Le Hobbit : Un Voyage Inattendu
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- Critique par Nicolas Marceau le 17 décembre 2012
Le 14ème guerrier
Peter Jackson ne pouvait mieux résumer la note d’intention de The Hobbit qu’avec ce plan d’un rond de fumée sur lequel apparaît le sous-titre du film : Un Voyage Inattendu.
Un cercle qui renvoie aussi bien à l’idée d’un retour en terre connue (la Terre du Milieu pour le spectateur comme pour l’équipe technique originale), d’un cycle destiné à se poursuivre (le Livre Rouge de la Marche de l'Ouest dans lequel Bilbon raconte son récit et que récupérera Frodon) et d’un retour sur des événements annonciateurs (le cercle de l’Anneau de Sauron). Le métrage se pose donc à la fois comme un préquel et un remake du Seigneur Des Anneaux, essayant de faire revenir la magie d’un monde abandonné il y a déjà dix ans.
Conçu comme un conte pour enfants, Le Hobbit de Tolkien était un récit bien éloigné de la saga épique qu’est la trilogie de l’Anneau. En terme de ton, d’enjeux et de rythme, il serait même aux antipodes. Plus léger, plus linéaire et surtout plus dynamique, le livre se construit comme une succession frénétique de chapitres dans lesquels une troupe de Nains va affronter des dangers successifs (trolls, loups, araignées, dragon…). Une progression qui aurait sans aucun doute pu aboutir à une adaptation cinématographique proche de ce que Peter Jackson a accompli avec King Kong. Du concentré d’aventure en somme, dont on retrouve l’esprit de ligne droite dans la géniale séquence de la ville Gobelin et ses ponts suspendus.
Néanmoins, il fut rapidement annoncé que l’histoire serait portée à l’écran via deux films, le second devant établir une passerelle vers l’adaptation filmique du Seigneur Des Anneaux. Nous sommes en 2008 et Guillermo Del Toro est encore chargé de mettre en scène le bébé. Une idée judicieuse puisque son univers pouvait apporter un soupçon de nouveauté à la Terre du Milieu, notamment dans sa manière d’aborder l’esprit de camaraderie des Nains (l’humour de Hellboy 2 n’est pas loin). Deux ans plus tard, le cinéaste, épuisé par une série de reculs de la MGM, finit par quitter le projet. Il n’en restera que quelques brides dans le produit fini, notamment le design du Roi des Gobelins ainsi qu’un dantesque combat de géants de pierre sorti tout droit de Shadow Of The Colossus.
Condition obligée pour permettre au projet d’aboutir, Peter Jackson accepte de reprendre les commandes de la réalisation en 2010, après s’être investi en tant que scénariste et producteur. Mais alors que le tournage principal est bouclé, il est annoncé que le diptyque deviendra une trilogie, soulevant de nombreuses interrogations quant à la teneur narrative de cette nouvelle oeuvre. Si les trois tomes du Seigneur Des Anneaux se prêtaient à merveille à une adaptation en trois films, comment justifier qu'un récit de trois cent pages soit soudain conçu comme une fresque de neuf heures ? Difficile de concevoir une telle refonte du projet en post-production et il n'est pas interdit de relever des défauts de fabrication visiblement imputables à un remontage de dernière minute. La victime la plus évidente est sans conteste la musique d’Howard Shore dont certains thèmes composés il y a dix ans sont réemployés ici en dépit du bon sens (que vient faire le thème des Nazgûls au moment où Thorin se dresse face à Azog ?) alors que le disque de la bande originale regorge de pistes non retenues.
Néanmoins, au petit jeu des concordances entre deux trilogies, ce Voyage Inattendu s’en tire honorablement parce qu’il tisse intelligemment des liens avec des éléments connus du public pour mieux nous promettre une plongée en territoire inconnu au terme du récit. La découverte de l’Anneau par Bilbon (avec reprise du passage au doigt "accidentel") enrichi le personnage de Gollum d’une aura encore plus tragique et effrayante, la rencontre avec les trolls assume une légèreté éloignée de l’ambiance cauchemardesque qui émanait de leur apparition sous forme de pierres dans La Communauté De L’Anneau, la découverte de l’épée Dard ramène Bilbon (et par corollaire Frodon) à son statut de simple Hobbit contraint d’abandonner son innocence en faisant couler le sang…
Si la structure narrative évoquera avec évidence celle de La Communauté (une troupe en marche vers une montagne, un Hobbit quittant son foyer suite à l’appel à l’aventure de Gandalf, un roi déchu regagnant ses terres, une accalmie temporaire chez les Elfes où se concrétisent les enjeux, une traversée spectaculaire dans une cité sous la montagne…), on évite de justesse le radotage par la façon dont le récit s’articule autour de l’admission progressive de Bilbon parmi la communauté de Nains. En l’absence d’une menace définie contraignant le Hobbit à partir (tout l’inverse de Frodon qui devait fuir la Comté pour échapper aux Nazgûls), Peter Jackson prend le temps de développer l’esprit de camaraderie qui unit la troupe, le métrage étant presque exclusivement masculin (on ne s’étonnera pas que la chanson du générique soit entonnée par un homme, là où Le Seigneur Des Anneaux bénéficiait systématiquement d’une douceur féminine en guise de conclusion). Un véritable métrage dans le métrage, alliant comique de répétition (arrivée successive des Nains), musicalité (la vaisselle nettoyée "de concert") puis portée funèbre (le chant au coin du feu) afin de créer un authentique vide au moment où la troupe partira, motivant finalement Bilbon à se joindre à eux.
De fait, le récit narré en voix-off nous ramène à la structure du Treizième Guerrier de John McTiernan dans lequel la quête principale d’un leader viking était relatée par un étranger jusqu’à son acceptation finale au sein du groupe. La première partie du film relaye donc souvent Bilbon au rang de spectateur, écoutant les échos d’événements lointains (le récit de Thorin, celui de Radagast) sans vraiment prendre part à l’action, exception faite de sa joute verbale face aux trolls. Une position de passivité entraînant sans doute une carence de dramaturgie et d’implication émotionnelle mais qui, une fois passée l’exposition d’enjeux multiples et souvent annexes, se resserrera sur la question de ce qui rattache Bilbon aux Nains.
La transition se fera après la séquence des géants de pierre, moment épique où Bilbon décidera que le danger est trop grand pour lui et que la quête vers Erebor n’est pas la sienne. Le sol se dérobe alors littéralement sous les pieds de la troupe, contraignant Thorin et Bilbon à faire face à leurs peurs respectives. Le premier, roi déchu, rencontrera la vision difforme du Roi Gobelin, chef grotesque d’un monde sous-terrain peuplé d’êtres monstrueux. Un double négatif qui devra mourir symboliquement pour permettre à Thorin de mieux renaître à lui-même et de trouver le courage d'affronter son ennemi, Azog. Le second, prisonnier d’une caverne, devra faire face au Hobbit ravagé qu’est Gollum en démontrant - enfin - les qualités de voleur ayant motivé son recrutement.
Ces deux intrigues montées en parallèle seront amenées à se recouper quelques minutes plus tard lors du climax où Bilbon n’hésitera pas à mettre sa propre vie en danger pour sauver le leader de la troupe désormais amputé de son titre "Ecu de Chêne" (le morceau de bois tombant au sol, comme un miroir du bras tranché d’Azog). Et Peter Jackson de conclure sur l’image d’une communauté désormais soudée, observant au loin la montagne d’un autre destin. La route se poursuit sans fin…
Symbole de la nature cyclique des évènements en Terre du Milieu, le plan final d’Un Voyage Inattendu (l’œil du dragon Smaug qui s’ouvre) ramènera inconsciemment à la menace que représente Sauron (un œil cerclé de flammes), l’ennemi dans les deux trilogies étant une entité maléfique incarnant l’ego à détruire. Pour qui connaît le destin à venir de Thorin sait que la comparaison avec Aragorn n’a pas lieu d’être. Le parcours en négatif de la trilogie de l'Anneau vient de se mettre en place, réussissant là où la seconde trilogie Star Wars avait échoué...
THE HOBBIT: AN UNEXPECTED JOURNEY
Réalisateur : Peter Jackson
Scénario : Peter Jackson, Fran Walsh, Philippa Boyens & Guillermo Del Toro d'après Le Hobbit de J.R.R. Tolkien
Production : Peter Jackson, Fran Walsh, Philippa Boyens…
Photo : Andrew Lesnie
Montage : Jabez Olssen
Bande originale : Howard Shore
Origine : USA / Nouvelle-Zélande
Durée : 2h49
Sortie française : 12 décembre 2012