The Man From Hong Kong
- Détails
- Rétroprojection par Julien B. le 14 mai 2015
Everybody was kangaroo fighting
Au pied de l'Uluru se déroule un deal de drogues entre un trafiquant chinois, Win Chan (Sammo Hung, crédité en tant que Hung Kam Po) et un acheteur australien. La police de Sydney est sur le coup.
Elle finit par coffrer le vendeur chinois. L'acheteur n'étant plus vivant pour répondre à d'éventuelles questions et Win Chan ne parlant pas un mot d'anglais, les enquêteurs font venir un policier de Hong Kong pour l'interroger : l'inspecteur Fang Sing Leng (Jimmy Wang-Yu)...
Bruce Lee meurt en 1973. C'est un coup terrible pour les fans mais encore plus pour Raymond Chow et la Golden Harvest qui perdent ainsi leur poule aux œufs d'or. Opération Dragon, première co-production avec un studio américain, la Warner Bros., avait été un immense succès mondial. Les studios hong-kongais ne voulaient pas laisser échapper cette manne internationale. Stoner Se Déchaîne, qui comptait initialement le Petit Dragon au casting aux côtés de George Lazenby et Sonny Chiba, fut tout de même produit mais par la Golden Harvest seule. En lieu et place de Bruce Lee fut engagée Angela Mao, Chiba ayant quitté le projet suite à la mort de Lee. Le film, bien que médiocre, connut un certain succès. La Shaw Bros. quant à elle, tenta aussi les co-productions à l'étranger. Avec la Hammer (Un Dénommé Mister Shatter et La Légende Des 7 Vampires D'Or en 1974), des italiens (Les Trois Superman Du Kung-Fu en 1973 et Supermen Contre Amazones en 1975) et aussi avec la Warner pour Cleopatra Jones And The Casino Of Gold (1975) mais le public ne fut pas vraiment au rendez-vous. De son côté, la Golden Harvest ne lâcha pas le morceau.
En 1973, le jeune anglais Brian Trenchard-Smith livre à la chaîne de télévision australienne Seven Network un documentaire d'une heure sur le kung-fu qui fait de bonnes audiences : World Of Kung Fu. En 1974, il peut sans mal proposer à la chaîne concurrente Nine Channel une simili-suite tournée à Hong Kong intitulée Kung Fu Killers. Le film voit l'incroyable cascadeur Grant Page (1) partir à la source de la "folie kung-fu" qui faisait rage en occident et accessoirement se battre contre celui qui était censé prendre la relève du Petit Dragon, Carter Wong. Le tout est entrecoupé d'interviews d'intervenants tournant sur place (dont George Lazenby et le producteur André Morgan) et de clips de films de la Golden Harvest.
Dans son documentaire de 1973 The Stuntmen, Trenchard-Smith orchestre différents types de scènes d'action pour mettre en valeur les cascadeurs et démontre un talent certain pour cela. (2) Il s'en sert comme carte de visite pour attirer l'attention de Raymond Chow en tant que réalisateur de long-métrage. En bluffant un brin : affirmant au patron de la Golden Harvest qu'un producteur australien s'était engagé pour la moitié du budget alors que The Man From Hong Kong n'était encore qu'un synopsis, il réussit à avoir l'accord de Raymond Chow pour l'autre moitié. Convaincre un producteur australien de réellement s'engager sur le film fut alors chose aisée. C'est la Greater Union qui s'y colla, créant spécialement pour l'occasion la société de production The Movie Company dont Trenchard-Smith détiendra 50%. La Australian Film Development Corporation, fondée en 1970 par le gouvernement pour financer cette industrie cinématographique locale, jeune et en pleine effervescence, participa aussi au budget.
Ainsi fut mise en route la première co-production Australie / Hong Kong de l'histoire qui sortira sur les écrans en 1975.
Grant Page !
Au début des années 70, Jimmy Wang-Yu n'est plus l'énorme star qu'il avait été. Loin était le succès depuis son départ avec pertes et fracas de la Shaw Bros. et ses réalisations, dont certaines valent plus que le coup d’œil comme Beach Of The War Gods, ont été des échecs. L'arrivée de Bruce Lee sur le devant de la scène n'arrangea pas les choses. Avec la disparition soudaine de ce dernier, la Golden Harvest se tourna vers l'ancienne gloire pour cette nouvelle tentative à l'étranger. Chose quelque peu ironique aux vues de la xénophobie latente du bonhomme et de ses bandes.
Co-production oblige, 50% du film doit être tourné à Hong Kong. Mais quand presque 90% de l'action est censée se dérouler en Australie, il faut savoir ruser. Ainsi la quasi-totalité des intérieurs sont tournés dans les studios hong-kongais. C'est invisible au montage mais au début de la scène d'interrogatoire de Sammo Hung par Jimmy Wang-Yu, le champ a été tourné en Australie et le contre-champ sur les plateaux de la Golden Harvest. Les Hong-kongais ne faisant pas de prise de son en direct, pour la continuité c'est Roy Chiao (3) qui double Jimmy Wang-Yu dans la version anglaise. Et le son durant les scènes de combats kung-fu ou wu-xia (les cris des combattants et le bruit des armes) est clairement un son estampillé Golden Harvest.
Le tournage ne se passera pas sans heurts, qu'ils soient physiques ou psychologiques. Une porte de voiture vole et manque l'équipe derrière la caméra de quelques mètres lors de l'explosion de l'introduction, insolation généralisée lors du tournage à l'Uluru, Jimmy Wang-Yu se blesse dans un accident de deltaplane, George Lazenby est brûlé lors du tournage de la scène finale... Sans compter Jimmy Wang-Yu et son comportement de star (pour rester poli) : l'équipe australienne du film rapporte qu'il fut odieux avec à peu près tout le monde. Il fut aussi vexé de ne pas être le réalisateur en lieux et place du jeune et inexpérimenté Trenchard-Smith. (4) Cette frustration se matérialise d'ailleurs à l'écran lors du combat dans la cage d’ascenseur, sur le toit de l'engin en marche entre Wang-Yu et un sbire de Lazenby. Sbire qui, en partie pour des raisons d'économies (notamment les aller-retours entre l'Australie et les studios de la Golden Harvest), sera joué par Trenchard-Smith lui-même. Et, comme cela se voit à l'écran, Wang-Yu ne fait rien pour retenir ses coups lors de leur affrontement !
Côté casting, on retrouve des trognes déjà vues auparavant dans l'excellent biker movie Stone de Sandy Harbutt. Roger Ward et Hugh Keays-Byrne incarne le duo de flics australiens et Rebecca Gilling joue le rôle de l'ingénue dénudée qui transformera le polar énervé qu'était le film jusqu'ici en revenge movie en trouvant la mort dans un spectaculaire accident de la route (nous vengeant du passage à l'eau de rose ayant précédé). On croise aussi l'excellent Frank Thring en secrétaire de Lazenby. (5) Un Lazenby qui, toujours sous contrat avec la Golden Harvest, s'éclate dans le rôle du méchant baron de la drogue. C'est à peine s'il ne s'en frise pas la moustache. Et durant l'inévitable affrontement dans une école de kung-fu, de futurs stars du genre font une apparition anonyme : Yuen Biao, Lam Chin Ying et Corey Yuen.
Rig shot!
The Man From Hong Kong possède également une grosse saveur James Bond-ienne avec son héros casse-cou tombeur de ces dames (Gilling et Rosalind Speirs) pratiquant le deltaplane et son méchant joué par Lazenby ("Oh the irony..." diraient nos amis britanniques). Son thème principal plus qu'entêtant, Sky High interprété par Jigsaw (6), participe aussi à cette impression.
Le film coûta 550 000 $. Il fut rentable avant même son exploitation en salles, engrangeant 200 000 $ pour les droits d'exploitation aux États-Unis (7) et rapportant aux alentours de 500 000 $ en ventes mondiales au marché du film à Cannes. Malgré une classification R-adults only (trop de coups dans l'entrejambe ?), la bande connut un beau succès en salles, ne serait-ce qu'en Australie où il fit un peu plus d'un million de dollars de recette.
Aucun kangourou dans The Man From Hong Kong mais cela ne nous prive pas de moments "dépliants touristiques". On croise l'opéra de Sydney à plusieurs reprises et les scènes de deltaplane permettent d'admirer le paysage ainsi que de survoler l'Harbour Bridge dans la baie de Sydney. L'Uluru nous est montré d'entrée, servant de décor à ce qui aurait pu être le climax de bon nombre de films d'action : un combat entre Roger Ward et Sammo Hung sur l'inselberg de grès en parallèle à une course poursuite hélicoptère / voiture se concluant en explosion. Après une telle introduction, le spectateur est en droit de se demander si ce qui va suivre sera à la hauteur. Fort heureusement, c'est le cas. Et bien plus encore. Le réalisateur garde un très bon sens du rythme sur la longueur, alternant grosses séquences d'action et d'autres moins ambitieuses pour retomber sur une scène scotchant le spectateur, le tout lié par des dialogues aux pointes d'humour bienvenues. Mais pas toujours très fines, comme cette transition coup dans les parties / boules de billard qui s'entrechoquent préfigurant le raccord "cassage d’œufs" de L'Aigle De Shaolin avec John Liu. Du second degré donc mais jamais de cynisme, et les auteurs The Man From Hong Kong n'oublient pas de glisser quelques idées progressistes, comme un Chinois couchant avec des femmes blanches au milieu de réparties antiracistes.
The Man From Hong Kong met en valeur le travail des équipes de cascadeurs des deux parties. De Hong Kong avec les combats chorégraphiés par un jeune Sammo Hung, malgré le fait que Wang-Yu et Lazenby ne soient pas les meilleurs artistes martiaux du monde, ou les poursuites motorisées et autres péripéties aériennes effectuées par les Australiens, Grant Page en tête. Comme cette course poursuite trépidante en voiture (quoique qu'un peu longue) filmée par l'équipe australienne (8), truffée de plans en caméra embarquée afin de mettre Wang-Yu en évidence au volant et autres rig shots dynamisant l'ensemble. Pensons également à cette autre course poursuite, à pieds cette fois, entre Jimmy Wang-Yu et Grant Page se terminant en un très bon combat dans les cuisines puis dans la salle d'un restaurant asiatique, incroyable séquence d'une dizaine de minutes. Sans oublier le grand final de feu et de flammes dans le penthouse blindé du grand méchant Lazenby.
Les dissensions entre les productions mirent un frein à d'autres projets communs malgré le succès. John Fraser de la Greater Union risqua sa carrière pour défendre le jeune réalisateur. Mais ce premier film lancera la carrière de Brian Trenchard-Smith qui réalisera notamment d'autres pépites de l'ozploitation comme Les Traqués De L'An 2000 (Turkey Shoot) ou Le Gang Des BMX (BMX Bandits) avec une jeune Nicole Kidman.
Entre les morceaux de bravoures de cascadeurs de toutes nationalités, le jusqu'au-boutisme à  la Inspecteur Harry du héros et le second degré du duo de flics, The Man From Hong Kong est une belle grosse tranche d'exploitation à (re)découvrir !
PS : L'affiche de The Man From Hong Kong est signée Arnaldo Putzu, grand affichiste italien qui signa entre autres celle de Get Carter.
(1) Brian Trenchard-Smith était devenu le manager de Grant Page après le documentaire The Stuntmen.
(2) Il remporta un prix au Sydney Film Festival avec ce documentaire.
(3) Roy Chiao a joué entre autre le rôle de Lao Che dans Indiana Jones Et Le Temple Maudit.
(4) Bien que crédité en tant que co-réalisateur sur les copies asiatiques, Wang-Yu n'a dirigé que quelques scènes avec la seconde équipe.
(5) Le "Hold out the hands that defies me!" des Vikings de Fleischer ou le Ponce Pilate de Ben-Hur de Wyler c'est lui.
(6) L'obtention des droits de la chanson coûta la bagatelle de 50 000 $ à la production.
(7) Le film y fut distribué sous le titre Dragon Flies, amputé des plans "coups dans les parties" et de scènes jugées "trop australiennes" à cause de l'accent, prétexte pour couper une réplique de Wang ÂYu réagissant violemment à une remarque raciste du flic joué par Hugh KeaysÂ-Byrne.
(8) Equipe dont fait partie le chef-opérateur souvent associé à Peter Weir, Russell Boyd.
THE MAN FROM HONG KONG
Réalisation : Brian Trenchard-Smith & Yu Wang
Scénario : Brian Trenchard-Smith
Production : Raymond Chow, John Fraser, Andre Morgan...
Photo : Russell Boyd
Montage : Ron Williams
Bande originale : Noel Quinlan
Origine : Australie / Hong Kong
Durée : 1h51
Sortie française : 21 juillet 1976