Stranger Things
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- Série TV par Nicolas Zugasti le 16 août 2016
Hommage, ô désespoir
Sensation de l'été, Stranger Things, la série des frères Matt et Ross Duffer pour Netflix, puise allègrement dans la pop culture des années 80 pour tenter d'en retrouver le souffle et la saveur.
Dans une petite bourgade rurale, un groupe de quatre copains d'une douzaine d'années est confronté à la disparition de l'un d'eux. Persuadés qu'il est toujours en vie, les ados partent à sa recherche, aidés par une étrange fille, Eleven, échappée d'un non moins étrange centre d'expérimentations. En parallèle, la mère du disparu, le shérif ainsi que les deux aînés des familles impliquées entament leurs propres investigations qui les mèneront aux devants de phénomènes peu ordinaires, et une fantastique créature...
On roule en BMX, on joue au JDR Donjons Et Dragons, on communique grâce à des talkies-walkies, on regarde The Thing à la téloche, les coupes de cheveux sont improbables, les productions Amblin et les écrits de Stephen King (entre moult renvois aux eighties) sont clairement dans le viseur (le rétroviseur en l'occurrence), bref tout pour plaire. Mais à force d'emprunts plus ou moins bien digérés, Stranger Things délaisse progressivement sa structure narrative pour titiller une certaine fibre nostalgique. Les références, nombreuses, ne servent alors plus qu'à baliser le récit et se contentent d'activer un jeu de reconnaissances sans développer caractérisations et situations.
De même que l'image, la bande son est un agglomérat de hits d'époque (The Clash, Jefferson Airplane, Toto, The Bangles, Foreigner...) et d'un score renvoyant aux compositions de John Carpenter qu'on doit à Kyle Dixon et Michael Stein, membres du groupe Survive. S'il parvient à rappeler les sonorités électro de Big John, il reste loin d'être aussi entêtant que les thèmes de Halloween, Assaut ou New York 199. Autant dire que l'on ne se surprendra pas à fredonner les accords de Stranger Things.
Stranger Things n'est pas pour autant sans intérêt, se laissant suivre sans ennui bien que sans véritable surprise, ce qui n'est déjà pas mal. Produit bien calibré, bien réalisé, bien interprété, seule l'hystérie de Winona Ryder peut fatiguer. Cependant, la caractérisation de l'ensemble reste problématique : l'antagoniste (Matthew Modine) n'inquiète pas vraiment, le trauma du shérif, dans un premier temps évasif, est balancé en conclusion de saison, les interactions entre enfants et adultes sont réduites au strict minimum et n'engendrent aucune forme de tension. Seule l'évolution de Nancy, la grande sœur du gamin planquant Eleven dans le sous-sol de la maison familiale, se révèle intéressante, muant de l'horripilante midinette à l'ado concernée via la disparition de son amie. Tout cela reste quand même à l'ébauche d'archétypes 80's développés a minima dont on a du mal à s'attacher.
L'argument, bien qu'intrigant, à base de projet secret, de portail inter-dimensionnel, de monstre surgissant des murs, demeure toujours à distance. La faute à cette volonté de récit rétro déconnecté de toute contemporanéité, intention tout à fait louable si on a quelque chose à raconter sur la période considérée. Or, Stranger Things ne bénéficie d'aucune contextualisation (politique, sociale, culturelle) qui aurait donné du relief aux jolies vignettes reconstituées par le show. Il est bien question du projet MK-Ultra (ensemble d'expérimentations menées par la CIA sur des citoyens bien souvent à leur insu afin de développer des techniques pour influencer l'esprit) mais au détour de quelques lignes de dialogue alors qu'en développant cet élément, les auteurs avaient matière pour une horreur plus prégnante concernant la créature du monde de l'upside down, une horreur comportementale plus dérangeante. Et c'est précisément là que les Duffer manquent la jonction avec l'univers de Stephen King, où l'effroi provient parfois plus volontiers des dérélictions humaines que d'une menace surnaturelle. Au fond, Stranger Things s'avère être la version upside down de l'époque revisitée pas les Duffer Brothers, soit un monde clone mais dévitalisé.
Néanmoins, la série bénéficie d'une forte côte de popularité et se fend d'un joli succès critique et public. Plus qu'un nouveau doudou à cajoler, Stranger Things apparaît comme une énième manifestation de la propension à la régression et la simplification d'un pan de la culture populaire, illustrée par la multiplication des remakes, reboots et exploitations de franchises sans ambition autre que marketing (Marvel et DC en fer de lance). Des œuvres qui se contentent de reproduire des figures et motifs connus sans réellement se les réapproprier. La nostalgie, ce n'est pas sale, certes. Encore faut-il parvenir à bâtir quelque chose de neuf plutôt que favoriser le repli sur soi en se complaisant dans la réminiscence de souvenirs rassurants.
Si Stranger Things exploite avec opportunisme le renoncement d'une partie du public à sortir de sa zone de confort en fétichisant une époque révolue, elle peut aussi être une appétissante sucrerie. Mais attention à l'indigestion.
STRANGER THINGS
Showrunners : Matt & Ross Duffer
Réalisateurs : Matt & Ross Duffer, Shawn Levy
Scénario : Matt & Ross Duffer, Justin Doble, Paul Dichter, Alison Tatlock, Jessica Meckenburg, Jessie Nickson-Lopez
Production : Matt & Ross Duffer, Shawn Levy, Cindy Holland, Dan Cohen, Emily Morris...
Photo : Tim Ives & Tod Campbell
Montage : Kevin D. Ross & Dean Zimmerman
Musique : Kyle Dixon & Michael SteinÂ
Origine : USA
Durée : 8 x 55 minutes
Network : Netlix
Diffusion française : 15 juillet 2016