Le Premier Jour Du Reste De Ta Vie
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- Critique par Nicolas Bonci le 26 juillet 2008
T'en fais pas je le dis à personne
Parmi les quintaux de comédies dramatiques françaises centrées sur les trentenaires urbains réclamant chacune leur part "d'originalité", "d'air du temps" et de "fraîcheur", seuls quelques grammes échappent aux incuries et poncifs d'un genre dont l'acceptation comme norme en dit plus long sur leurs auteurs et aficionados que les films eux-mêmes.
Aussi, lorsque l'une de ces comédies citadines réussit l'exploit d'accommoder des figures "à l'américaine" à base de répliques seinfeldiennes, pote slacker et phobie métaphorique sans sombrer dans le syndrome du copycat opportuniste, l’événement est notable. On mit ainsi vite fait dans un coin de notre tête le nom de Rémi Bezançon comme auteur à suivre suite à la sortie en 2005 de son éminemment sympathique film Ma Vie En L'Air. Restait à savoir quelle voie le cinéaste se déciderait à emprunter.
Hélas, il semblerait que cela soit celle du cinéma emprunté : Je Veux Pas Que Tu T'En Ailles Le Premier Jour Du Reste De Ta Vie conte cinq journées décisives dans la vie d'une famille de cinq personnes (un papa, une maman, deux garçons, une fille) entre la fin des années 80 et le début de ce siècle. On aura vite compris que ce qui motive Bezançon est à la fois la nostalgie des époques parcourues, et comment des archétypes (les parents, l'aîné responsable, le cadet insouciant, la benjamine chieuse) s'y adaptent et évoluent.
Le concept de nostalgie au cinéma à ceci de rédhibitoire qu'elle n'est ressentie par le public seulement si l'auteur recourt à des éléments propres à évoquer des souvenirs au plus grand nombre, si ce n'est titiller "l'inconscient collectif", et ce sans sombrer dans le cliché. Si on s'accommodera rapidement de l'inévitable bande son commémorative (Nos 18 Ans nous a récemment rappelé qu'on n'a pas fini de manger du revival 80's), les situations, elles, auraient franchement gagné à être si ce n'est plus originales, du moins étoffées par des enjeux beaucoup moins simplistes : l'aîné quitte la maison familiale, il rate son omelette (what a surprise…) et le soir même sa nouvelle voisine devient sa femme. Les affres de l'indépendance nouvellement acquise, de la confrontation aux responsabilités d'adulte ? Ce ne sera pas pour ici. Le cadet glandeur, squattant chez papa maman, se coupe évidemment les cheveux pour grandir et trouver un travail (des fois on cherche des solutions compliquées alors que la vie c'est simple comme un coup de ciseaux). La mère, délaissée forcément, se laisse enivrer par le petit frisson du désir (mais vraiment petit). Et la petite dernière affirme sa rebelle attitude en perdant sa virginité avec un rockeur débile.
Du cliché à foison, donc, que le découpage rythmique (une vingtaine de minutes pour chaque arc) ne permet pas d'approfondir (contrairement à l'excellent Nés En 68 qui mettait ouvertement des stéréotypes en scène pour mieux pousser leur dramaturgie sur près de trois heures). D'autant plus que Bezançon opte pour une mise en scène singeant l'esthétique de chaque époque, ce qui engendre pour ainsi dire un désastre : le déménagement de l'aîné en 88 ressemble à une pub pour une banque, le face-à -face imaginaire entre la fille et la mère apprenant son secret semble rendre hommage à toutes les campagnes officielles des années 90 et le plan final, un regard caméra sur fond de gris métal, nous rappelle à la froideur des chartes graphiques des années 2000.
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Cette recherche de "l'esthétique de l'air du temps" atteint son apogée lors d'un repas familiale entièrement tournée en travelling circulaire et gros plans, visuellement assez insupportable mais évoquant la si précise idée d'un certain formalisme sociologique qu'elle en devient pour le public visé la gageure d'un spectacle de qualité. Si toutefois le public en question sait attendre avant de se faire une opinion, riant déjà au bout de deux plans car ayant lu dans ses revues que Le Premier Jour est délicieusement comique. Et lorsque la mère de famille est victime d'un accident de voiture, c'est également délicieusement comique, faut rire ils ont dit dans la presse.
Bezançon se retrouve même à recycler ses bonnes idées de Ma Vie En L'Air (la scène en accéléré dans la chambre) et ne parvient que rarement à motiver les intentions de ses personnages avec finesse. Ainsi, pour un plan furtif illustrant le mal-être de l'aîné devenu chirurgien pour vieilles bourgeoises, trop d'effets appuyés et de conflits attendus.
Quelque part, les défauts du film pourraient parfaitement en faire le succès, autant comme objet propre à la réminiscence de chacun que comme synthèse de souvenirs collectifs reformatés par la publicité. Ce qui, au grès du temps, risque de faire du Premier Jour Du Reste De Ta Vie un de ces films cinématographiquement très moyens mais indécrottables classiques du PAF.
LE PREMIER JOUR DU RESTE DE TA VIE
Réalisateur : Rémi Bezançon
Scénario : Rémi Bezançon
Production : Eric & Nicolas Altmeyer
Photo : Antoine Monod
Montage : Sophie Reine
Bande originale : Sinclair
Origine : France
Durée : 1h54
Sortie française : 23 juillet 2008