Lucky Luke

J'irai comme un cheval fou

Affiche Lucky Luke

Grand fan de Lucky Luke devant l’éternel, James Huth était le réalisateur idéal pour porter à l’écran le personnage de Morris et Goscinny. Serial Lover, Brice De Nice et Hellphone : trois films mal aimés (du public, de la critique ou les deux) qui témoignaient déjà d’un amour sans borne pour les univers colorés aux confins de la bande dessinée et du cartoon, sans jamais délaisser la profondeur de leurs personnages.


Ainsi, l’adepte de la Casse était mis face à son propre ridicule après une première partie célébrant faussement la superficialité tandis que les ados  frimeurs accros aux portables finissaient tous par crever en ne laissant en vie que trois amis au cœur pur…

Derrière l’enrobage bariolé et parfois hystérique du cinéaste se cache toujours un amour indéfectible pour des héros fragiles dont les choix guident constamment le récit. Les films de James Huth, aussi maladroits qu'ils puissent être (certains gags tombent souvent à plat, la structure narrative flanche parfois, des effets de style trop poussifs plombent l’émotion qu’ils sont censés évoquer…), n’en transpirent pas moins à chaque plan de vrais désirs de mise en scène qui en remontrent à bon nombre de réalisateurs franchouillards pour qui comédie rime avec paresse et cynisme. Pas question de reproduire ici les erreurs de l’atroce adaptation des Daltons avec Eric & Ramzy. Epaulé par un Jean Dujardin réellement impliqué dans ce que certains jugeront rapidement comme un véhicule promo à sa gloire, James Huth prend le parti de n’adapter aucune histoire particulière, construisant son scénario à partir de ses propres idées dans le seul but de creuser la personnalité de son poor lonesome cowboy. Si l’on retrouvera bien quelques figures légendaires comme Billy The Kid, Jessy James, Calamity Janes ou Pat Poker (tous admirablement campés, iconiques en diable et hilarants), la star du film reste Lucky Luke lui-même. Pas de Daltons en guise d’éternels nemesis ni de Rantanplan. Seuls les dilemmes intérieurs du shérif qui tire plus vite que son ombre comptent. Qui est-il ? D’où vient-il ? Pourquoi ne tue-t-il jamais ? Plus simplement : pourquoi est-il une légende ?


Lucky Luke
 

Parce qu’une figure intouchable et imbattable est par essence immortelle (le héros est systématiquement capable de désarmer ses ennemis), Huth a compris qu’il lui fallait un adversaire capable de la détruire de l’intérieur pour consolider la dramaturgie de son histoire. En nous révélant dans le pré-générique (hélas expéditif) comment John Luke a obtenu son surnom de Lucky Luke, le réalisateur choisit de remonter aux origines de la légende de l’ouest pour mieux l’égratigner par la suite. Rien de surprenant à ce que l’apparition du gang des tricheurs se fasse dans le reflet d’un verre d’eau dans lequel se dilue de la peinture. Dans un même mouvement, Huth lie Sergio Leone (plan sublime de pur western : univers codifié et mythologique du récit), l’émotion qui va en découler (le rouge couleur du sang qui imprègnera le massacre traumatisant) et les origines du héros (c’est une indienne qui peint, l’amorce du plan nous dévoile Luke déguisé en indien avec des peintures de guerre), débouchant sur ce que ces figures vont finir par incarner (peinture = dessin = bande dessinée  = univers décalé et coloré détournant les codes du genre).
La première partie du métrage va d’ailleurs mettre un point d’honneur à appuyer la dimension iconique de son héros tel qu’il est perçu dans l’inconscient collectif : reprise du fameux plan qui ornait chaque 4ème de couverture, arrivée à Daisy Town présentée sur une peinture recouvrant un décor tout en le prolongeant (superposition de la fiction à la réalité), détournement du logo ornant les collines d’Hollywood…


Le pivot du film interviendra quand Lucky Luke aura l’occasion de venger la mort de ses parents. Soudain, dans un geste totalement inattendu pour tous les fans de l’œuvre originale (même si le génial générique de fin viendra rappeler que oui, Lucky Luke a déjà tué UNE fois dans la BD), l’icône vacille, tombe de son sommet. Le mythe démystifié. Jean Dujardin, jusque là sobre et charismatique, retrouve ses habitudes de personnages looser un peu beauf sur les bords. Son duo avec Alexandra Lamy façon Chouchou et Loulou dans une petite maison dans la prairie jure carrément avec ce qui a précédé, le changement de registre d’humour paraissant bien trop brutal et inapproprié. Rien de trop méchant néanmoins car James Huth n’oublie jamais d’inscrire ses gags dans une logique narrative dans laquelle le héros doute et se voit tel qu’il a peur d’être. On ne pourra que saluer l’utilisation magistrale qui est faite de la voix de Jolly Jumper, cheval fort causant chez Morris et Goscinny devenu désormais une sorte de conscience intérieure que seul le héros peut entendre. De même, la reprise d’un gag  inversé (le cow-boy dormant avec son cheval qu’il prend pour sa Belle puis, plus tard, prenant sa Belle pour son cheval) est loin d’être aussi anodin et vulgaire qu’il n’y paraît au premier abord, permettant de mieux digérer les faiblesses de ce segment central (dont un gag à base d’escargot hérité de Grégoire Moulin Contre L’Humanité).


Lucky Luke
 

La dimension schizophrénique de Lucky Luke ne pourra évidemment se résoudre qu’à l’orée d’un dernier acte jubilatoire où les mythes viendront littéralement sauver le héros et l’obliger à se confronter à ses démons. Après un long égarement (plus ou moins cohérent avec les intentions affichées), le film retrouve subitement sa voie. Jamais James Huth n’avait à ce point utilisé son esthétique comme véritable reflet de la psychologie de ses personnages. Si la séquence du wagon de train enfumé nous mettait déjà la puce à l’oreille (le gag visuel se doublant au final d’une vraie introduction du bad guy dissimulé), ce n’était rien en comparaison avec le climax prenant place dans un casino, symbole parfait de la chance que doit retrouver Luke, avec l’aide de ses trois adversaires / amis (notons au passage le plan assimilant chaque protagoniste à une couleur de carte : le cœur, le carreau, le pique et, bien sûr, le trèfle, symbole de vous savez quoi).
Outre un savoureux double clin d’œil au Crabe Aux Pinces D’Or en guise d’apéritif (un repère caché derrière un mirage, si ça ce n’est pas chatte alors je sais pas ce qu’il vous faut !), la séquence devient le théâtre d’un véritable conflit freudien, jeux de lumières scéniques et citations de Shakespeare à l’appui. L’inventivité avec laquelle le héros passera à travers les différents niveaux du décor comme autant d’épreuves pour retrouver la magnificence de son étoile de shérif (illusions, cercueil symbolique) marie avec brio la fantaisie, le spectaculaire et le sérieux, achevant avec panache cette audacieuse introspection du personnage principal.


Si James Huth et Jean Dujardin ont parfois trahi la bande dessinée, c’est pour mieux en approcher l’essence si particulière, un peu à la manière de ce qu’avait fait Chabat sur Astérix Et Obélix : Mission Cléopâtre, autre adaptation à l’humour très personnel qui n’avait pas reçu autant de critiques à l’époque de sa sortie. Imparfait mais honnête et fait avec passion, ce Lucky Luke tutoie par instants les meilleures histoires dessinées entre 1968 et 1973, quand Morris et Goscinny distillaient une part d’ambiguïté à leur univers enfantin. Ce qui n’est pas un mince exploit après des années de mauvais dessins animés et de BD scénarisées par Laurent Gerra.

6/10
LUCKY LUKE
Réalisateur : James Huth
Scénario : James Huth & Sonja Shilito d'après l'œuvre de René Goscinny

Production : Yves Marmion, Saïd Ben Saïd…
Photo : Stéphane Le Parc
Montage : Antoine Vareille
Bande originale : Bruno Coulais
Origine : France / Argentine

Durée : 1H44
Sortie française : 21 octobre 2009




   

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