Two Lovers

Gray's anatomy

Affiche Two Lovers

James Gray, prodige habitué à prendre son temps (précisément six ou sept ans) entre ses films, livre, seulement un an après le dernier, un film qui sort de son registre habituel.


Ici, pas de tueur à gage, pas de flic pourri, pas de mafieux. Juste un homme un peu perdu qui a raté sa vie et qui va rencontrer deux filles au même moment. Certains émettaient des réserves sur La Nuit Nous Appartient à cause d’une certaine redondance autant dans le fond que dans la forme, par rapport à l’excellent The Yards. On comprend donc pourquoi le père Gray a décidé de livrer un film plus intimiste, personnel et touchant en s’attaquant au dilemme amoureux. Et encore une fois, il frappe fort, en livrant une œuvre d’une finesse et d’une force incroyable, rappelant les grands jours de Woody Allen, ou encore le récent et génial Punch Drunk Love.

Le film prend le parti de commencer par la pire des situations que quelqu’un puisse vivre, pour débuter du plus bas, et ensuite essayer d’aller vers le haut. Avec cette tentative de suicide en guise d’introduction, on plonge directement dans la peau de Leonard, un pauvre garçon détruit par une rupture et forcé à mener une vie qui n’est pas celle dont il rêvait. C’est cette plongée très directe dans la peau du personnage magnifiquement interprété par Joaquim Phoenix (Joaquim, reviens !) qui donne au film toute sa puissance émotionnelle car on ne peut que s’attacher au personnage et suivre passionnément ses malheurs et ses bonheurs. Alors évidemment, le procédé fait peur, n’est pas d’une finesse exceptionnelle, mais reste d’une efficacité redoutable.
La proximité des personnages est la clé du film de Gray. Autant dans son scénario que dans sa mise en scène, Gray aime ses personnages et le montre. Avec des cadres la plupart du temps serrés, enfermant les protagonistes dans leur environnement, ne pouvant pas avancer ; avec de longs plans et des plans séquences qui les suivent dans leurs déplacements, ne leur laissant pas d’espace et permettant au spectateur d’être véritablement pris dans le récit. Surtout que l’ambiance du film y participe aussi. En prenant un New York en plein automne, avec du vent, de la pluie, un ciel gris en permanence, Gray place son récit dans un cadre adéquat à son histoire. La ville n’est pas embellie, elle est grise, froide, pas forcément accueillante, tout comme l’appartement des parents de Leonard, avec une ambiance terne et sans vie. On pense à certains films de Woody Allen, où New York est gris, où les feuilles tombent des arbres, bercées par le son d’un jazz pas des plus joyeux. La forme est donc en accord parfait avec le fond et son déroulement pas forcément très heureux.

Two Lovers
 

James Gray et un amour intimiste, ce n’est pas ce qui donne vraiment confiance aux sceptiques, mais ce n’est pas parce que le réalisateur américain change de registre qu’il oublie ses thèmes et le traitement qu’il leur apporte. Encore une fois, le héros vit dans une famille envahissante, autant physiquement que psychologiquement, encore une fois il aura un choix difficile à faire et encore une fois, on retrouve l’excellent Joaquim Phoenix dans le rôle. Le casting, d’ailleurs, est parfait, comme toujours chez James Gray, avec des seconds rôles parfaitement bien écrits, et interprétés avec brio par des acteurs de grande classe. Le choix assez surprenant de Gwyneth Palthrow dans ce rôle de fille perdue, amoureuse du mauvais garçon, lunatique, faisant toutes les conneries possibles, s’avère très judicieux tant elle brille de par sa sobriété et sa justesse, offrant au personnage sa sensibilité à fleur de peau tout en dégageant un charme incroyable. Pareil pour Vinessa Shaw, que l’on ne voit pas assez au cinéma, qui donne vie à son personnage avec retenue et charme, comme le fait Sandra avec Leonard, dont la rencontre n’est pas des plus naturelle car forcée par les parents. Une vrai révélation que cette trop méconnue actrice ayant déjà quelques grands métrages à sa filmographie (Eyes Wide Shut, Melinda Et Melinda, La Colline A Des Yeux ou encore le sympathique 3h10 Pour Yuma). Le couple de parents est aussi parfait, avec Isabella Rosselini qui revient un peu au premier plan, et Moni Moshonov, déjà vu dans La Nuit Nous Appartient. Venant tous les deux d’univers différents, elle étant d’origine italienne et lui russe, ils donnent à ce couple de parents leur aspect contradictoire, avec l’amour abusif qu’ils portent à leur fils avec une mère très protectrice et étouffante, et un père travailleur, pensant plus à la réussite professionnelle et à la bonne tenue de son commerce plutôt que du bonheur de son fils. Toute cette pléiade d’acteurs est parfaitement dirigée par Gray, qui, comme à son habitude, sait doser la psychologie des personnages et son expression par les acteurs.

Two Lovers
Non Joaquin, le coup de la boîte vide ça ne marche qu'avec Wall-E

Pour revenir au film et son fond, Gray prend à contre-pied la majeure partie des productions romantiques actuelles, et l’affreuse affiche française, présentant le film comme une banale histoire d’amour. Parce que Two Lovers est romantique, mais certainement pas une comédie, malgré les quelques sourires qu’il provoque par moment, grâce à Léonard et son sens de l’humour, mais un vrai drame, pas forcément très optimiste. Ici, l’amour n’est pas simple, il ne suffit pas de deux amoureux, comme l’annonce pourtant le titre, pour être heureux. C’est un long cheminement, fait de déceptions et de douleurs diverses, que Léonard va devoir vivre. C’est donc dans la souffrance que le film se déroule, de la tentative de suicide du début, jusqu’au déchirant final, Gray, comme pour son ambiance visuelle, n’embellit rien. Pas d’optimiste déplacé, pas de gentillesse forcée, tout est réaliste, vrai, et fait mal par où ça passe, et tant pis si on n’en sort pas forcément heureux.
P
renant du début à la fin, grâce à une mise en scène parfaitement au service de son récit, le film est une réussite totale, porté des acteurs en état de grâce. On rit (un peu), on pleure (beaucoup), mais on ressort surtout avec la conviction que l’on vient de voir un grand film, et certainement la plus belle histoire d’amour vue depuis l'opus d'un cinéaste nous ayant offert un monument cette année, soit Paul Thomas Anderson et son merveilleusement absurde Punch Drunk Love.
Comme l’an dernier, James Gray offre un grand film (sûrement son meilleur d’ailleurs), et on se dit qu’il se pouvait nous livrer une pépite chaque année, on ne saurait refuser.

9/10
TWO LOVERS
Réalisateur : James Gray
Scénario : James Gray & Ric Menello
Production : James Gray, Donna Gigliotti, Anthony Katagas…
Photo : Joaquin Baca-Asay
Montage : John Axelrad
Origine : USA
Durée : 1h40
Sortie française : 19 novembre 2008




   

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