante chance de cocu, point barre. C'est simple et limpide (enfin autant que le montage puisse nous laisser comprendre ce qu'il se passe) : dans Die Hard 4, John McClane ne vainc jamais grâce sa force ou son intelligence, mais à chaque fois avec le concours d'une chance honteuse : premier face à face avec Matt le jeune hacker, celui-ci lui ment, hop, ses voisins réglés comme des coucous suisses sortent de leur antre pour éventer le mensonge. McClane tire en arrière sans viser... hop, il fait mouche. Il est ensuite en mauvaise posture dans l'appartement, hop, une figurine tombe précisément sur la touche "suppr" de l'ordinateur, déclenche une bombe (là encore grande figure de style wisemannienne : faire intervenir le destin scénaristique pour un climax, c'est déjà limite, mais en plus sur un élément à peine acquis par les spectateurs, c'est-à -dire la touche "suppr" piégée, équivaut aux atrocités qui pullulent dans les scénarii écrits à l'adolescence). Une voiture chute sur les deux héros, hop, deux autres arrivent de derrière et servent d'obstacles. Un hélico rempli de gus armés menace McClane, hop, il fonce avec une voiture contre un pilier, saute en marche en risquant sa vie dans l'hypothèse totalement improbable que la voiture décolle et pulvérise l'hélico. C'est surtout l'idée que l'on se faisait du sang froid et de l'intelligence de McClane qui est pulvérisée.
McClane ne réfléchit donc plus. Il fonce, il dégomme, il casse tout et compte sur le hasard et les malentendus pour réussir. Ainsi, le personnage principal est exactement à l'image de son metteur en scène.
Et parlons-en de la mise en scène... On peut expliquer pourquoi de telles incohérences et ficelles scénaristiques sont les antinomies absolues d'un Die Hard, et surtout de n'importe quel vrai film de cinéma pour peu que l'on ait suffisamment d'amour propre pour ne pas se considérer comme spectateur léger acceptant de donner son argent pour voir des voitures s'envoler sans raison, il y en aura toujours pour vous assurer que "le but de ces films c'est de ne pas réfléchir, mais de kiffer docilement", ignorant que si McTiernan avait abordé ce genre avec le même déni d'intelligence, on ne parlerait plus de John McClane depuis décembre 88.
Le cinéma selon Wiseman se résume à 90 % de gros plans en longues focales ne durant jamais plus d'une seconde et demi, quelque fois des plans américains, mais exclusivement en contre-plongée (tension, menace, mise en valeur, tout ça, sauf que même les perso et actes les plus anodins sont filmés ainsi), qu'il saupoudre quand il y pense de travellings avants rapides au steadycam car c'est de l'action tout de même ! Selon la grammaire wisemannienne, il faut que la caméra fonce vers l'agent du FBI (qui ne sert à rien de tout le film) lorsqu'il déclame la phrase caricaturale qu'on entend dans 92% des fictions policière. Cela ne produit rien, mais ainsi Wiseman a eu sa petite figurine de style. En écho nous aurons droit exactement au même plan lorsque ce même agent enfilera un gilet pare-balle.
L'ironie de cette mise en image limitée se délecte lors de la séquence de McClane contre l'hélicoptère en début de film : les terroristes suivent l'action avec les caméras de sécurité de la ville, et nous pouvons nous rendre compte qu'ils ont, eux, sur leurs moniteurs, de meilleurs points de vue sur l'action que nous, public.
La photo est au diapason, c'est-à -dire hideuse, et cela sans discussion possible, se situant au croisement du téléfilm Est-Allemand de 1974 et du souvenir vidéo HI8 sans balance des couleurs. On passe du vert néon au bleu filtre soleil, sûrement dans l'optique de suivre la voie naturaliste du troisième opus adapté aux machines de prises de vue modernes : le téléphone portable.
A proposer deux heures durant du n'importe quoi filmé au petit bonheur la chance par la seconde équipe, Wiseman devrait bien finir par procurer UN moment de cinéma, un vrai bon moment de pur cinéma. On y croît lors de la séquence où McClane grimpe sur le toit de sa voiture après la série de carambolages. Mis en scène avec emphase et moult travellings circulaires et pompiers, on ose un instant se dire "ça y est, c'est là ", c'est là que Wiseman, d'un éclair de génie lointain, va nous agencer une "jolie scène", voire même une idée de cinéma, proposer un truc, tenter de faire passer un message en se servant uniquement des images. Alors que le grand John McClane de la police de New York porte son regard au loin, survolant tous ces citoyens qu'il a tant de fois sauvés dans l'anonymat, le réalisateur va structurer une belle idée, telle que "ces gens ne savent pas qui est ce chauve debout sur la voiture, mais en fait c'est un putain de héros qui en prend plein la tête pour vous". De l'émotion quoi. De l'Icône. Du Mythe ! Allez Len, vas-y !
Puis McClane descend : "Tous les feux sont verts".
Voilà . C'était pour voir les feux.
Et Wiseman ne proposera rien d'autre, se contentant d'illustrer, ne profitant jamais d'une occasion pour apporter un petit plus. Voir si les feux sont verts, c'est le genre de séquence qui fait rêver les spectateurs pendant des décennies. Des images qui marquent l'nconscient collectif.
Non seulement Wiseman ne sait pas mettre un personnage culte en valeur, mais prend en plus le soin de le détruire pour coller à la politque actuelle de la maison Fox. Tout d'abord en en faisant un gros neuneu qui se jette partout en croisant les doigts, et ensuite en utilisant le seul plan cadré et composé (horriblement mal composé mais composé tout de même) durant la séquence où McClane fait la morale au(x) hacker(s). Vachement yippie kai mother fucker comme attitude.
Histoire de finir sur un sourire, repensons à ce plan ridicule, digne d'un gros Z, où l'on voit stoïquement le pilote du F-35 atterrir en parachute pendant cinq longues secondes, soit quasiment trois fois la durée moyenne d'un plan de Die Hard 4. Tellement grotesque, hors de propos et arythmique que l'on entend presque un executif ordonner : "Des spectateurs se sont plaints après les screen tests, ils veulent savoir ce qui arrivent au gentil pilote ! Allez me tourner ça sur le parking !!").
Gloire soit donc rendue à Len Wiseman, il a réussi l'impossible : tuer John McClane. Sous les vivas de la presse.
LIVE FREE OR DIE HARD
Réalisateur : Len Wiseman
Scénario : Mark Bomback & David Marconi d'après un article de John Carlin
Production : Michael Fottrell, Arnold Rifkin, Bruce Willis, William Wisher Jr…
Photo : Simon Duggan
Montage : Nicolas De Toth
Bande originale : Marco Beltrami
Origine : USA / GB
Durée : 2h10
Sortie française : 4 juillet 2007