Décembre 2007

Speed dating

Les Temps Modernes

Ô folle société hystérique, où cours-tu ? Non pas là, le short est trop serré. Par contre s'il y a endroit où ça fait longtemps qu'on a lâché les élastiques, c'est bien sur MySpace dites donc.

Là-bas, tu leur mets un dessin, même pas une photo floue ni rien, non juste une esquisse vite faite, et hop ils sont tous amoureux de toi. Si vous saviez les mails que je reçois là-bas…

"Salut miss et thanks for the add... Voici mon msn si tu veux chatter!! [secret]@hotmail.fr. Bizz a+"

"Tu veux m'ouvrir ton coeur, c'est sympa"

"Pas mal tes photos j'avoue...
En tous cas elles sont super originales
J'espère qu'on pourra parler plus longuement
Bon sur ce, je te souhaite une bonne journée mais je me doute pas qu'elle sera bien remplie vu ton originalité une foule doit attendre devant chez toi pour t'emmener faire les meilleures sorties de la région ;)
J'attends ta réponse avec impatience
Je t'embrasse
"

"Merci de ton acceptation dans le réseau de tes amis! Je serai ravi de tchater avec toi. Alors he bien heu j'espère à bientôt vla!
Des biz
"

Mignon non ?
Mais vous croyez qu'on a le temps d'aller batifoler ? Car c'est justement là où je voulais en venir lors de ma phrase introductive : comment diable survivre à toutes ces sorties de plus en plus rapides ? Et surtout : pourquoi ?!
Pourquoi expédier des films en salle pour les virer au bout d'une ou deux semaines quand la grosse majorité ne rentrera jamais dans leurs frais, n'étant pas soutenue par une campagne médiatique adéquate pour faire le gros de son audience sur quinze jours ? La majeure partie des films a un besoin vital du bouche à oreilles ! Cela va quasiment de paire avec la notion de spectacle.
Remarquez, c'est peut-être ça le problème : entre des sociétés et chaines de télé productrices qui pensent en "produits", et des auteurs dont l'idée que leurs œuvres soient assimilées à du "divertissement" ou du "spectacle" leur donne des boutons, il ne reste plus grand monde pour encourager une exploitation moins stupide des films en salle.

Car qui peut trouver un intérêt à programmer un long-métrage pendant sept ou quatorze jours, à cinq séances quotidiennes quasi vides, pour ensuite le bazarder car "il ne marche pas" ?
Et si on tentait de les laisser à l'affiche plus longtemps, histoire que :

- les gens aient le temps de les voir

- les gens aient le temps d'en parler

- les gens à qui on en a parlé aient le temps d'aller les voir à leur tour

- la beauté de l'effet exponentielle de cette méthode fasse son oeuvre

En gros, on arrêterait de vendre de l’événement superficiel et forcé (donc de la consommation rapide avant que le buzz s'essouffle), pour mieux vendre des films, rien que des films ! Je sais, le concept est assez bizarre a priori, mais je vous assure qu'il fût un temps où ça fonctionnait bien comme ça.

Cela voudrait dire faire confiance aux films, aussi bien de la part des spectateurs que des décideurs. Mais ces deux parties ont atteint un tel niveau de cynisme qu'elles sont convaincues que seules des valeurs ajoutées, totalement vaines et habilement ciblées, peuvent permettre d'apprécier les films. Selon le public visé, le "plus produit" sera l'exotisme, la hype, les effets spéciaux, la nouveauté, la conscience citoyenne, la sensation de rareté (faire croire qu'un film survendu soit inconnu de tonton Gérard), etc.

Alors dans ces conditions, dans ce jeu de clivages des publics, de fast think, de consommation d'images (mais de sa propre image), vous pensez bien qu'on en a rien à faire du bouche-à-oreilles, du respect du cinéma, du public. Tout est mécanisé, et comme Chaplin dans son chef-d'œuvre, si tu ne veux pas rater une pièce, tu deviens victime de la machinerie et de son rythme infernal.

Autre effet pervers de cette mécanisation du cinéma : moins un film reste à l'affiche, moins on a de temps pour en parler, en discuter, en débattre. C'est donc du pain béni pour les boîtes de production, les organismes de subventions et les critiques, qui peuvent affirmer toutes les calembredaines qu'ils désirent, très peu seront aptes à aller vérifier. Et si c'est le cas, en général au bout de neuf à douze mois, lors de la sortie en DVD, la vague médiatique aura fait son office. Qui, par exemple se souvient de la polémique soulevée par François Garçon à propos des manipulations dans le documentaire Le Cauchemar De Darwin un an après sa sortie ? Pas grand monde. Dans l'esprit des spectateurs ne reste que l'idée, imprimée avec force par les médias, d'un film intègre (sic) représentant la France aux Oscars.

Donc le cinéphile alerte aura eu quatorze jours pour courir voir le dernier Robert Redford, le dernier Zemeckis, le dernier Roy Anderson, le dernier James Wan, ainsi que La France, film au sujet potentiellement très intéressant ; puis le premier film d'Olivier Barou du tandem Kad & Olivier, le nouveau Kim Ki-duk, le nouveau Mocky, le nouveau Farelly Bros, le nouveau James Gray, le nouveau Wong Kar-Wai, l'anthologie de courts-métrages avec entre autres Ken Loach, Kiarostami, etc.
Sans compter les autres auteurs qui se sont accumulés les semaines précédentes (Scott, Cronenberg, Haggis, Auster, Akin, Coppola, Carrière, Lvovsky) et les films qui auraient peut-être mérité d'être vus : Once, Paupières Bleues, Ce Que Mes Yeux Ont Vu (ha ben pas tous ces films en tout cas)…

Pour conclure, on ne vas pas balancer le discours généralement admis : "C'est qu'il y a trop d'films qui sortent toutes façons ma bonne dame", ce qui est aussi idiot que de déclarer qu'il y a trop de livres, trop de musiques, trop de cultures.
Non, il y a juste trop de commerciaux qui s'occupent de choses qui les dépassent.

Bonnes fêtes de fin d'année quand même ;) (on en profitera pour regarder des DVD tranquillement devant la cheminée – s'il y a des intéressé(e)s, voir MySpace)

PS : N'oubliez pas, jeudi 20 décembre, publication des nominés aux Esquimaux Euhouards !




   

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