Une semaine dans le PAF #1
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- Dossier par Nicolas Bonci le 13 mai 2009
Le chien
Par un phénomène que ni le CSA ni les plus illustres spécialistes des médias n'ont encore parvenu à expliquer, les émissions consacrées au cinéma à la télévision française ont disparu à mesure que les grandes chaînes s'impliquaient dans la production cinématographique.
Certains avancent, mais on n'ose y croire, que ces groupes médiatiques ne sont pas candides au point de financer des émissions dans lesquelles on moquerait les futures vitrines des dimanches soirs. Si tel était le cas, cela impliquerait en toute logique que ces financeurs seraient si sûrs de la piètre qualité de leurs productions que la moindre exposition critique serait fatalement défavorable, donc autant ne plus jamais parler de cinéma sur les ondes audiovisuelles !
Ce scénario catastrophe n'arrivera heureusement jamais puisque nous sommes la France (exception culturelle et tout le tremblement), mais faisons tout de même un petit état des lieux du traitement du cinéma dans le Paysage Audiovisuel Français pendant qu'il en est encore temps.
LUNDI 6 AVRIL
Heure : 11H55
Canal : Gulli
Nom : Gulli Mag
Concept : "Cinéma, expos, sport, insolites, voyages, découvertes, BD… Gulli Mag, plein les yeux et plein la tête !"
Verdict : La partie cinéma était consacrée à Dragonball Evolution de James "pourtant j'ai fait des bons films" Wong. Alors plein les yeux, oui, plein la tête, y a comme un doute : les deux voix off djeun's offrent aux nabots de l'infomercial bien lisse à base de chiffres et d'anecdotes inutiles censés impressionner la marmaille ("Les producteurs ont attendu vingt ans pour que ça se fasse") et d'approximations propres à tout bon dossier de presse ("Le réalisateur est un spécialiste des effets spéciaux !" Il nous semblait qu'il était surtout scénariste à l'origine). Sans oublier l'éternelle petite distanciation ironique car vendre c'est sympa mais faudrait pas que ça empêche de se moquer de son public ; le chroniqueur ne peut ainsi s'interdire le très classique "les fans seront déçus" sur l'air de "qu'est-ce qu'ils nous emmerdent ces petits cons à toujours chipoter la bouse qu'on leur balance". Extrait : "Les fans sont un peu déçus, notamment à cause de la coupe de cheveux de San Goku, hahahahaha !".
Ha oui c'est drôle. S'il n'y a que ça à critiquer dans cette adaptation alors tout va bien.
Devant ce produit on se souvient avec nostalgie du temps de Télévisator 2, show dans lequel Cyril "Crevette" Drevet nous sommait d'aller découvrir Akira au cinéma.
Maintenant, l'animation japonaise c'est bien, Télérama nous l'a assuré, donc une chaîne orientée jeunesse peut parfaitement conseiller ce spectacle déplorable qu'est Dragonball Evolution sans provoquer l'ire de Famille de France et de Ségolène Royale réunis.
Equivalents papier : Ciné Flash, Pif Gadget, Gulli, Le Mag
Heure : 19H00
Canal : Canal +
Nom : Le Grand Journal
Concept : Grand messe info-promo-culturo-people pour citadins actifs la journée, inactifs le soir. Se dit qu'un temps un esprit animait la chose.
Verdict : Ce jour-là l'überIsabelle Huppert vient présenter la Villa Amalia de Benoît Jacquot. Sitôt la bande-annonce évacuée commence l'exercice favori des présentateurs et chroniqueurs de notre PAF : la contemplation béate de ces majestueux êtres surnaturels que sont les Acteurs, divinités descendues sur Terre pour extirper quelques instants la plèbe à sa lugubre existence. Toute l'interview sera ainsi axée uniquement et exclusivement sur la magnificence de l'art tragique, sur la Passion que choisissent d'endurer les Acteurs pour nous faire rêver, simples pécores que nous sommes, sur leur dévouement pour ne pas dire sacrifice tout entier au Dieu Cinéma devant l'autel de l'Interprétation, que dis-je, de l'Incarnation Absolue.
Michel Denisot : "L'envie de tout recommencer, de renaître, chacun a pu l'avoir au moins une fois dans sa vie, mais c'est aussi le propre de l'actrice."
Isabelle Huppert : "Oui, c'est vrai. Ça pourrait être un film pour une actrice, et sur une actrice."
Marianne Massenet : "Est-ce que c'est lié au fait que pour ce film vous disiez avoir le sentiment de très peu jouer ?"
Huppert : "Oui, mais ça c'est peut-être à cause, ou grâce à Benoît Jacquot, c'est nôtre cinquième film ensemble…".
[…]
Massenet : "Est-ce que vous avez eu du mal à vous défaire de votre personnage, à faire le deuil de votre personnage, il vous accompagne encore longtemps, est-ce que vous eu du mal à faire le deuil de celui-ci ?"
Voilà une question pertinente et rudement logique par rapport à la réponse précédente, preuve que la béatitude permet rarement un échange si ce n'est profond du moins cohérent, ramenant dans le cas présent le dialogue grosso modo à ceci : "Madame son Altesse, permettez : vous avez certes eu l'impression de moins jouer, mais quand même, est-il possible que vous nous régalassiez de ce mythe tarte à la crème de l'actrice endeuillée dans la perte de son personnage ? Pouvez-vous nous servir l'attirail de l'artiste s'infligeant tous les troubles possibles de l'âme au nom de la beauté de son Art ? Pourrez-vous ensuite baigner les pieds meurtris de mon mari invalide ? Ho, Altesse, vous êtes si bonne."
Nous apprenons par la suite qu'Isabelle Huppert n'aime pas qu'on la voit se préparer, information essentielle s'il en est, avant qu'une chroniqueuse quelconque (un des pots de fleur qui fait "hihihi" dans la vidéo de Mozinor sur Gros Luc) révèle qu'une scène impressionnante du film voit l'Actrice se couper les cheveux. Scène "authentique" se doit de préciser Denisot. Rassurez-vous, on ne parle pas de rasage de crâne façon Weaver dans Alien 3, Moore dans GI Jane, Robin Tuney dans Empire Record, Portman dans V Pour Vendetta, etc. Non, on parle d'une coupe au carré. Une simple coupe au carré, rien de plus banal, même s'il ne faut pas ignorer qu'elle est ici "authentique". D'ailleurs Déesse Huppert prend soin de préciser que "ça fait partie de la transformation totale que connaît le personnage", et là De Niro peut aller se rhabiller. Limite on n'aurait pas été étonné d'une distribution au public des mèches tombées au champ d'honneur rythmée par des "Tenez, ceci est mon corps".
Denisot continue : "Alors dans ce film qui est très réussi, très esthétique et très réussi, on ne sent pas le jeu."
Huppert : "J'espère".
Un peu qu'elle espère mon grand, ça fait bien dix minutes qu'on lui répète qu'un coup elle ne joue pas, un coup elle joue tellement qu'il est tout à fait envisageable qu'elle en pleure la fin de son personnage. Tant d'effort pour interpréter un personnage (la coupe au carré) et ne pas savoir comment est finalement perçu son travail dans un film a priori réussi, il ne reste plus que l'espoir pour ne pas vaciller.Â
Arrive l'instant où une chroniqueuse se décide d'utiliser ses fiches pour informer l'audience que l'Actrice, courageuse, a refusé une doublure pour les scènes de natation. "Ben oui je nage bien" rétorque Huppert. "Vous nagez bien et pianotez bien" renchérit Denisot, avant de lancer un sujet sur la difficulté d'être présidente du festival de Cannes…
Au final, douze minutes d'encensement absurde et aveugle de l'entité Acteur, une fainéantise éditoriale cherchant à recréer le lustre, la magie et l'inaccessibilité du monde du cinéma. Peut-être le symptôme que ce dernier ne sait plus engendrer tout ceci par le biais des films seuls.
Equivalents papier : Gala, Première, La Panégyrique Pour Les Nuls
Heure : 19H40
Canal : TPS Star
Nom : Star Mag
Concept : "Emission quotidienne consacrée à la culture en général et au cinéma en particulier, présentée par Valérie Amarou et Eric Naulleau en compagnie d'invités à travers des interviews, un grand débat et des making of exclusifs. Ils sont accompagnés d'une équipe de chroniqueurs…"
Verdict : Après un tunnel humoristique pas drôle de Nicolas Rey sur La Nouvelle Star (notez la valeur de la cible), suit un sujet sur le tournage de Indélébile de Grégoire Vigneron (scénariste de Molière) dans lequel Benoît Magimel démontre au réalisateur à quel point il est toujours un plaisir de travailler avec les Divinités Acteuses : "On me filme pas de dos !", "Mais est-ce qu'il faut faire ce contrechamp ?".
Retour plateau : les invités du soir sont les auteurs de Ne Me Libérez Pas, Je M'en Charge. Fabienne Godet, la réalisatrice, nous dévoile qu'évidemment ce film est né d'une rencontre. A force on finit par se demander comment les projets pourraient naître autrement. Mazazine Pingeot, chroniqueuse, se lance alors dans un soliloque de cinq minutes pour nous apprendre combien ce film l'a troublée philosophiquement. Pourquoi ? Comment ? Quel procédé d'écriture ou de mise en scène a permis ce miracle ? On ne sait pas, ce n'est pas la question : Mazarine est troublée. Elle a aimé. Merci pour l'apport Mazarine.
La suite. Une chroniqueuse lit une succession de news quelconques suivie de la rubrique DVD du métrosexuel Patrick Fabre, qui traite de Jar City de l'Islandais Baltasar Kormakur, "qu'on serait sûrement allé voir au cinéma s'il y avait dedans Brad Pitt ou Johnny Depp". Ambiance... On n'était pas venu pour se faire engueuler, mais bon, continuons, en signalant au passage à monsieur Fabre qu'avant d'insulter son public il aurait peut-être fallu parler de ce long-métrage au moment de sa sortie en salles, vu que c'est malgré tout le rôle des journalistes d'aiguiller vers les œuvres à découvrir. D'autant plus que son discours sur la bande de Kormakur, devant inciter le public mouton à délaisser quelques instant Brad et Johnny, se résume à "C'est pas un film qui vend des meubles pas chers". Car la Suède et l'Islande c'est la même chose, vous êtes d'accord… Quitte à confondre l'Islande avec le reste de la Scandinavie, osons bousculer les clichés arrogants de monsieur Fabre en révélant qu'au pays d'Ikea cela fait longtemps que l'on produit des œuvres loin d'être aussi réductrices que lui, comme, au hasard, Morse ou la trilogie Pusher.
Equivalent papier : Brazil
MARDI 7 AVRIL
Heure : 13H00 (émission podcastée)
Canal : 13ème Rue
Nom : Séance 13
Concept : "Bandes-annonces, interviews, festival... en trois minutes il vous dit tout sur les sorties et l'actualité de l'action et du suspense au septième Art."
Verdict : Nous y retrouvons Fabienne Godet pour son film Ne Me Libérez Pas Je M'en Charge. La révélation du jour concerne l'ancien bandit Michel Vaujour, sujet de ce documentaire, qui a réussi d'après la cinéaste à "transformer cet isolement en solitude"... Rien que ça. On se demandait comment faisait Vaujour pour s'évader, en fait c'est David Copperfield. Sur le tournage il a certainement donné des cours pour transformer le rien en réflexion.
La voix off de l'émission nous apprend que nous avons à faire à "plus qu'un simple portrait, Ne Me Libérez Pas Je M'en Charge est un véritable voyage initiatique, celui d'un homme face à lui-même". Et cet homme face à lui-même de conclure : "J'avais compris que si je voulais retourner à la vie normale, fallait que je sois un homme normal". Ça valait le coup de voyager en classe initiatique.
S'en suit un bref aperçu des sorties de la semaine : Fast & Furious 4 de Justin Lin("Adrénaline, courses poursuites impressionnantes". Un avis ? Non) et Les Cavaliers de l'Apocalypse de Jonas Akerlund("Entre Seven et Le Silence Des Agneaux" se sent obligée de nous préciser la voix avant de spoiler une partie du film. Et un avis ? Non plus).
Equivalent papier : L'Ecran Fantastique
Heure : 22H30
Canal : France 2
Nom : Sorties Ciné
Concept : Revue rapide des sorties du lendemain conçue par Allociné.
Verdict : Présentations de Ponyo Sur La Falaise, Erreur de la Banque en Votre Faveur suivie d'une interviewdes deux réalisateurs Michel Munz et Gérard Bitton, Chéri, avec quelques mots gentils de Michelle Pfeiffer sur Stephen Frears, Villa Amalia (rétro sur Isabelle Huppert et le piano au cinéma : La Pianiste, etc.) et enfin Wendy & Lucy de Kelly Reichardt.
C'est rapide, assez diversifié, remplit son office sans avancer d'inepties (mais toujours sans jugement critique, évidemment).
Equivalent papier : L'Officiel des Loisirs
MERCREDI 8 AVRIL
Heure : 13H00
Canal : France 2
Nom : Le 13H00
Concept : Un sourire figé présente les informations du monde et de la France.
Verdict : En ce jour des sorties cinéma, la rédaction de France 2 nous propose un reportage sur la comédie Erreur de la Banque en Votre Faveur. Rien à se mettre sous la dent, si ce n'est que le film a la chance de sortir dans une période propice à rire de ce milieu, crise financière oblige. Avec 600 000 entrées au total, on n'ose imaginer le résultat d'une exploitation en pleine euphorie boursière.
Equivalent papier : Aujourd'Hui En France
Heure : 20H00
Canal : Ciné Ciné Premier
Nom : On Demande A Voir
Concept : "Pierre Zéni présente les nouveaux films de la semaine avec la participation de chroniqueurs engagés et critiques. Ils sont accompagnés, pendant toute la durée de l'émission d'une personnalité du 7ème Art."
Verdict : Et la personnalité cette semaine est Bertrand Tavernier venu soutenir Dans La Brume Electrique sans oublier de dire rapidement tout le bien qu'il pense de Clint Eastwood. Les bases sont posées.
Le premier film chroniqué est OSS 117 : Rio Ne Répond Plus. Le film de Michel Hazanavicius est assez logiquement adulé par les chroniqueurs, l'un d'eux avançant même que c'est nouveau dans le cinéma français. Hop, tonton Tavernier le rattrape au vol et lui rappelle au bon souvenir d'Eddie Constantine (Ça Va Barder, Cet Homme est Dangereux) engendrant un petit sourire crispé chez le chroniqueur. Le chef Zéni sauve son second avec un très professionnel : "Oui c'est un hommage à ce cinéma-là , des années… soixante". "C'est très superficiel comme humour" défend maintenant une chroniqueuse. Tavernier relâche sa précédente proie et surgit sur la pauvre femme pour lui expliquer que s'il a adoré le premier OSS 117 version Dujardin c'est parce qu'il "détruisait le cinéma d'André Hunnebel, les films les plus calamiteux de l'histoire du cinéma français. Ça détruisait cette façon de tourner, de cadrer. Rien que pour ça je trouve que ce n'est pas du tout creux ! C'était très très astucieux comme regard porté sur un genre de cinéma."
Bertie 2 – Chroniqueurs 0.
La même, pas bégueule, demande ensuite à Tavernier à propos de son nouveau projet : "C'est un film américain, en langage américain. Pourquoi vous êtes allé tourner là -bas ?, vous qui êtes fan de cinéma américain..." On espère qu'elle a trouvé la réponse toute seule à mesure qu'elle lisait sa question.
S'en suivent anecdotes sur le tournage en Louisiane, sur la relation entre le cinéaste et Tommy Lee Jones, une interview de Bruno de Keyser, chef opérateur de Tavernier, sur la spécificité de travailler "à l'américaine". Passage très intéressant de l'émission.
Après cela l'équipe évoque Villa Amalia. Un seul autour de la table se risque à parler de découpage et de mise en scène à propos du dernier Jacquot, c'est… Bertrand Tavernier. Puis un seul tente un rapprochement entre le traitement qu'on fait de ce film avec un autre cinéaste (en l'occurrence Roberto Rossellini), c'est… Bertie ! Forcément.
Zéni, par boutade, lui demande s'il est dispo pour venir enregistrer toutes les deux semaines. Enthousiaste, l'auteur de Coup de Torchon lance qu'il veut bien venir  parler de The Chaser, "superbe film coréen".
L'émission se finit avec un petit sujet sur Fast And Furious 4 par un journaliste à Los Angeles qui a l'air de savoir de quoi il parle, façon Didier Allouch pour ceux qui connaissent.
Bien que pas foncièrement enrichissante pour le cinéphile moyen, on ne peut enlever à l'émission de Zéni et son équipe un mérite qui tend à se faire rare : il y a du débat. Peu d'arguments certes, pas de tentative de réflexions trop longues à développer sur un plateau ou nécessitant des références obscures, reste alors une discussion principalement alimentée par une demi-douzaine de journalistes se contentant de se renvoyer leurs impressions subjectives post-projo. C'est pas Byzance mais au moins on évite les tartines de pommade de la préciosité du septième art.
Equivalent papier : Studio Ciné Live
Suite et conclusion de cette exploration vendredi 15 mai.