Batman & Robin
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- Rétroprojection par Clément Arbrun le 12 septembre 2012
We don’t need another hero?
Le sage l’a dit : les plus "hénaurmes" films naissent de la symbiose des plus fous talents, d’une équation dingue de noms en or (Stone, De Palma et Pacino pour Scarface, par exemple). D’un cocktail d’extrêmes.
Quand il s’agit de créer l’indicible, c’est pareil : le même truc, assurément. Il y a encore plus fantasmagorique que tous ces petits films oubliés dont l’incommensurable potentiel drolatique vous prend soudain à la gorge, au détour d’une brocante… Il y a tous ces monstres de l’industrie, ces machines bourrées de pécule qui ont véhiculé, avec éclat, le pire de leur époque ! Et c’est de ce type de créatures Frankensteinoïdes dont nous allons causer, les enfants. Rangez vos DVD de Serge Korber quelques minutes, asseyez-vous au coin du feu, et écoutez la triste histoire de notre humanité perdue.
Car, oui, tout est une histoire d’addition. Prenez un réalisateur traité de nazi à tout va, un empire commercial assoiffé de produits dérivés pour gosses de sept ans, un scénariste capable de transformer Les Chiens De Paille en Nuits Blanches A Seattle, quelques stars mortes-nées ou bedonnantes, et vous obtenez le kouglof ultime d’une décadente époque. Remember, remember, les glorieuses années 90 ! Joe Dante, prophète fou, l’avait annoncé, sous la forme d’un doigt d’honneur furieusement ludique.
Cette période, qui puise ses codes chez l’anarchiste Gremlins 2, va se nourrir des multiples jeux méta-textuels, du décalage, du rappel constant de la matérialité de l’objet-cinéma au profit du rêve de la fiction. JossWhedon décide que la blonde de service ne crèvera plus dans d’atroces souffrances, mais se retournera contre l’offenseur, dans son univers pop assumé. Kevin Williamson, griffonneur pour la série Dawson, rejoint Wes Craven, déjà amateur de l’intra-textuel (Freddy Sort De La Nuit) et débute un trajet fait de slashers où les boogeymen ne sont plus que les tristes échos d’eux-mêmes, une excuse pour l’accumulation cinéphile de clins d’œil. Shane Black mêle second degré plein de dérision et premier degré des enjeux et de l’impact émotionnel : mais tout n’est pas aussi coordonné que ses scénarios, dans un univers artistique qui frise alors le délit d’œuvres désabusées. Un film comme SexCrimes s’impose et s’assume comme le point limite de la vague de "films à twists". Les héros de pellicule sont conscients de leur situation de "faux", de leur image stéréotypée.
Du coup, s’il vise l’esprit joyeux de la série des années soixante, Joel Schumacher ne fait pourtant pas de son Batman & Robin un héritier digne d’une philosophie décomplexée très sixties, mais un exemple radical de l’état d’esprit d’une décennie. A travers l’étendue de ses incohérences, de ses idioties, de ses fautes de goûts hallucinantes, c’est tout un mode de pensée que ce gros super-hero movie "pas possible" représente. Et oui : rappelez-vous… l’humanité perdue !
Schumacher n’aime pas être détesté. Comme il l’a confié au magazine Première, il espérait plus de l’Europe, ce royaume de la réflexion et du recul (c’est bien connu), compte tenu de l’ambigüité de ses films. Films toujours maladroits, et toujours critiques, aussi, sur la société américaine contemporaine. L’Amérique, terre superficielle et sous tension gavée de fachos et de péteurs de plombs (Chute Libre), de déviances morales et de snuffs à vomir (8 MM), de personnes artificielles et d’hypocrisie puérile (Phone Game), bref, rien de moins inexistant que le fameux "americandream" ! Or, il suffit d’un petit film glauque (8 MM en l’occurrence) pour qu’un obscur journaleux de Libé traite Schumacher tel un assassin récidiviste. La prose est modérée : "Schumacher devrait émigrer en Afghanistan, au pays des talibans coupeurs de mains impies et des femmes claquemurées. Et arrêter, il va sans dire, de faire des films." Joli.Â
Cela étant dit, histoire d’enfoncer le clou après un Batman Forever déjà fort éloigné des élans gothiques d’un Tim Burton, le cinéaste décide d’assumer son mauvais goût et son humour tordu, ses relents masos, en détruisant non pas seulement le mythe américain, mais le mythe du super-héros, iconique et sombre : en fait, Batman & Robin, c’est un peu la plus ouf note d’intention cynique jamais déblatérée. Sidney J. Furie a fait son Superman 4 concon, Schumacher, lui, décide de mixer Bob Kane et La Cage Aux Folles 3 en une symbiose chtarbée ! Il y a une vraie logique, de la part d’un auteur déjà détesté, par le fait de pousser encore plus loin le bouchon, par un sens de la démesure goofy qui laisse pantois. Parce qu’au fond, ce blockbuster roi de la décrédibilisassions est un record.
Record de tous les maux et de la tarte crémeuse dans la tronche, où chaque réplique rappelle le statut fictionnel de tout ce bazar ("Superman bosse seul", la BatCard fait référence au succès de l’épisode précédent et invente le méta-cynisme dans ta tronche) quand il ne s’agit pas, la plupart du temps, de balancer de la boutade peau-de-banane ou du coup de coude ultra-gay. C’est un film pour les gamins, lesquels iront s’acheter des Mister Freeze au plus proche Toys’R’Us. M’kay. Un film de lardons, avec ces insistantes allusions crypto-homos ? L’homme chauve-souris montre ses miches, Robin se prend des râteaux quand il s’agit de s’approcher du décolleté en acier de Batgirl, Bruce Wayne n’est définitivement pas l’homme de toutes les femmes, surtout pas celui d’une Poison Ivy qui questionne son hétérosexualité douteuse.
 Schumacher, déjà as dans le genre du symbolisme typé (Personne N’Est Parfaite. Ce film existe. Si.) pulvérise tout Gus Van Sant en mettant en boîte, dit-il, l’un des films cultes des chevronnés de la Gay Pride. Cool !
Foudroyant les mirettes du public, il prophétise les choix picturaux logiques d’un Steven Soderbergh sur Traffic (le désert c’est jaune, la ville, à la fraîche, c’est bleu-glacial) en étouffant ses scènes soit d’un rouge / rose significatif (un peu plus et c’est une rave party) soit d’un bleu-igloo ou d’un vert fluo, bref, d’un échantillon habilement choisi de colorations flashy de discothèques. Et sans récolter un seul Oscar.
De la même manière qu’un Schrader contribue à la puissance cinématographique d’un Scorsese, Akiva Goldsman, l’un des pires scribouillards au monde (enfoncé, Gene Alarme Fatale Quintano !) transmet son aura à un Schumacher déjà bien parti sur le chemin de la déroute, en accumulant les trouvailles cocasses plus qu’il n’en faut (Schumacher lui aurait même demandé de ne plus en balancer !), possédé par l’esprit de Thierry Roland, moins proche d’un Shane Black que d’un Philippe Clair. En fait, tout en créant l’une des meilleures comédies au monde, Schumacher venge des années de mépris adressé au cinéma hongkongais et à ses séquences anthologiques de fight décrites par la presse comme du grand n’importe quoi : son entertainment à lui use tellement de la suspension d’incrédulité que c’est tout le bouzin qui se retrouve en apesanteur. Messieurs les cinéphiles, vous vouliez, sans l’avouer, pire, et c’est le pire que vous aurez. Cela s’appelle l’altruisme.
Fascinante descente aux enfers que ce film qui ne fera qu’aligner les pires scènes d’humiliation, à l’image de ce Schwarzy définitivement dé-cameronisé qui explose en cabotinage la prestation mythique d’un De Niro sur Les Nerfs A Vif. Les mots de Goldsman naissent dans sa bouche, prennent vie : un peu comme Nicolas Cage se mutile physiquement à longueur de rôles depuis vingt ans, notre John Matrix se suicide à la sauvage, chaussons de gamin aux pieds, dans la peau d’un super-méchant qui est le symbole d’un cynisme folledingue. Freeze, souffrant (?) de la mort de sa femme, est un comique beauf de stand up animant avec ses gros bourrins de serviteurs une chorale, se bagarrant avec Batman et Robin comme s’il s’agissait d’une récré pour collégiens (annonçant The Avengers ?), déguisé en jouet (ces lunettes en plastique de folie !), délaissant une bonne fois pour toute sa dignité au service du portnawak des grands studios. Et quant à sa fuite aérienne, elle fait plus penser, les larmes aux yeux, à l’état d’esprit de la scène finale de La Soupe Aux Choux qu’à un climax hollywoodien.
C’est un plaisir sado-maso pour l’amateur qui reconnaitra en l’auguste film une œuvre-somme de la connerie assumée. Bane se confronte à Batman dans un décor de bonhommes de neige en carton. La scène de transformation, donnant naissance à notre intense bourrin, n’est pas un hommage à James Whale, mais se rapproche dangereusement des séquences à FX des Visiteurs de Jean-Marie Poirée. Cinéaste national majeur auquel Schumacher emprunte parfois quelques belles idées visuelles, tel ce plan où Freeze est vu à travers une loupe. Et si le jeu d’acteur d’Arnie annonçait les audaces d’interprétation d’un Laspalès sur Ma Femme S’Appelle Maurice ? Mais ce n’est pas fini… Un savant fou sorti d’une série Z tente de devancer à lui tout seul l’exubérance de Jim Carrey dans Batman Forever (ce premier Batman par Schumacher est à notre film susnommé ce que le premier Evil Dead est à Evil Dead 2 !). Robin est frigorifié dans une intense séquence dramatique fort proche d’un cartoon… ou de la scène de la langue collée de Dumb & Dumber. Quant aux bad guys joueurs de hockey, c’est Holiday On Ice ! Et personne n’a rien dit à propos du scientifique black coiffé en rasta, certainement échappé de Souviens-Toi L'Été Dernier 2. Quant au duel final entre nos deux gogos, il rappelle avec force émotion les plus belles heures de taloches de Bud Spencer.
Décadentisme, décadentisme que cet état des lieux aux mythes défigurés dans la joie et la bonne humeur, à la vanne carambar cinglante, aux délires visuels Sons & Lumières, aux stars qui ne sont plus que les ectoplasmes d’eux-mêmes, et qui, sous l’angle du réalisateur, deviennent de simples clowns. Thurman, Clooney, Terminator, Michael Cough… Reposez en paix. Reposez en paix pour le restant de vos jours. Fuyez, pauvres fous.
En fin de compte, et si tout cela n’était qu’une satire féroce, un monument de politiquement incorrect sur le monde moderne, qui sait ? Sur la perte d’idéaux dans notre société actuelle ? Un film qui, malgré son cynisme, se termine dans l’héroïsme et la gloire (apparente) ? Batman & Robin serait-il le Dr. Folamour du film d’hommes en collants ? C’était déjà Roland Emmerich qui, dans une entrevue, aurait rapproché son magique Independance Day (autre monument de cynisme 90's !) de la célèbre comédie noire de Kubrick. Les grands esprits se rencontrent. Schumacher, lui, fait encore moins dans le dosage que l’Allemand : après s’être mis à dos les hordes de journalistes expéditifs en chaleur, il fait copain-copain avec des centaines de fanboys peu amoureux de cette vision spécifique du genre. Qu’importe, la bataille valait le coup.
S’il est un exubérant "film honteux préféré" parmi quelques autres spécimens formidables, c’est bien cette grosse machine qui pétarade violemment, accompagné par la musique épique d’Elliot Goldenthal, orchestré par un potache sympathique préférant le popotin de son personnage principal à ses talents de sauveur du monde. Une très belle histoire de cinéma en somme.
Joel, vaya con dios.
BATMAN & ROBIN
Réalisateur : Joel Schumacher
Scénario : Akiva Goldsman
Montage : Dennis Virkler.
Production : Benjamin Melniker, Michael E. Uslan, Peter Macgregro-Scott…
Photographie : Stephen Goldblatt
Bande originale : Elliot Goldenthal
Origine : USA
Durée : 2h05
Sortie française : 9 Juillet 1997