L'Echange
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- Critique par Guénaël Eveno le 18 novembre 2008
Une histoire vraie
Los Angeles, 1928. Le fils d’une jeune mère célibataire disparaît. Quelques mois plus tard, la police l’avertit qu’ils l’ont retrouvé, mais ce n’est pas son fils qu’on lui rend et tous refusent de la croire. Ceci est une histoire vraie.
Vous me direz "j’en ai soupé de ses histoires de mère courage seules contre le système qui débarquent comme des jours de pluie sur le petit écran". Si vous n’êtes pas convaincu par les noms d’Angelina Jolie ou de John Malkovitch, ni par celui de Clint Eastwood à la réalisation (ce qui est plus étonnant), je peux vous dire que oui il y a de ça, mais il y a heureusement plus dans le dernier film de papy Clint que vous n’en verrez jamais en mettant bout à bout tous les téléfilms de vos longues après-midi soporifiques.
La part de l’histoire vraie révèle un paradoxe dans son intitulé même, à la fois sujette à interprétation et modifiée par les circonstances. Malgré la vérité, la grande Histoire ne retiendra souvent que la version qu’elle veut bien entendre.
Dans L’Echange, Eastwood ne se prive pas de mettre en valeur la lutte de son personnage, mais il relève surtout par une brillante démonstration que la vérité n’est pas brute. C’est un long chemin parsemé d’obstacles et d’histoires à démêler. Eastwood fustige dans son film l’autorité même : le LAPD. Les services de police de Los Angeles de l’époque sont corruptibles et quiconque connaît leur histoire sait qu’il faudra bien trente ans pour que cela semble s’arranger. Dirigée par des hommes violents et expéditifs qui tentent de sauver la face en dissimulant, comme tenue d’un secret d’Etat qui devrait coûte que coûte couvrir sa réputation, la police de Los Angeles en vient à enfermer dans des asiles les gens qui pourraient ternir sa réputation.
L’héroïne se retrouve donc face à une vérité officielle qui est fausse, un beau mensonge construit avec peu d’habileté mais qui fait autorité puisque revêtu du sceau officiel. Un climat graduel de paranoïa s’installe, par petites touches. Par un point de vue clair et des indices concordants, Eastwood nous empêche de penser que nous nous trouvons à l’intérieur de la tête d’une malade comme ce fut le cas dans Un Homme D’Exception de Ron Howard. Il n’y a pas de contre-Âvoix officielle, autre qu’un pasteur, un médecin et un professeur pour contester un échange des plus improbables. On se retrouve en porte à faux avec l’autorité, soutenant le point de vue de l’héroïne, et ce malgré une légère sensation que l’histoire pourrait être vraie.
L’institution psychiatrique, en bon fonctionnaire, est prête à appliquer ses formules pour qualifier de malade l’empêcheuse de tourner en rond. Rien de plus facile, car comme le dit un personnage, à chaque comportement correspond un trouble. Le but du traitement est de reconnaître s’être trompé et que la police a eu raison. En somme, valider l’histoire aux dépens de la vérité et abandonner tout espoir de retrouver son fils. On se croirait chez Orwell, à la différence près que les électrochocs remplacent le supplice du rat. Et Eastwood, comme à son habitude, se fend d’un faux classicisme pour souligner des scènes d’autant plus terribles qu’elles s’inscrivent dans un contexte palpable et réel. Il continue de suivre ses personnages avec son élégance habituelle et sa caméra témoin accompagne le récit jusque dans les endroits interdits. Explorant les régions les plus obscures de l’âme sans jamais s’y perdre, il décrit à sa manière une voie sans issue, et la fait ressentir brillamment au spectateur, enfermé lui-même de par ses connaissances et sa sympathie pour la victime de cette mascarade. L’histoire pourrait se finir là , et la vérité serait celle d’une mauvaise mère, doublée d’une parano qui a retrouvé son enfant, mais qui ne l’a jamais reconnu.
Cela pourrait finir ainsi car de nombreux protagonistes de l’affaire n’ont rien à gagner à se manifester. La plupart sont des enfants apeurés, paralysés par un tortionnaire ou par la peur de ce que fera le système une fois qu’ils auront témoigné. Les autorités de leur côté, veillent à conserver leur histoire, mettant un poids sur les officiers qui recevraient des témoignages sur le sort du gamin de l’héroïne. Ce n’est pas non plus pour rien qu’on nous présente les faits sous la forme de points de vue, de témoignages, car la vérité ne s’impose que difficilement. Au fur et à mesure qu’elle se révèle, elle s’expose à être étouffée. Reste pour le spectateur le suivi des faits de l’affaire, repère qui l’empêche de se perdre. L’analogie avec le final de Mystic River qui enterre une vérité en même temps qu’un homme n’est pas loin, si ce n’est qu’ici le système se substitue à la justice privée.
Si jusqu’à la fin du film on maintient le doute sur la culpabilité du meurtrier, c’est pour confronter le spectateur à la faillibilité du système et au doute raisonnable. On le met face à l’événement brut qui en découle, ne lui faisant pas grâce d’en louper une seconde. L’internement, la peine de mort : tout cela est la conséquence de l’appréciation du vraisemblable et non de la vérité, sujet à rapport de forces. Lorsque vous jurerez de dire toute la vérité, rien ne garantit en effet que ce qui sortira de votre bouche sera la vérité. Il est aussi vrai que le système est à l’image de l’Homme, guidé malgré lui vers une compassion de la victime. En cela, son jugement sera influencé. La mise en parallèle des procès du système et du "tueur" est ingénieuse. Hormis le fait qu’elle les met sur un pied d’égalité par rapport à la vérité, elle met en exergue l’influence des médias sur le premier procès. L’un s’impose comme étant le coulisse de l’autre. Les deux scènes sont distinctes mais elles ont pourtant des incidences l’une sur l’autre en dépit de la séparation établie. Quelles que soient les précautions prises et malgré le doute raisonnable, il y’aura donc une influence sur la décision.
"Never start a fight, but always finish it"
On ne restera donc pas au stade de l’histoire, ce mensonge masqué. Le Eastwood de ce film, même s’il se fait réaliste et critique vis-à -vis de son pays, est moins torturé que celui de Mystic River. Sans doute n’a-t’il pas de Denis Lehane, ni autre alter égo littéraire aux basques pour activer ses penchants pessimistes.
Ce n’est peut-être pas non plus le propos. Ici la vérité sera défendue jusqu’au bout, grâce à un personnage qui se donne pour maxime de ne jamais laisser tomber un combat. Ses nombreux alliés qu’elle trouve autant chez un pasteur opiniâtre, un avocat, une poignée de gens honnêtes que dans la foule des manifestants l’accompagneront dans ce combat.
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Vous aurez aussi le droit à du "si vous n’abandonnez pas, vous ferez avancer les choses". Mais tout est très convaincant, parfois même émouvant, transporté par la mélodie simple composée par le réalisateur. Angelina Jolie se voit offrir une véritable chance avec ce rôle, loin de la bombasse au sex appeal surfait et de ces précédents personnages du genre, elle est tour à tour fragile et déterminé sans trop en faire, superbe sous la caméra attentif de Eastwood qui lui offre à ce jour son meilleur rôle. Elle ne démord pas en éloges sur le cinéaste, comme il est d’usage dans une bonne promo, mais on ne peut que la croire. Contemplant le travail fait sur ce film et sur ses précédents, si j’étais acteur, je serais heureux de tourner avec Clint Eastwood.
Au-delà de son rôle émulateur, on aura compris que la jeune mère personnifie la combativité nécessaire à faire triompher la vérité. L’amour qu’elle porte à son enfant et quelque chose de vrai, comme toutes ces sentiments qui font pencher pendant tout le film la balance vers la vérité : l’intégrité d’un flic, la culpabilité d’un enfant, la compassion d’une femme, l’envie d’un autre enfant de revenir à ses parents. Plus que le combat d’une mère, Eastwood semble avoir voulu nous raconter une histoire vraie comme il peut parfois en exister et comment la vérité a pu subsister par un heureux concours de personnes et de circonstances. Il s’intéresse au personnage d’Angelina comme il se plaît à démonter un système pour le passer au crible du vrai et du faux. Une démarche honorable pour un acteur qui a été porté aux nues par ce pays quand on voit ce que certains self-made men d’Hollywood tendent à oublier d’humilité. Cette démarche est aussi un long chemin pour Clint, qui est passé entre autres par son diptyque Iwo Jima, par le constant questionnement de sa propre image et de celle d’un pays qu’il aime en dépit de tout. Il se pose encore et plus que jamais comme l’héritier déviant de John Ford, garant d’une Amérique qui prend conscience de ses faiblesses, mais qui chante encore la grandeur de ses personnages, de ses décors et de ses valeurs.
Il en résulte un film mineur pour son réalisateur comparé à l’intensité d’un Impitoyable, d’un Mystic River ou d’un Lettres d’Iwo Jima , mais certainement un grand film de plus sur l’Amérique.
CHANGELING
Réalisateur : Clint Eastwood
Scénario : J. Michael Straczynski
Production : Tim Moore
Photo : Tom Stern
Montage : Joel Cox, Gary Roach
Bande originale : Clint Eastwood
Origine : USA
Durée : 2h21
Sortie française : 12 novembre 2008