L'Ordre Et La Morale

Calédonie darko

Affiche L'Ordre Et La Morale

Pour son retour, après son expérience américaine mitigée (pour être gentil), Kasso signe rien moins que son meilleur film et prouve qu’il est toujours possible dans la France des Intouchables de faire un film engagé et enragé, aux caractéristiques politiques et cinégéniques remarquables et complémentaires.


A l’instar de L’Exercice De L’Etat de Pierre Schoeller sorti quelques semaines plus tôt. Malheureusement, le four public de L’Ordre Et La Morale prouve également que les français se foutent royalement de leur propre Histoire. En même temps, on peut comprendre cette attitude. Quel intérêt de revenir sur des événements s’étant déroulés il y a près de vingt-trois ans et même pas en métropole, à vingt-cinq mille kilomètres de Paris, sur l’île d’Ouvéa, et impliquant une ethnie encore moins bien entrée dans l’Histoire que les Africains ?

Oui, quel intérêt de se remémorer des événements récupérés et instrumentalisés à des fins politiciennes au moment de l’élection présidentielle de 1988, des événements dont les versions officielles pas entièrement satisfaisantes laissent transparaître des manques, des événements soumis à l’époque à un embargo médiatique, les journalistes étant persona non grata sur l’île ou ceux présents étant reclus dans leur hôtel ?
Kassovitz relate donc les dix jours qu’aura duré la prise d’otage de près d’une trentaine de gendarmes (vingt-sept pour être précis) par des indépendantistes kanaks, de l’attaque de la brigade de Fayaoué à l’assaut final de la grotte où étaient retenus les otages. Ou plutôt, il s’intéresse à la résolution de crise à partir de l'arrivée de l’équipe du G.I.G.N menée par le capitaine Philippe Legorjus, l’attaque proprement dite de l’unité et la mort de quatre gendarmes ne nous étant montrée qu’au travers un flash-back. Un plan-séquence fabuleux d’un point de vue formel et narratif puisqu’il assemble avec fluidité et élégance deux temporalités, les mouvements de caméra parvenant à illustrer dans un même élan de continuité, le champ du présent de Legorjus, auquel on explique ce qu’il s’est passé, par la matérialisation du contre-champ des faits relatés. Du grand art.
Une mise en scène qui semble, à ce moment-là, se complaire dans l’esbroufe mais qui est en fait parfaitement justifiée par le récit et le choix du point de vue à donner à toute cette histoire. En effet, de la première à la dernière seconde du métrage, notre regard sera exclusivement conditionné par la vision de Legorjus. Adaptant le livre de ce dernier, La Morale Et L’Action, Kassovitz se restreint donc à sa vision. Pas question de montrer ce qu’il n’a pu voir à l’époque, ainsi, les kanaks balancés d’hélicoptères ne seront qu’évoqués par une ligne de dialogue. Et les exactions après l’assaut ? Legorjus n’a-t-il pas affirmé, quelques temps après l’affaire, qu’il n’en avait pas été question avant de revenir sur ces premières affirmations dans son livre (leur existence ayant pourtant été évoquée dès 1989 dans le livre de la Ligue des Droits de l’Homme, Enquête Sur Ouvéa) ? Voilà un des points cristallisant les reproches envers le film et que Kasso réussit à tourner en sa faveur. En effet, c’est un Legorjus hagard et complètement déboussolé (fébrilité de la caméra, atténuation des sons) qui assiste à certaines exécutions sommaires, le réalisateur jouant ainsi avec la perception de son principal protagoniste.

L'Ordre Et La Morale
 


Le choix de ce témoin principal comme médiateur de l’histoire à raconter est un autre grief à la décharge du film, les anciens collègues, la hiérarchie, les autres intervenants remettant en cause sa participation et son engagement tel qu’ils sont montrés. Rappelons justement que c’est une fiction et que Kasso n’a jamais eu l’outrecuidance de prétendre que son film révélait la vérité indiscutable. Cela reste la version de Legorjus et si le cinéaste y souscrit en partie, c’est qu’elle lui permet d’englober tous les tenants et aboutissants de cet engrenage infernal.
Cela reste la vérité de Legorjus mais pour Kassovitz c’est un formidable fil conducteur. Aucune volonté d’héroïser outrageusement l’ex-capitaine du G.I.G.N mais plutôt celle de prendre conscience de sa perdition progressive. Pris entre le marteau et l’enclume - on voit Legorjus devant composer avec l’armée, les politiques, ses équipiers, les preneurs d’otages - il tente tant bien que mal de constituer un terrain d’entente propice à la négociation. Mais il se heurtera à la détermination de tous les bords de rétablir l’ordre coût que coûte. Mais il n’est pas pour autant désigné comme l’unique garant de la morale. Kasso n’hésite pas à mettre en avant ses failles, ses erreurs, son tiraillement entre sa loyauté et son désintéressement pour sa mission, son isolement progressif au sein même de son unité (les plans où il demeure seul dans le cade se multipliant à mesure qu’une sortie pacifique de la situation s’amenuise). Alors qu’il établit le dialogue avec les indépendantistes, il le ferme avec son équipe. Surtout, Kasso parvient à établir une similarité, sans doute fantasmée mais qui dans le programme du film est particulièrement efficiente et cinématographiquement pertinente, entre Legorjus et Alphonse Diaonou, le leader du groupe retenant les otages. Chacun est lâché par sa hiérarchie ou ses commanditaires (le FLNKS), tous deux veulent trouver une issue, quitte à aller à l’encontre de l’avis de leurs propres hommes. Attention, ce n’est pas une manière de prendre fait et cause pour la cause kanak, encore moins de faire un film au manichéisme primaire. Kassovitz ne les dédouane pas de leurs actions (la tuerie dans la gendarmerie de Fayaoué, notamment) mais offre une autre perspective, ce sont des pères de famille qui désormais sont allés trop loin pour renoncer ou se rendre.

Le réalisateur assurait vouloir, par ce film, engendrer une certaine réconciliation, renouer, lui aussi, le dialogue. Son film est également l’occasion de rétablir l’équilibre avec les versions officielles en proposant un autre point de vue, et ce au prix d’un remarquable travail d’équilibriste puisqu’il ne se départit jamais de la ligne qu’il s’est fixé, soit suivre constamment et pas à pas la trajectoire de Legorjus. Cette intention est même carrément limpide dès le début du métrage. Cette volonté de dévoiler ce qui est occulté se révèle lors du changement de point à l‘aéroport. Alors que deux persos conversent au premier plan, on entend la conversation des deux protagonistes animant le second plan.

L'Ordre Et La Morale
 

Quant aux critiques reprochant au film de faire reluire l’image de combattant de Legorjus, elles sont tout simplement incompréhensibles. Kasso, une fois encore, choisit de rester au plus près de Legorjus, la caméra le suit, lui et ses hommes, dans leurs déplacements au cœur de la jungle au moment de l’assaut. Et là, on voit le capitaine rester en retrait, se prenant la tête entre les mains, il est en train de craquer nerveusement, psychologiquement. Il prendra même une décision ayant entraîné une grave blessure à l’un des membres du commando. Il est loin d’être en première ligne. Surtout, on le verra repartir à l’arrière. Tenter une dernière chance de médiation avec le FLNKS mais que lui-même pressent vouée à l’échec. On le verra même prendre une douche avant de revenir par hélicoptère pendant la deuxième et décisive phase de l’assaut. On ne peut pas dire qu’il soit exagérément montré comme un héros, un brave combattant.
S’il y a bien quelques peccadilles à reprocher à Kasso (la voix-off sentencieuse au didactisme exacerbé, que l’on entend qu’à trois reprises), ce n’est certainement pas son intégrité tant artistique que politique.

Finalement, ce qui impressionne le plus dans L’Ordre Et La Morale n’est pas la minutieuse mise en corrélation des évènements entourant la prise d’otage (les tractations politiques avec le ministre de l’Outre-Mer de l’époque, Bernard Pons, le maillage de l’armée, l’aide et le courage de Jean Bianconi, le procureur, etc.) mais c’est sans doute la manière dont le film instaure des plages de calme où l’essentiel des préoccupations afflue. C’est surtout le cas lors des divers retours de Legorjus auprès de Dianou et sa clique qui sont autant d’occasion de leur donner la parole.  Mais c’est sans conteste la scène où le représentant du village vient porter des présents et surtout la parole des sages qui est la plus remarquable et importante. En effet, il remet en avant l’importance de conserver un lien puissant avec les traditions du village, de l’île, de la nation kanak. Des traditions que l’idéologie indépendantiste ne doit pas évacuer. C’est un moment où il ne se passe pas grand-chose à l’écran, du moins en terme de mouvement. Un instant statique, presque de communion, et qui renvoie à l’ambiance apaisée de La Ligne Rouge de Terrence Malick.

C’est au travers de ce genre de séquences que l’on prend conscience de la nouvelle dimension de Kassovitz. Il a toujours autant la rage, la haine, mais elle est plus réfléchie, donc plus affutée. Cela promet de sa part encore de bien belles émotions pelliculées.

7/10 
L’ORDRE ET LA MORALE
Réalisateur : Mathieu Kassovitz
Scénario : Mathieu Kassovitz, Benoît Jauibert, Pierre GEller
Production : Christophe Rossignon, Mathieu Kassovitz, Benoît Jaubert, Philippe Boeffard, Guillaume Colboc
Photo : Marc Koninckx
Montage : Thomas Beard, Mathieu Kassovitz, Lionel Devuyst
Bande originale : Kalus Badelt
Origine : France
Durée : 2h16
Sortie française : 16 novembre 2011




   

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