Romper Stomper
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- Rétroprojection par Crazy Charlène le 21 mai 2015
Australian history X
En 1992 sort en Australie un petit film singulier qui allait faire grand bruit dans son pays d'origine...
Les romper stomper sont de petits éléments de plastique que les enfants australiens glissaient sous leurs chaussures pour imiter les claquettes.
Plus tard, les skinheads des antipodes les réemployèrent sous forme de plaques de métal attachées à leurs bottes pour rappeler le son de l'armée allemande marchant au pas. Quand l'ancien journaliste Geoffrey Wright se lance dans l'écriture de son premier long-métrage intitulé Romper Stomper, il cherche à réveiller un cinéma australien qui, selon lui, ne s'attaque que trop rarement à des sujets de société ou des faits divers, et ce en dépit d'une réalité sociale ambiguë. L'Australie nous avait habitués à des drames fantastiques éthérés comme Pique-Nique A Hanging Rock, à des reconstitutions historiques (Galipoli, La Chevauchée De Feu) mais fut moins encline à décrire sa laideur urbaine à travers des films viscéraux et réalistes. Wright décide alors de dépeindre le sordide quotidien d'un groupe de skinheads s'adonnant à la terreur ordinaire dans une Melbourne post-industrielle en perdition.
Fasciné par le cinéma de Stanley Kubrick, le réalisateur s'inspire négligemment d'Orange Mécanique dans la création de ses personnages. Hando, le leader, est une brute sanguinaire, un diable d'homme au regard rempli de haine. Il ne vit que pour vouer un culte à Adolf Hitler et ses idéaux d'une suprématie blanche. Il entraîne dans sa spirale de violence des jeunes désoeuvrés, des lieutenants sans autre éducation que celle qu'il leur martèle. A ses cotés il y a Davey. Si celui-ci adhère aux thèses défendues par Hando et s'en prend sans aucune pitié aux jeunes immigrés vietnamiens ayant eu le malheur de croiser son regard, il paraît plus calme. Autour d'eux gravite Gabe, jeune fille issue d'un milieu très aisé et en rupture familiale. Son père, artiste renommé, entretient avec elle une relation incestueuse dont elle semble s'accommoder. Si Hando n'y voit qu'un objet sexuel, une oie blanche à convertir, Davey éprouve des sentiments en contradiction avec son quotidien de néo-nazi assoiffé de sang. Lors d'une rixe, la bande est mise à mal par des jeunes asiatiques à bout. Fou de rage, Hando va précipiter la chute de son gang.
Dès son générique, Romper Stomper donne le ton, brandissant un thème musical inquiétant, malsain, comme échappé de la bande originale d'un film d'horreur. Il s'ouvre sur l'agression de trois vietnamiens par les skinheads dans un tunnel à Footcray Station. Le parallèle avec Orange Mécanique est inévitable. La violence est crue, douloureuse. Les protagonistes veulent clairement la mort de ceux qu'ils considèrent comme leurs ennemis. On distingue tout de suite Hando et Davey, apparaissent en incrustation devant le portrait des personnages. Immédiatement identifiés, ces deux-là seront donc ceux sur qui le long-métrage de Wright va se concentrer. La crudité des images est accentuée par l'utilisation de pellicule Eastman color seize millimètres, format qui renforce indéniablement la tonalité urbaine du film. Romper Stomper nous apparaît alors comme une oeuvre tournée à vif, le grain dégage un impression de saleté renvoyant au mal qui gangrène Melbourne. Romper Stomper s'éloigne incidemment de l’oeuvre de Kubrick, beaucoup plus propre, beaucoup plus élaborée visuellement. Si le réalisateur décrit l'ultraviolence, elle n'a jamais de résonance artistique. Il n'est jamais question de magnifier les actes de ses personnages.
Ainsi, Romper Stomper s'éloigne aussi sans équivoque d'un American History X tourné sept ans plus tard. Au contraire de Tony Kaye, Geoffrey Wright ne cherche pas la rédemption d'Hando et Davey. Il n'explique pas non plus la naissance de leur haine de l'autre. Même s'il s'agit principalement de dépeindre le quotidien de ces néonazis, son film suit une trame le rapprochant par moments du polar. D'une certaine manière, et c'est sans doute ce qui aura glacé d'effroi la critique australienne à sa sortie, Wright ne porte que peu de jugement sur eux. Certes, les skinheads y sont détestables par leur actes et leurs paroles, mais le long-métrage se veut être la courte chronique sans artifice d'une bande sans foi ni loi. Ce regard le rend d'autant plus terrifiant et le distingue des autres travaux sur le sujet : dans American History X, le fanatisme nazi est la conséquence d'un acte irréparable, dans le Skinheads signé Greydon Clark (1989), les crânes rasés sont des méchants de cinéma d'exploitation. Dans Romper Stomper, la neutralité proche du documentaire de l'ancien journaliste aux commandes montre la bande d'Hando et Davey comme une cellule composée d'individus au comportement inhumain de par la nature même de leur idéal de vie. L'auteur parvient cependant à doter ses deux personnages principaux d'un charisme et d'une personnalité. On les méprise, on les déteste mais ils existent et ils aiment. Cette absence de schéma accentue le malaise.
La noirceur de Romper Stomper est à peine atténuée par le personnage de Gabe. Si elle peut paraître comme une jeune fille délurée, fofolle même, si on peut voir en elle une source de lumière, son triste et sordide quotidien la lie inexorablement au gang. Clairement déséquilibrée, souffrant d'épilepsie, victime d'abus, Gabe ne semble être qu'une poupée de chiffon aux mains des hommes qui l'entourent. Si elle ne semble pas forcément partager les mêmes idées qu'eux, c'est néanmoins une gamine qui a choisi son camp : elle écoute Hando lui parler de Mein kampf, frappe un vietnamien victime de ses amis skinheads et n'hésite pas à les envoyer rendre une visite à son père, dans sa grande maison des beaux quartiers. Enfin, elle provoquera la destruction du groupuscule tout en faisant naître l'amour chez Davey. Wright ne laisse pas un arc-en-ciel percer par delà la tempête, mais là encore, il ne porte aucun jugement.
Longtemps vu comme l'âme damnée du chef, ce qu'il est, Davey se voit autorisé par Wright à se débarrasser par instants de sa cuirasse d'aryen fier de son sang pour apparaître comme un individu capable de ressentir l'amour, le vrai. Il veut protéger Gabe, la sortir de l'implacable médiocrité de sa vie et des mains baladeuses d'un père finalement aussi pourri qu'Hando vis-à -vis d'elle. Mais il reste un skinhead et ne rend pas les armes de la haine pour autant. Ainsi, le réalisateur n'en fait jamais un héros, il n'y a pas de héros chez les nazis. A aucun moment Davey ne semble mettre en doute sa ligne de conduite ni l'appartenance à son clan, ce que le spectateur serait en droit d'attendre. Il semble donc impossible de ressentir de la compassion ou de la sympathie pour lui en dépit de son comportement avec Gabe.
Leader terriblement dangereux et incarnation de la haine, Hando mène ses hommes avec poigne et fermeté. Geoffrey Wright ne cherche pas à l'humaniser. Sans passé ni avenir, il est une machine à frapper, à endoctriner, à recruter et à détruire. Il ne semble avoir aucune faille, aucune faiblesse. Persuadé d'agir pour le bien de son pays et de ses concitoyens, Hando reste, de tout Romper Stomper, le plus inhumain. Au détour d'une scène intime avec Gabe, on l'imagine néanmoins instruit à défaut d'être érudit. Quand il parle sur l'oreiller à l'adolescente, il apparaîtrait presque tendre s'il n'était pas en train de lui expliquer les fondements de l'idéologie hitlérienne. Si les autres skinheads du film, Davey mis à part, peuvent parfaitement être vus comme des crétins incultes issus de la misère de Melbourne, Hando reste l'unique véritable bad guy. Un méchant de cinéma, sans les artifices outranciers des croquemitaines de pellicule. Sa présence et son magnétisme le rendent forcément fascinant. Cette fascination larvée provoque un irrépressible malaise qui ronge le spectateur tout au long du film.
Avec Romper Stomper, chronique d'un groupuscule néonazi s'écoulant sur quelques jours, Wright emprunte à Stanley Kubrick la mise à sac d'une maison bourgeoise et l'agression de son occupant. Mais les rôles vont bientôt s'inverser et les chasseurs deviendront chassées dans les bas-fonds de Melbourne au cours d'une séquence terriblement intense, oppressante, où la mise en scène colle au plus près des personnages. Durant ces quelques minutes, l’ambiguïté constante avec laquelle joue l’oeuvre de Geoffrey Wright parvient à son paroxysme car l'on en vient presque à se soucier du sort de la bande d'Hando face à leurs poursuivants, bien que ces derniers fussent leurs victimes.
Cette ambiguïté désirée par le réalisateur, sa dédramatisation et son refus de catégoriser à outrance ses personnages lui auront valu les foudres de critiques internationaux.  Mais Romper Stomper a aussi été reconnu pour l'audace de son thème et de sa mise en scène. Il aura également permis à un jeune acteur alors presque inconnu de se faire un nom : Russell Crowe, interprète d'Hando, remportera le prix du meilleur acteur lors des Australian Film Institute Awards tandis que le film y sera nommé à neuf reprises. Daniel Pollock, qui incarne Davey, mettra malheureusement fin à ses jours peu de temps avant la sortie du film en se jetant sous un train. Crowe lui rendra hommage quelques années plus tard avec sa chanson The Day Davey Hit The Train.
Produit par la vénérable Australian Film Commission et Film Victoria auxquels on doit La Leçon De Piano ou Shine, Romper Stomper est une film fort, radical sur sa forme et son fond. Un constat accablant sur la montée des extrémismes dans un pays aussi grand que finalement peu connu, sans doute trop marqué par ses mythes et ses clichés. Dommage qu'il n'ait pas connu une distribution internationale (en France, le film de Geoffrey Wright n'est sorti qu'en VHS en 1996 sous son titre original puis en DVD, rebaptisé Fanatic, en 2002) et ne soit pas plus reconnu à sa réelle et juste valeur.
ROMPER STOMPER
Réalisation : Geoffrey Wright
Scénario : Geoffrey Wright Â
Production : Phile Jones, Ian Pringle & Daniel Scharf
Photo : Ron Hagen
Montage : Bill Murphy
Bande originale : John Clifford White
Origine : Australie
Durée : 1h34
Sortie française : 12 juillet 2010 en Direct-to-DVD