Black Christmas
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- Rétroprojection par Nicolas Zugasti le 24 décembre 2009
L'amer Noël
Célébration des valeurs familiales, de fraternité, Noël n'est pas le genre de fête propice aux films d'horreur. Outre les réussites du genre telles que Gremlins ou le dernier Zemeckis prenant pour cadre cet événement, existe un classique oublié. Non, je ne veux pas parler de l'horrible 36 15 Code Père Noël de René Manzor !
La famille, les amis, un cercle intime que la période de Noël est la plus propice à consacrer et renforcer. Ainsi, les films d’horreur prenant pour contexte les fêtes de fin d’année acquièrent un caractère transgressif voire de perversion. Et à ce petit jeu là , le film de Bob Clark, Black Christmas (1974) se montre le plus efficace et surtout le plus dérangeant dans sa manière d’ébranler ces valeurs fondatrices et sécurisantes.
Surtout connu pour son cultissime Porky’s (1982), sorte de délire pré-American Pie et avant de tomber dans le discount filmique (Karaté Dog, oui, oui ça existe !), Bob Clark aura plutôt bien œuvré dans le genre avec Children Shouldn’t Play With Dead Things (1972), farce macabre où une troupe de théâtre est confrontée sur une île aux créatures de Romero et Le Mort-Vivant (1974), histoire d’un soldat mort au Vietnam revenant au pays bouffer ses parents. Et donc ce Black Christmas, véritable pépite quasi oubliée et qui aura pourtant inspirée nombre de réalisateurs.
Le film met en scène une communauté estudiantine de jeunes filles passant Noël loin de leur famille dans une immense demeure située au Canada. L’ambiance est la fête pour des demoiselles ayant reconstituées un semblant de cocon familial autour du sapin et de la figure matriarcale représentée par la propriétaire de la maison. Une harmonie de façade que des personnages masculins vont s’ingénier à perturber et plus encore révéler leurs failles.
Oui, en s’inspirant des giallo de Bava et Argento ou du Psychose d’Hitchcok, Black Christmas pose les bases d’un genre, le slasher, que Vendredi 13 et consorts épuiseront jusqu’à les rendre inopérantes (et c’est pas le remake de Vendredi 13 signé Nispel qui me contredira !). Et si Halloween de Carpenter s’est clairement inspiré de ce film séminal, il ne lui doit pas tout. Big John envisageant The Shape comme l’incarnation du mal absolu s’abattant sur une ville entière (Haddonfield), élargissant le champ d’action de la menace et lui donnant une dimension mythologique. Bob Clark, lui, circonscrit son action à la maison, lieu d’une intimité partagée par les pensionnaires et qui sera "violée" par l’ensemble des personnages masculins et pas seulement le maniaque. Ainsi le père de la première disparue fera office d’élément perturbateur, mettant à jour une sexualité libérée et partagée par toutes (les posters dans la chambre de sa fille étant plus qu’explicites), le personnage de Margot Kidder est une délurée qui n’hésite pas à chauffer un policier chargé de prendre leur déposition, mais aussi le petit ami de Jess, l’héroïne, qui voudra garder l’enfant à naître quand cette dernière ne pense qu’à avorter. Bien évidemment, c’est le tueur se cachant dans leur propre maison qui cristallisera les dangers d’une bienséance à outrance dont les filles tentent de s’isoler, les meurtres perpétrés lui permettant de reconstituer une famille pour lui parfaite, soit intemporelle car figée dans la mort. Une constitution macabre qui prend une tournure des plus perturbantes dès lors que Billy (c’est ainsi qu’il se dénomine) passe des coups de téléphone depuis la maison même et où l’enchevêtrement des voix prises forme une caisse de résonance sur la folie à venir. La menace est déjà présente et elles n’en ont pas conscience. Une idée que Fred Walton reprendra en 1979 pour sa Terreur Sur La Ligne.
A l’image de nombreuses productions des florissantes seventies, Black Christmas génère la peur non pas par des effets démonstratifs mais bien en utilisant la toute puissance du hors-champ et en faisant de son récit un lent et inexorable retour du refoulé. Plus fort, le film instille un malaise qui ira crescendo par le truchement d’une réalisation maîtrisée. Bob Clark va d’emblée mettre en jeu des procédés filmiques attachés à la personne de Billy qu’il reproduira par la suite mais en les appliquant cette fois-ci aux apparitions des autres personnages masculins et notamment les séquences en point de vue subjectif. Une façon plutôt fine et claire de désigner la réelle menace pesant sur une féminité qui a encore du mal, en 1974, a s’exprimer et se libérer. Ce malaise, cette peur indicible, Clark la créée dès le premier plan en nous montrant la bâtisse d’un point de vue extérieur. Rien d’anormal dans ce plan large et fixe jusqu’à ce que la caméra "prenne vie". En effet, elle se déplace vers la maison et l’on entend une respiration. Nous sommes en vue subjective, qui plus est à la place du maniaque puisqu’au lieu d’emprunter la porte, nous pénétrons de force par le grenier. En une première séquence, le réalisateur vient de nous identifier avec l’auteur d’un viol métaphorique.
Une première séquence qui l’air de rien va nous renseigner sur la nature intangible du danger. Bénéficiant d’un hors-champ protecteur, par la suite nous ne verrons du tueur que les mains, les pieds, une forme indéfinie et un œil. De sorte que les attaques seront toujours imprévisibles. D’autant plus que l’absence de toute musique d’accompagnement rend hermétique les spectateurs à tout conditionnement facile et réducteur. Les meurtres sont violents, rapides et les sévices toujours suggérés puisque se déroulant hors de notre vue ce qui en renforcera l’impact. On louera le jusqu’au-boutisme de Clark qui ne nous dévoilera jamais l’origine du mal, ses motivations profondes ou ne serait ce que son visage, transformant ce tueur invisible en véritable "esprit de Noël". En laissant sciemment le tueur dans l’ombre, il renforce l’abstraction d’un récit qui s’attache à mettre à l’épreuve les fondements de la communauté.
On aurait tort de considérer un peu trop rapidement Black Christmas comme le "père" des slashers, puisque s'il en pose les bases et les fondements, s’appuyant en cela sur les motifs hérités du giallo, Clark est moins intéressé par l’enchaînement de massacres toujours plus décérébrés et parfois inventifs que dans la construction d’un récit oppressant.
Et au-delà d’une lecture psychanalytique certes intéressante mais pas suffisante pour en faire un classique, ce film se distingue par une tension générant une ambiance déliquescente qui s’étendra au métrage dans son ensemble que ce soit de manière intra (l’action filmée) ou extra-diégétique (la mise en scène). L’emprise du tueur, de ce Mal, va opérer immédiatement et progresser irrémédiablement. Rappelons que la scène introductive à la neutralité supposée révèle finalement être le point de vue d’un invité inattendu en la personne du tueur, Clark mettant d’emblée le spectateur dans une position des plus inconfortable moralement puisque nous identifiant avec ce maniaque posté à l’affût sous une fenêtre avant de grimper jusqu’au grenier. Mais à la différence de Carpenter qui ouvrait son sublime Halloween d’une manière similaire (une vue subjective mystérieuse)le Mal ou son incarnation immédiate ne sera pas démasqué et son intangibilité persistera.
Comme vu précédemment, nous ne verrons du tueur que des morceaux, son identité et donc son existence restant indéfinie. Cette volonté de réduire la menace à sa plus simple expression (une présence que l’on devine, la sonnerie du téléphone) permet d’instaurer une peur graduelle et insistante, le réalisateur matérialisant la menace au moyen de cadres de plus en plus en resserrés et restreint à l’intérieur de quelques lieux (conservatoire, commissariat et surtout la résidence étudiante) instillant peu à peu un sentiment de claustrophobie, des angles de caméras légèrement en plongée, des plans qui révèleront leur subjectivité après un moment (périlleux pour le rythme) de latence ou des plans et des mouvement d’appareils que l’on peut indifféremment associer au psychopathe ou à Peter.
Outre la réalisation de plus en plus subordonnée aux agissements du tueur, les sensations d’enfermement et de démence se font ressentir par le biais de la bande son faite de tonalités dissonantes et discordantes en parfaite adéquation avec la schizophrénie externalisée (les multiples voix employées) de Billy.
Véritable petit bijou de suspense et de terreur Black Christmas a jusqu’à présent pâtit de l’ombre imposante du chef-d’œuvre de Carpenter pourtant sorti quatre années plus tard. Halloween pouvant même être considéré comme un prolongement au film de Bob Clark, le (même ?) Mal trouve à s’incarner dans l’enveloppe de Michael Myers et s’aventurera cette fois à mettre à l’épreuve tout un quartier résidentiel. Black Christmas a été une source d’inspiration majeure mais impossible de le réduire à cette condition de muse tant sa maîtrise narrative et les prises de risques constantes (pas de résolution définitive, une dernière séquence s’étirant dangereusement) en font un incunable à re-découvrir d’urgence. Et pourquoi pas en famille…
BLACK CHRISTMAS
Réalisateur : Bob Clark
Scénario : Roy Moore
Producteurs : Gerry Arbeid, Bob Clark, Findlay Quinn, Richard Shouten
Photo : Reginald H. Morris
Montage : Stan Cole
Bande originale : Carl Zittrer
Origine : Canada
Durée : 1h38
Sortie française : Non (Canada : 11 octobre 1974 / Etats-Unis : 20 décembre 1974)