The TV Set
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- Critique par Nicolas Bonci le 11 février 2008
Agad la té'évision épi dor
Les networks américains et sérievores de tous horizons peuvent sabler le champagne, la grève des scénaristes est finie, le monde merveilleux de la télé US va pouvoir reprendre une activité normale. Enfin, façon de parler, évidemment.
Mike Klein, père de famille scénariste, réussit enfin au bout d'une quinzaine d'années d'effort à voir un de ses projets passer à travers les sélections des commissions de production des chaînes américaines. Son pilote, Les Chroniques De Wexler, va être tourné. Commence alors pour le dramaturge le plus difficile : composer avec les exigences commerciales et artistiques d'exécutifs ayant vendu leur âme au dieu audimat et les aléas de la production télévisuelle qui n'ont rien, mais alors rien, de normal.
A l'heure où les spectateurs deviennent complètement boulimiques de séries télé, il est assez intéressant de constater une multiplication des fictions parlant des fictions, prouvant, s'il le fallait encore, la maturité et l'avance du public anglo-saxon en la matière. Alors que nous en sommes encore à nous demander comment on peut réussir un soap à l'américaine sauce 80's, le génial Anglais Ricky Gervais dévoile les coulisses du monde fabuleux du cinéma et de la télévision avec Extras (rappelant par certains aspects la mise en abîme du story arc de la création d'une sitcom dans Seinfeld), Aaron Sorkin, créateur du narcissique A La Maison Blanche, aborde à sa manière la milieu du divertissement télévisuel avec Studio 60 On The Sunset Strip (à sa manière : insupportables personnages fiers d'eux-mêmes, walk & talk à foison) et sur la même chaîne (CBS) la comique Tina Faye y va de sa satire du PAUS (Paysage Audiovisuel US) à travers l'excellent show 30 Rock habité entre autres par un Alec Baldwin magique (mon dieu que cette phrase est longue).
Le nouveau film du fils de Lawrence Kasdan s'inscrit dans cette mouvance répondant aux besoins d'un public de plus en plus curieux et demandeur sur l'envers du miroir, ce qui nous laisse loin des désirs obscurantistes des réseaux de l'Hexagone qui frisent le ridicule en copiant des formula shows comme Les Experts, alors s'il fallait laisser des auteurs dévoiler les coulisses de ce lavage de cerveau organisé, je ne vous raconte pas l'angoisse (et des échecs injustifiés tel que Mes Amis de Michel Hazanavicius viennent les conforter dans leur idée d'un public se désintéressant des caricatures du milieu).
Produit par Jude Apatow, The TV Set porte indéniablement sa touche : axé autour de très longues scènes (le casting, le tournage d'une séquence clé), le propos global du métrage ne tient pas en quelques catch phrases mais s'articule lentement tout au long de ce processus dégénératif qu'est la production d'une œuvre de fiction, la séquence clé en question servant de référence au spectateur afin de percevoir les dégâts causés par les décideurs. Après avoir exposé les enjeux, l'auteur porte donc ses banderilles avec application : de l'agent inculte n'ayant jamais vu Taxi Driver au réalisateur télé usant et abusant de la grue pour filmer des façades vides en passant par la directrice de chaîne (Sigourney Weaver, qu'on n'avait pas vue autant débridée depuis un bail) qui laisse sa fille de treize ans décider du devenir d'un projet développé des années durant par un scénariste, ou encore d'une bande de costards / cravates n'y connaissant rien décider de l'acteur à engager (celui qui surjoue, bien sûr), tout ce petit monde en prend pour son grade (même si nous sommes loin de la férocité d'un Network).
Au final, ce qui devait être une drama traitant du suicide du frère du héros se trouve être une énième fantaisie insipide avec gros son de pet rajouté en post-prod, le tout bien évidemment sous les acclamations d'une bande d'exécutifs se gargarisant quelques secondes plus tôt du carton de leur émission Slut Wars ("La Guerre des Salopes", donc).
Dans le rôle de Mike Klein le scénariste victime, pris au piège d'une machine à broyer littéralement toutes velléités personnelles et sincères (il a le dos en compote pendant tout le film), David Duchovny est une fois de plus excellent, et semble assez concerné par le sujet puisque son personnage de romancier subira les mêmes déboires (adaptation de son œuvre au cinéma foirée par un cinéaste imbu et soumis à Tom Cruise) dans Californication, que l'agent Mulder produit. Coincé entre ses idéaux artistiques et les responsabilités d'un père de famille, Mike subit, plie, tente de s'arranger avec les concessions imposées par la production, dont les ressources pour arriver à ses fins l'air de rien et avec le sourire sont sans limite, menant le spectateur à se demander quel est l'intérêt pour ces producteurs de s'octroyer les services d'un auteur si c'est pour systématiquement imposer sournoisement ses propres idées.
Regard froid et détaché sur l'univers de la série US (que Jake Kasdan connaît pour y avoir produit et réalisé des épisodes de Freaks And Geeks), The TV Set n'essaie jamais d'être un pamphlet mettant en scène de vils personnages ne pensant qu'à mal (les producteurs et exécutifs sont soit incompétents, soit dans un autre monde que le nôtre), et c'est justement ce qui laisse le sentiment d'inéluctabilité qu'habite le héros, finalement félicité pour quelque chose qu'il n'a pas réellement fait. En somme, la fiction commence avant la fiction.
THE TV SETÂ
Réalisateur : Jake Kasdan
Scénario : Jake Kasdan
Production : Jake Kasdan, Aaron Ryder, Jude Apatow…
Photo : Uta Briesewitz
Montage : Tara Timpone
Bande originale : Michael Andrews
Origine : USA
Durée : 1h28
Sortie française : ?