Interview - Eric Valette
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- Making-of par Nicolas Zugasti le 2 mars 2010
In the mouth of Valette
Rencontre avec un réalisateur chauve, aimant les films de genre et originaire de Toulouse. Non, il ne s’agit pas de Yannick Dahan mais d’Eric Valette le grand absent des Césars (Une Affaire d’Etat n’était même pas nominé en tant que meilleur film ! C’est sûr que Le Concert c’est tellement mieux).
Et d’abord un grand merci à D’Artomufix qui m’a permis d’entrer en contact avec le sympathique Eric Valette de passage à Toulouse. Oui, un mec vraiment cool puisqu’il ne m’a pas jeté dès le début de l’entrevue au moment où mon dictaphone a refusé de fonctionner ! On ne parlera pas des Césars (interview réalisée avant) mais ça tombe bien, cela permet de remettre sous les feux de l'actualité un des meilleurs réalisateurs français.
Tu es déjà sorti avec une ouvreuse ?
Non. Elles se font rares malheureusement.
Comparativement à ton travail de réalisation pour Les Guignols de l'Info comment considérerais-tu ta liberté d'action et les moyens mis en oeuvre pour ton premier film Maléfique ? Autrement dit, le cadre était-il moins rigide et les producteurs te foutaient-ils une paix royale ?
Je n'avais réalisé qu'assez peu de sketchs des Guignols avant de commencer Maléfique. Contrairement à des infos qui circulent sur le Net, j'ai connu les scénaristes Alex Charlot et Franck Magnier après leur départ des Guignols. Ceci dit,  j'avais une certaine expérience en pub et films institutionnels. Maléfique, par rapport à ces jobs de commande, offrait beaucoup de liberté, du moment qu'on restait dans les poteaux du budget (un peu moins d'un million d'euros à l'époque). Du coup, notre petite équipe fonctionnait dans une certaine forme d'autarcie dans le hangar qu'on occupait à Montreuil (avec des feuilles de décor recyclées du Boulet pour l'anecdote). Les producteurs voyaient les rushes en DVD dans leur bureau. Ils ont du m'appeler deux fois et passer deux fois sur le tournage. Si ils avaient vu que ça partait en sucette sur les rushes, ils auraient peut-être été plus envahissants, mais ce qu'on faisait semblait leur convenir et ils avaient de plus gros chats à fouetter à l'époque : on était en pleine sortie de leur "projet de prestige" Huit Femmes.
A la suite de la bonne réception de ce premier film, tu tardes à développer des projets qui te tiennent à coeur (Une Affaire D'Etat, déjà ), du coup tu pars pour les Etats-Unis. La perspective de faire le remake d'un film de Miike (One Missed Call) était si excitante que ça ?
La perspective de faire un film qui se fasse l'était. J'ai été impliqué dans trois développements dans les deux années qui ont suivi la sortie de Maléfique et aucun film n'avait vu le jour. Je tournais des pubs et des sketches des Guignols mais ça restait très frustrant quand j'estime que c'est dans l'action que j'apprends l'essentiel de mon métier, pas derrière mon ordinateur ou dans les cocktails de festival. Quand j'ai vu qu'il y avait une possibilité de faire un film aux USA pour lequel il y avait le financement et à l'origine, un script plutôt bon d'Andrew Klavan, j'ai saisi l'opportunité. Sans grande surprise, le film a été victime du formatage et du trop grand nombre de producteurs impliqués qui se livraient des guerres internes assez incroyables. Le script d'Andrew a pris une claque et mon montage aussi. J'ai pas mal appris sur le truc. Je n'aime pas ce qu'ils en ont fait mais ça ne m'a pas dégoûté des USA pour autant. Je ne suis pas naïf, je savais où je mettais les pieds. Il y a de bons producteurs là -bas, il s'agit de les trouver.
Au moins là -bas, tu avais les moyens de tes ambitions, non ?
Pas vraiment en fait. Les américains sont très attachés au confort, tout le monde a ses assistants personnels, et tu as un type avec talkie tous les cinq mètres sur ton chemin entre la cantine et le plateau par exemple pour relayer que tu viens de marcher cinq mètres de plus. Il y a aussi beaucoup d'argent qui part en salaire producteurs. Le nombre de crédits de producers, associate et executive producers sur un film ou une série US, c'est proprement hallucinant. Ils sont plus nombreux que les chefs de poste. On est plus dans les 70s. Et tous ces gens, il faut les payer et ils sont gourmands. Tout cet argent n'est pas sur l'écran. Sur One Missed Call je devais pleurer pour avoir une deuxième caméra certains jours alors qu'il y en avait une en permanence sur Une Affaire D'Etat, un film à quatre millions d'euros, mais beaucoup mieux produit.
Le fantastique et/ou l'horreur sont des genres que tu apprécies plus particulièrement ou est-ce une pure coïncidence que tes premiers travaux y soient rattachés ?
J'adore le fantastique et l'horreur mais l'enchaînement tient de la coïncidence. On est vite rangé dans des cases et c'est d'autant plus vrai aux USA. J'adore les thrillers, les polars, les westerns... J'ai toujours englobé ma passion sans avoir de cloisonnements, du moment que ça restait dans le genre au sens très large du terme.
Et concernant ton deuxième long réalisé là -bas, Hybrid ? C'était plus fun à faire ?
Hybrid est très bien tombé en fait. J'étais rentré en France pour faire Une Affaire D'Etat pour lequel nous avions péniblement réuni casting et financement pour finalement apprendre qu'on devait décaler de huit mois à cause de l'emploi du temps surchargé d'André Dussollier. Comme un producteur que j'aimais bien insistait pour que je vienne faire Hybrid au Canada, j'ai dit banco à condition d'avoir une clause de sortie du projet pour pouvoir rentrer à temps en France. En sept mois, on a donc préparé, tourné et fait un premier montage d'Hybrid. J'ai laissé le bébé après et me suis détaché de la post prod, ce qui était prévu. Le film a donc beaucoup changé depuis. Je me suis amusé à filmer de l'action, ce que je n'avais eu l'occasion de faire que très sporadiquement. Et l'argument très B du script m'amusait. C'était vraiment une récréation même si c'est énormément de boulot et de logistique, particulièrement dans l'endroit où nous tournions, Regina dans la province du Saskatchewan, pas vraiment la région la plus adaptée au cinéma du Canada.
Le pitch (une voiture tueuse possédée) rappelle Christine de John Carpenter. Est-ce la seule similitude ou as-tu recherché à te rapprocher de la maîtrise du cadre de Big John pour mieux faire passer ce genre d'élucubrations ?
Hmmm... Si seulement je pouvais m'en approcher très vaguement. C'est effectivement un argument très Carpenterien dans l'unité de lieu et de temps: un groupe de personnages dans un lieu clos faisant face à une menace lors d'une nuit et je ne peux pas nier que ça m'a séduit. Maintenant, la menace est assez bis. Elle s'avère être une entité qui passe d'un véhicule à l'autre, c'est pas vraiment Christine faut l'avouer !
C'est en 2.35 et j'espère divertissant, mais on s'arrêtera là pour Carpenter, je veux pas aggraver mon cas...
Comme Carpenter, le western semble être un genre qui t'attires. Où en est le projet Dark Guns que l'on a évoqué très tôt après Maléfique ?
J'adore le western, des classiques aux petits films d'Audie Murphy des 60s, de Ford à Sergio Garrone. Tout n'est pas bon partout évidemment, mais chaque période et chaque pays a ses perles.
Le projet Dark Guns était pas mal avancé après Maléfique puis le ciel nous est tombé sur la tête avec Blueberry qui a foutu un sérieux coup à ce genre même si le film de Kounen n'est pas un western et encore moins une adaptation de  Blueberry mais les financiers n'ont pas cette largesse d'esprit.Â
Le temps a depuis fait son oeuvre et des producteurs se sont proposés de remettre le film sur les rails. Je reste prudent, rien n'est fait.
Et dans l'immédiat ? Un tournage prévu en mai non ?
Oui, je commence à préparer La Proie (le titre changera probablement vu le nombre de films récents qui portent un titre similaire), c'est un pur film de poursuite, dans une veine qui peut s'apparenter au Fugitif. On y traverse des villes mais surtout des villages, des zones industrielles, des lotissements, une France assez peu représentée au cinéma, le tout sous un angle de pur film de genre : une course-poursuite haletante. On devrait commencer à tourner fin mai.
En consultant IMDB, il apparaît que tu es producteur d'un projet un peu dingue, An American Hero. Histoire d'un sociopathe qui lutte à sa manière contre la surpopulation en éliminant physiquement l'excédent ?
Producteur c'est un grand mot. J'aide un ami réalisateur, Yvan Gauthier, réal français qui est immigré à Los Angeles sur un petit projet indie assez noir. Il en a tourné quelques scènes mais il reste du taff pour terminer le film. Entre temps, Yvan a tourné un autre long qui s'appelle L.A. I Hate You avec William Forsythe entres autres. Toujours du noir tordu !
Tu oeuvres dans le ciné de genre (fantastique, thriller), que penses-tu de la vague actuelle que surfe les Laugier, Gens, Dahan, etc. ?
Je suis content que les films se fassent, c'est le signe d'un bouleversement profond, même si je suis plus réservé sur la qualité de certains films. Je déplore surtout l'absence de producteurs capables de développer des scénarios et de les mener à maturité. Certains films n'auraient pas du être faits, les scripts n'étaient pas à terme, les réals trop peu expérimentés... Ce n'est pas une question de talent mais de production pure. Savoir combiner les éléments pour créer un projet viable.
Encore une fois, louons sa disponibilité et au nom de tous (rédacteurs et lecteurs) remercions le chaleureusement de nous avoir évité le pire, à savoir un nouveau film de Pitof puisque Hybrid avait été proposé au départ au réalisateur de Vidocq et Catwoman !
Retrouvez sur le site de la revue Versus une session de questions/réponses exclusives tournant autour d’un nouveau projet très alléchant, pour la suite de cette brève rencontre.