Jusqu'en Enfer
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- Critique par Guénaël Eveno le 3 juin 2009
La casse de l'oncle Sam
Cela fait près de dix ans que Sam Raimi s’est plongé corps et âme dans la saga de Peter Parker, et il remettra prochainement sa tenue de réalisateur super-héros pour s’attaquer au quatrième volet. Jusqu’en Enfer sonne pour lui l'heure d'une récréation jouissive.
Voilà notre Sam de retour à un plaisir qu’il ne s’était pas donné depuis longtemps : se frotter au cinéma d’horreur burlesque, genre qu'il a autrefois hissé au plus haut. Spider-Man était l’accomplissement, la synthèse logique des deux facettes du réalisateur : l'intimiste exacerbée dans Intuitions ou Un Plan Simple y côtoyait, grâce à l’univers du comic, le rythme et la folie burlesque des Evil Dead ou de Mort Sur Le Grill. Cette dernière facette s’étant bien sûr assagie pour ne revenir que ponctuer sa trilogie à l’occasion, on ne pouvait que guetter avec impatience son nouvel opus. D’autant plus qu’il promettait de donner un coup de fouet à Ghosthouse Pictures, la boîte de production du monsieur qui n’avait pas fait que du meilleur. Ecrit à deux mains avec son frêre Ivan (pas l’acteur, l’autre) et produit avec la collaboration de l’inséparable Robert Tappert, l'idée de Jusqu'en Enfer remonte à l’époque de L’Armée Des Ténèbres. Raimi nous conte l’histoire de Christine Brown, une employée bancaire qui n’a pas beaucoup de veine : elle a enfin en vue la promotion qu’elle souhaitait depuis longtemps mais un jeune loup est prêt à la choper au bond, à moins de faire du zèle en refusant un prêt à une vieille dame pas très propre et la priver ainsi de sa maison. Mais mémé n’est pas contente et décide d’invoquer un vieil esprit gitan, le Lamia, pour maudire la pauvre Alison. Persécutée par l’esprit, la jeune femme devra à proche échéance se retrouver traînée vers les Enfers.
Il ne faut pas plus que ce simple postulat pour que Sam se livre à un son petit jeu sadique consistant à ne jamais épargner son acteur principal. Bruce Campbell / Ash en avait eu pour son grade et ne cachait pas que le réalisateur prenait un malin plaisir à le faire souffrir. Raimi a dû s’amuser comme un petit fou avec Alison Lohman, ne manquant pas une occasion pour que les éléments se déchaînent contre la jeune femme, la prenant parfois pour un véritable punching ball ou bien l’exutoire de toutes les pourritures terrestres. Dans Jusqu’en Enfer, les esprits sont aussi déments qu’inquiétants et prennent possession des vivants comme des animaux, convoquent les éléments contre leur victime et tendent à l’amener vers la folie avant de l’emporter. Attaquée de l’extérieur et de l’intérieur, Christine devra passer de victime coupable à combattante revancharde. Si certains plans tendent à l’iconiser, elle ne tombera jamais dans les excès burlesques de Ash. Jusqu’en Enfer lorgne pourtant, à l'instar de ses ainés, joyeusement du coté de la BD, ne cachant pas les influences de Raimi venant du slapstick et du cartoon, reprenant même à l’occasion quelques fulgurances des trois Evil Dead comme des coups de coude donnés au spectateur. Un véritable spook-a-blast (copyright Sam) dans la tradition Raimienne. Au programme nous aurons entre autres joyeusetés une baston homérique et cartoonesque avec mémé dans un parking, une séance de spiritisme qui vire à l’empoignade et un dîner de famille où Christine aurait mieux de ne pas amener de gâteau. Autant d’éléments de la vie de tous les jours détournés devant la caméra énergique et surprenante d’un Sam Raimi qui a retrouvé sa jeunesse et son ironie noire l’espace d’un film et qui peut se remettre à tout casser de nouveau. Ce parti pris n’enlève toutefois rien à la cruauté et l’angoisse qu’inspire le destin de l’héroïne et dont l’inéluctabilité se poursuit jusqu’au dernier plan. Ce voyage joue avec nos nerfs, et n’est pas sans évoquer le Rendez-Vous Avec La Peur de Jacques Tourneur avec qui Jusqu’en Enfer partage une trame similaire (une échéance mortelle) ainsi qu’une montée de la peur dématérialisée mais à la proximité perpétuelle. La force de Jusqu'en Enfer est de mixer habilement l’irrévérence filmique de Raimi et cette angoisse et de s’en sortir avec les honneurs.
Contrairement à Evil Dead qui mettait en scène une bande de jeunes déconnectés des réalités dans un lieu reculé du monde, Jusqu’en Enfer prend parti de se situer dans notre monde, pervertissant des situations du quotidien, les rendants encore plus intolérables pour l’héroïne. Raimi y mêle allégorie sur la culpabilité et conte moral, nous interrogeant sur un humanisme qui disparaît au profit de l’égoïsme que peut engendrer une pression sociale. L’héroïne est une madame tout le monde, un personnage juste décrit par petites touches sans empiéter sur l’intrigue, que soient évoqués son passé de jeune fille complexée ou sa volonté de sortir de la classe dans laquelle est cantonnée malgré elle. Loin des caricatures de personnages qui n'évoluent que dans leur univers, elle s’accorde la compassion du spectateur au même titre que la plupart des personnages de Spider-Man. On en vient dès lors à se demander ce que nous aurions fait devant les mêmes situations, d’abord dans ce premier choix à la banque, puis lorsqu’elle se voit contrainte pour se sauver de transmettre la malédiction à quelqu’un d’autre. Christine ne mérite pas une telle punition mais l’esprit refuse de la dédouaner, se posant comme un juge aveugle d’un autre temps qui vient éxécuter une sentence envers notre époque. S’il est intéressant, ce positionnement social et moral qui rejoint le coté intimiste de Raimi empêche le film de s’envoler vers les cimes de ses prédécesseurs. Ainsi les envolées géniales sont-elles ponctuées de passages un peu plus mous amoindrissant l’effet de certains gags. On ne peut pas en vouloir à Raimi de s’orienter dans une voie qui reflète le chemin qu’il a parcouru depuis le milieu des 90’s, ni ignorer que ce choix accentue l’impact de l’excellent final avec ce plan sur le visage traumatisé de Justin Long. Mais le spectacle aurait pu être complet s’il s’était assumé jusqu’au bout.
Le réalisateur livre au final un film très influencé par les E.C comics qui aurait pu trouver une place honorable dans l'anthologie horifique des Contes De La Crypte, mais l'idée est si bien développée qu'elle fonctionne parfaitement pour un format long. Dans le paysage cinématographique actuel et le ronron des films de genre, cela fait plaisir de revoir une caméra énergique virevolter, filmer l'horreur comme une BD, injecter du Grand Guignol à tout va et ne jamais disserter sur du vide. Il faut remonter aux deux premiers Destination Finale pour trouver son compte sur tous ces points. A la vision du dernier Raimi, on se prend à penser avec nostalgie à un genre qui manque profondément, envahi que nous sommes par des films d'horreur trop uniformes (dont Sam Raimi et Robert Tappert furent eux-même responsables en tant que producteurs), ou mis en scène par des auteurs se regardant filmer. Chantres du martyr du film gore à la française, voyez ce qu'un sujet pourtant bâteau peut donner entre les mains d'un vrai réalisateur. Le film n'est pas des plus ambitieux et la recette peut paraître usée mais Jusqu'en Enfer a rendu des gens heureux pendant plus d'une heure trente et a reçu quelques applaudissements à l'issue de la séance dont ceux, bien sûr, de l'auteur de cet article.
DRAG ME TO HELL
Réalisateur : SamRaimi
Scénariste : Sam & Ivan Raimi
Producteur : Rob Tappert, Grant Curtis, Sam Raimi
Photo : Peter Deming
Montage : Bob Murawski
Bande originale : Christopher Young
Origine : USA
Durée : 1h39
Sortie française : le 27 mai 2009