JCVD
Larme absolue
Ils sont rares ces films qui provoquent un sentiment unanime auprès de la presse et du public, et si JCVD en fait parti, ce n’est pas forcément pour ses qualités et défauts mais pour l’humanité qui en déborde pour peu que l’on ne soit pas allergique au prince belge.
Pour pleinement apprécier cet essai, il est tout de même nécessaire d’en connaître un minimum sur ce bonhomme hors norme dont la carrière alterne réussites et erreurs qui auront fait de lui une entité fragile et autodestructrice.
CHASSE A L'AME
Ce parcours agité a réellement débuté avec Bloodsport (1988, Newt Arnold) film au scénario dépouillé (en gros, on assiste à un tournoi) où notre héros déploie toute ses compétences physiques en roulant les mécaniques. Cette œuvre, relativement culte, deviendra le modèle d’une série de produits standardisés et rentables servant à entretenir son image de bellâtre machiste et pédant. Le "film à la Van Damme" est né, il devient bankable et enchaîne plusieurs films (Time Cop, Street Fighter) à gros budget. Cette rêverie prendra fin lors de sa collaboration avec John Woo et Tsui Hark qui vont désagréger son image en l’espace de trois films. Quand à la star, elle se sent pousser des ailes et se permet toutes les folies (pour ceux qui se souviennent de son éructation déplacée durant Nulle Part Ailleurs), y compris celle de s’essayer férocement aux substances illicites.
A ce moment l’acteur va sombrer dans une période creuse et reviendra à de modestes séries B et des rumeurs persistantes évoquent un séjour en cure de désintoxication, ce qui ne l’empêchera pas de revenir sur le devant de la scène. Cependant, lors de ses apparitions, ses discours approximatifs et sa philosophie biscornue vont finir par le faire passer pour une sorte de bouffon. Une image qui, étonnamment, va étendre sa popularité mais vraisemblablement pas dans le sens espéré. Pourtant, les récents choix artistiques de l’acteur sont devenus plus intéressants et des films tel que Replicant ou In Hell (les deux de Ringo Lam) permettent à l’acteur d’exprimer un jeu plus sombre et dramatique. Si bien que ce nouveau projet va le pousser à extérioriser ce besoin et devenir un acteur plus convaincant, et cela en jouant son propre rôle. Il va donc retirer son masque de clown pour en présenter un autre, plus accablant grâce à l’approche tout en retenu de Mabrouk El Mechri.
DOUBLE TEAM POUR DOUBLE IMPACT
Ce réalisateur dont c’est le second long-métrage, s’associe à Bankable Films qui avait produit auparavant Jean-Philippe, un projet similaire lorgnant du côté de Dans La Peau De John Malkovich, l’ambition en moins. Niveau scénario, c’est le journaliste Frédéric Bénudis qui s’en occupe, un sujet qu’il maîtrise puisqu’il a participé à l’émission Dans La Peau De Jean-Claude Van Damme. Mabrouk El Mechri décide aussi de placer l’action dans son pays natal, pour mieux s’approprier la culture propre à cette étoile belge ; en engageant François Damiens (15 Ans Et Demi), il permet d’installer une ambiance spécifique au lieu et y installe un humour noir qui ne désamorcera jamais l’émotion nostalgique s’émanant du métrage.
Tout cela n’a rien d’étonnant, le réalisateur est un ancien fan de l’acteur et il ne tentera jamais d’altérer son image, préférant l’approfondir et la rendre délicate, à mille lieux de celle que l’interprète nous renvoyait jusque-là .
Cette opposition va servir de carburant à l’histoire qui alterne documentaire et fiction en relatant l’implication de Jean-Claude dans le braquage d’une poste. Un pitch simpliste mais propice à exposer deux points de vues différents, celui du fan et de l’idole.
Pour y parvenir, le réalisateur va utiliser ce procédé consistant à dévoiler l’intrigue sous plusieurs angles, une approche ajustée aux propos. Le film débute alors par un plan séquence ou l’action man bastonne un à un les soldats d’une guerre imaginaire, une séquence caricaturale à l’extrême qui expose clairement les intentions de l’auteur. Une fois l’illusion brisée, on assiste à un procès concernant la garde de sa fille lui permettant un face-à -face avec un passé qui se révèlera douloureux vu le faciès livide de Van Damme encaissant un retour de flamme causé par l’image qu’il a si vaillamment entretenu. Dès cette atmosphère installée, notre combattant se retrouve dans une petite rue et se fait interpeller par le gérant d’un vidéo club, un fan qui va devoir le relâcher non sans avoir gentiment (et avec insistance) demandé une photo. Van Damme, pressé, se dirige vers la Poste. La suite des évènements sera racontée de l’extérieur et de l’intérieur de l’établissement, déclenchant l’opportunité de présenter la star sous un angle populaire et intimiste.
Cette seconde partie du film illustre ainsi l’image de la célébrité, celle que l’on perçoit à travers les diverses affiches collées en patchwork sur le mur d’une chambre ou les jaquettes de l’intégrale en DVD. Une image qui par la suite a été réduite à celle de simple pitre que les fans de la première heure ont tendance à renier. D’ailleurs les représentants de cette communauté le décrivent tel un héros. A l’inverse, son rôle de comique involontaire sera évoqué à travers les médias qui rediffusent en boucles ses célèbres discours, sans vraiment se soucier des conséquences. Mabrouk El Mechri, en brassant toutes ses valeurs, fait une juxtaposition de ces représentations, nous préparant à une troisième partie recyclant les éléments précédents et mettant en évidence ce qui se cache sous la carapace de cet homme comme les autres.
Ce dernier tiers s’engage donc par une relecture de la seconde avec un changement de point de vue : Mr. Van Varenberg se met à nue (ne rêver pas les filles, c’est une métaphore)(nd l'ouvreuse : flûte!) et se présente comme un être torturé par la vie, subissant le poids des ses égarements auquel il n’était pas préparé et les divers rapports avec ses fans qui ont tendance à l’excéder. Surtout quand ceux-ci se permettent de le déshumaniser en le comparant à l’icône qui l’a popularisé. Du fan qui tente d’imiter son coup de pied légendaire (non sans lui avoir demandé de le reproduire auparavant) à une femme qui exige qu’il soit "sympa comme au cinéma", notre Jean-Claude est épuisé par ce petit jeu inévitable qu’il ne parvient plus à assurer.
Cela ne l’empêche pas, au détour de quelques dialogues, d’éclaircir modestement certains litiges (principalement avec John Woo et Steven Seagal) et de démontrer qu’il lui est devenu difficile d’assumer cette notoriété qui s’est effritée avec les années. Pour illustrer cette pensée il nous propose une conversation téléphonique avec son agent, mélangeant habillement humour et cruauté, résumant bien les désillusions de l’acteur.
CAVALE SANS ISSUE ?
Ce défaitisme bouleversant va être plus tard développé au détour d’une scène quasiment improvisée et réclamée par notre Jean-Claude en quête de rédemption : alors que le final approche, le personnage devient l’artiste, la caméra dépouille l’image de tout décor pour mieux crédibiliser le monologue qui va suivre et dans lequel Van Damme déballe spontanément ses désirs, regrets, peurs et motivations. Un moment en or qui, à l’image du film, demeure maladroit et touchant mais rattrape une grande partie les imperfections.
Car si l’ensemble du film est passionnant, il est évident que le réalisateur n’a pas réussit à maîtriser sa mise en scène, la narration présente des défauts de rythme et la dernière partie du hold-up, trop fournie en référence maladroite (tels que Un Après-Midi De Chien) et abusivement décomplexée, ne réussit pas à contenir la verve de son auteur. Si on réussit à fermer les yeux sur la photographie plutôt moche apparemment destinée à retranscrire ses états d’âme, on a du mal à apprécier certaines libertés de mise en scène surtout dans les moments à suspense.
Des tentatives superflues pour un film déjà bien unique de part son concept. Défauts que l’on pardonnera à Mabrouk El Mechri, dont la fougue parvient néanmoins à intensifier ce travail honnête, divertissant et démontrant à quel point les revers de la renommée peuvent être pesants. Un anti-Voici stylisé dressant le portrait d’un être vulnérable ayant pris conscience que son pire ennemi ne peut être vaincu à coup de poings : il l’accompagne tous les jours car il est en lui et il devra apprendre à l’accepter.
JCVD
Réalisateur : Mabrouk El Mechri
Scénario : Frédéric Bénudis & Christophe Turpin
Production : Sidonie Dumas, Jani Thiltges, Marc Fiszman
Photo : Pierre-Yves Bastard
Montage : Kako Kelber
Bande originale : Gast Waltzing
Origine : France / Belgique
Durée : 1h36
Sortie française : 4 juin 2008