Chronique d'un festival de province

Episode 3 - La cérémonie d'ouverture

Festival de cinéma péruvien

Pour un festival de cigales cannoises, combien de fourmis anonymes travaillent dans l'ombre toute l'année, s'escrimant seules à maintenir le rêve et la magie du septième art éveillés, même si cela doit passer par des sauteries en salles polyvalentes dénués de showcase du dernier groupe de dub découvert sur MySpace ?


Previously in CFP
: Le très occupé président du festival Georges désire remettre le cinéma au cœur de son festival de cinéma, mais c'est sans compter sur Marie-Noëlle la déléguée générale dont la soif de reconnaissance et de pouvoir lui a très vite fait comprendre qu'il valait mieux éviter de parler de cinéma dans le cercle des festivals. C'est ce qu'elle inculque à Nectarine son assistante, qui apprit ainsi que l'évènement sur lequel elle travaille est un festival de cinéma. Elle comprend mieux maintenant l'excitation de Marie-Noëlle devant la venue de Bodog le cinéaste hongrois sans papier bloqué sur le territoire, bien qu'Hervé le sage administrateur du festival lui précise que "cinéaste" n'est pour Marie-Noëlle qu'une goutte dans l'océan de promesses fantasmatiques qu'est Bodog.
Bodog que Marie-Noëlle est allée chercher à son hôtel pour être sûre qu'il ne se perde pas sur le chemin menant à la cérémonie d'ouverture…

EXT. Cinéma - Soir

Une centaine de personnes discutent devant le cinéma, une grosse majorité porte une accréditation autour du cou : "organisation" ou "réalisateur".

HERVE
(au téléphone)
Non Marie-No, je dis pas que tu fuis le travail, je dis juste que Bodog est assez grand pour faire deux cents mètres tout seul, surtout quand on a traversé l'Europe en stop.
Oué, ok, ben faites vite, y a du taf ici. A plus.

HERVE range son téléphone.
Une FEMME de 35 ans s'approche.

FEMME
Je suis réalisatrice : où est mon accréditation ?

HERVE
Je suis poli : bonsoir.
Votre accréditation, il fallait aller aux bureaux du festival la retirer dans la journée, ou alors vous pouvez vous rendre maintenant à la salle de réception la demander à l'accueil.

FEMME
C'est où ?

HERVE
Vous prenez là à gau…
Non !
(il montre soudainement la direction opposée)
Non non, vous traversez la place là-bas, vous prenez à droite, vous remonter l'avenue, et vous allez voir un peu plus loin une salle avec les kakémonos du festival à l'entrée.

 
La femme s'en va avec deux amis dans la direction indiquée.

HERVE
Allez, bonne promenade morue.

 
NECTARINE rejoins Hervé, suivie d'un HOMME blond d'une vingtaine d'année en bermuda et tong, mains dans les poches, très sûr de lui.

 

NECTARINE
Hervé, ce monsieur voudrait un renseignement pour l'hôtel.

HERVE
Oui ?

HOMME
Voilà, ce serait possible d'avoir une chambre individuelle ?
Parce que cohabiter à deux pendant une semaine…

HERVE
Ha, c'est compliqué, toutes les chambres sont occupées.
A la limite vous pouvez essayer de vous arranger avec quelqu'un qui voudrait bien changer de chambre.
Vous comptiez rester tout le festival ?

HOMME
Oui, je suis réalisateur, et mon film passe le dernier jour.
C'est "Les yeux", compétition court-métrage, avec Julien Ravennac.

HERVE
"Les yeux", ça me parle… C'est pas sur des gardes forestiers ou je sais plus quoi, des gens qui confrontent… Qui confrontent quoi déjà ?

HOMME
Leur solitude.

HERVE
Oui. C'est ça.
Qui confrontent leur solitude…

HOMME
Comment on fait pour la chambre alors ?

HERVE
On va faire notre possible. On vous tiendra au courant.

HOMME
Bien.
 

Il s'en va nonchalamment.

 HERVE
Normal…

MARIE-NOELLE
(arrive derrière Hervé)
Il est arrivé Georges ?

HERVE
Ben non y a que 25 minutes de retard là.

MARIE-NOELLE
Tiens, je te présente Bodog.

HERVE
Ha, le fameux Bodog. Enchanté.

BODOG
Bonsoir.

MARIE-NOELLE
Je vais vite faire un coucou à quelques amis, je vous laisse.
 

MARIE-NOELLE s'approche du hall du cinéma, et fait la bise à chaque personne qu'elle croise, échangeant quelques mots chaleureux : elle connaît tous les gens présents en dehors ceux ornés d'une accréditation.

 
HERVE
Alors comment ça se passe la paperasserie ?

BODOG
Ha super. Consulat m'a donné papier provisiore pour retour chez moi.

HERVE
Ben c'est cool, j'espère que l'an prochain vous reviendrait nous voir en présentant un film.

BODOG
Film ? Pourquoi film ?

HERVE
Histoire de nous montrer ce que vous faites.

BODOG
Ha mais fais pas film moi.

HERVE
Hum ?

BODOG
Non, moi tourisme, voyage, mais van volé avec papiers.

HERVE
Ha…
Vous l'avez dit à Marie-Noëlle, la fille là-bas ?

BODOG
Ha, oui.

HERVE
Et elle a dit quoi ?

BODOG
Elle dit que cinéma est voyage, que cinéma pas limité à "film", et dit que moi ai raison pas parler film mais parler voyage.
Pas vraiment compris ce qu'elle dit.

HERVE
Oué, rassures-toi elle non plus elle comprend pas ce qu'elle dit.

 
Dans le hall, Marie-Noëlle invite les gens à entrer dans le cinéma. 


MARIE-NOELLE
Les amis ! S'il vous plaît tout le monde, allez, on tire la dernière taffe, il va être temps de gagner vos places, tout le monde est arrivé, la cérémonie commence sous peu.

  

INT. Salle de cinéma – Soir

C'est salle comble, cinq cents personnes attendent le début des festivités.
Sur scène, le PRESENTATEUR patiente un micro à la main.

NECTARINE, HERVE et BODOG sont assis au premier rang sur le côté.
MARIE-NOELLE les rejoint. 

MARIE-NOELLE
C'est super, je suis contente que le public ait répondu présent.

HERVE
Je suis pas sûr qu'on puisse appeler "public" des gens dont on connaît le prénom.

 
Les lumières s'éteignent. Des projecteurs arrosent la scène. 

 
PRESENTATEUR
Mesdemoiselles, mesdames, messieurs, bonsoir et bienvenue à la soirée d'ouverture de notre festival !
(applaudissements)
Je ne vais pas ajouter aux 40 minutes de retard, d'autant plus que le film qui ouvre la compétition ce soir dure 2 heures 30, alors j'appelle tout de suite la présidente du festival : Monica Bellucci !
(il met un doigt sur son oreille et fait comme si on lui parlait dans une oreillette)
Ha, on me dit en régie que Monica Belluci a eu un empêchement, elle ne viendra pas ce soir !
(rires dans la salle)

HERVE
Lol.

PRESENTATEUR
Mais c'est avec tout autant de glamour que notre président préféré va vous présenter cette nouvelle édition, veuillez applaudir, mesdames messieurs : Georges Monpiedlas !!
 

GEORGES arrive sur scène avec un grand sourire crispé.

 
GEORGES
Merci. Merci Matthieu, merci à vous d'être venus ce soir.
Alors nous voici réunis une nouvelle fois pour une semaine de fête, une semaine de célébration, une semaine festive durant laquelle nous, vous, moi, tout le monde, allons célébrer le septième art.
Et quoi de mieux que de le célébrer en rendant hommage à sa diversité ? Car cette année, le comité et moi-même avons décidé de placer cette édition sous le signe de l'ouverture. L'ouverture aux cinématographies étrangères : il y a aura des films tchèques, hongrois, moldaves, autrichiens, et j'en oublie sûrement. Formidable.
Ouverture aussi aux genres, aux styles. Vous allez découvrir des drames bouleversants, des documentaires vérité, des comédies douces amères ou dramatiques, des chroniques sociales fabuleuses ! Fabuleuses.
Ouverture aux supports différents, aux nouvelles technologies, et surtout aux moyens de diffusions alternatifs. Nous avons décidé en effet de nous ouvrir à tous ces supports qui nous, et vous, permettent de faire des films autrement : sur DV, sur téléphone, par webcam, Bref, de nouveaux champs fascinants à explorer, à découvrir, vers lesquels il faut s'ouvrir !

HERVE
Toutes ces ouvertures, ça va faire pas mal de courants d'air.

GEORGES
Enfin, pour symboliser cette nécessité d'ouverture envers les autres, envers soi aussi, j'ai envie de vous parler d'un artiste fascinant, à qui il arrive une histoire incroyable.

HERVE
Ha oué on va tous se faire enrhumer là.

GEORGES
Il est parti de chez lui pour présenter ses travaux à travers l'Europe avec ses propres moyens. Il est parti de Hongrie, puisqu'il est hongrois. Et depuis trois semaines, il est coincé, devinez où ? En France. Pour une sombre histoire de papiers. Ce cinéaste victime de notre bureaucratie, qui elle ne s'ouvre pas, nous fait l'immense honneur d'être ici, ce soir, pour vous, pour s'ouvrir à vous.
Veuillez faire un triomphe à Bodog.

 
Marie-Noëlle pousse Bodog, il se lève et va sur scène.
Standing ovation. 

GEORGES
Formidable.
Merci. Merci pour vous. Merci pour lui.
Alors Bodog, racontez-nous un peu cette histoire invraisemblable qui vous arrive.

BODOG
Bonsoir.
Je pas comprendre pourquoi moi ici. Juste venu pour voir film, pas savoir parler film.

GEORGES
Mais comment en êtes-vous arrivés là ? Qu'est-ce qui a fait que vous vous soyez décidés à traverser l'Europe comme ça ?

BODOG
Van. Ça vient de van. J'adore et avais envie de faire… tour. De tourner Europe.

GEORGES
Oui. Vous avez eu envie de tourner des films après avoir vu "The Van", le film de Stephen Frears. Fabuleux.

BODOG
Non, van Volkswagen de 74 à moi, puis volé avec papiers dedans.
Vouloir retrouver van mien, pas celui Stephen.

 GEORGES
Bien.
Bodog, vous allez m'assister pour accueillir maintenant les membres du jury, qui auront la lourde tâche de décerner les prix en fin de semaine.

BODOG
Si vous voulez oui.

GEORGES
Le comité nous a gâté cette année encore, puisque le plateau proposé pour le jury est remarquables. Quatre personnalités majeures du septième art, des artistes, ho, n'ayons pas peur des mots, des artistes qui comptent, qui ont compté, et je vous invite donc à les accueillir avec toute la clameur nécessaire.
(il lit ses fiches)
Le premier juré est une première. C'est une dame remarquable, ancienne de l'IDHEC, promotion 75, réalisatrice de "Factures Impayées", son film de fin d'études, depuis plus de 20 ans elle est attachée territoriale de conservation du patrimoine au musée départemental Henri Decoin. Dans ses différentes fonctions de responsable de la valorisation et la restauration de la collection de films anciens du musée, elle a réalisé de nombreux montages à partir des images du fond, connus sous les titres  "L'éveil d'Ivan" ou "Perhaku, mémoire et fantômes".
Veuillez accueillir Jocelyne Boulain !! 

 
Une femme d'aspect sec d'environ 50 ans arrive sur scène sous les applaudissements.
 

GEORGES
Superbe.
Le deuxième membre du jury est coauteur et responsable éditorial d'un bouquet de 4 chaînes cinéma sur le satellite. Tour à tour animateur de radio, concepteur d'émissions, journaliste dans la presse, directeur artistique de festivals, développeur de sites web, interprète dans un groupe de musique, ce passionné de cinéma depuis son plus jeune âge est aussi diplômé de littérature hispanique et éleveur canin : Pascal Tadereau !
 

Un homme jovial d'une trentaine d'année apparaît. Applaudissements.

 
HERVE
Et pourquoi il dit pas qu'i joue aussi à la coinche le dimanche ?

GEORGES
Superbe.
Notre troisième larron n'est pas n'importe qui. Designer, plasticien, video-performer, il est arrivé au cinéma par hasard. C'est grâce à une rencontre dans le restaurant d'un ami commun qu'il fait connaissance avec le jeune réalisateur Antoine Podeillac. La suite, vous la connaissez : il joue dans le film d'Antoine, obtient des critiques élogieuses de la presse, et depuis alterne entre les tournages pour sa série sur la première chaîne et ses performances vidéo dans le restaurant de son ami : Flavio Galiantine !
 

Un jeune homme austère, las et d'apparence branchée entre en scène.
Clap clap clap. 

GEORGES
Superbe. Superbe.
Enfin, le dernier, ou plutôt la dernière devrais-je dire, puisqu'il s'agit encore d'une femme.
Pendant sa maîtrise de lettres modernes – Paris X & Urbino / Italie, option sémiologie du cinéma, elle travaille dans la production de longs-métrages, à la réalisation de magazines TV, est photographe de plateau et sous-marine. Elle est aujourd'hui chargée de mission à la direction financière et juridique du CNC et membre du D.I.C.R.E.A.M – le dispositif à la création pour… du… ?
(au présentateur qui lui souffle)
Comment ? Bon…
Membre du D.I.C.R.E.A.M : Sophie Bennetto !
On l'applaudit !!
 

Et c'est maintenant au tour d'une femme active de 40 ans de traverser la scène à grand pas.
Applause.
 

GEORGES
Superbe.
Voilà, maintenant que les présentations sont faites, je crois que l'on va pouvoir découvrir le premier film de la sélection, un film bulgare, très fort, très puissant, sur les conséquences de la grève d'un pompiste dans un petit village de montagne. A découvrir, vous m'en direz des nouvelles.
Sans plus attendre, je déclare donc la dixième édition du festival ouverte !
Merci ! 

La troupe quitte la scène.
Applaudissements.

 

MARIE-NOELLE
(à Hervé)
Mais, j'ai pas bien compris : Bodog, il a travaillé avec Frears ? Tu crois qu'on peut l'avoir ? Ce serait génial, j'adore "Le Vent se Lève".
 

Hervé éternue.
 

A suivre…

Episode #1 – La sélection
Episode #2 – La programmation
Episode #4 – La master class
Episode #5 – La fête
Episode #6 – La clôture




   

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