Grindhouse : Boulevard De La Mort
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- Critique par Nicolas Marceau le 21 août 2007
Point limite Tarantino
Scandale : après des mois d’une attente insoutenable largement alimentée par une promotion orgasmique vantant le concept du double feature avec de sublimes posters dans l’esprit du cinéma d’exploitation d’antan, le Grindhouse du duo Tarantino/Rodriguez se retrouve scindé en deux dans les pays non anglophones.
Exit les fausses bandes-annonces de Rob Zombi, Eli Roth et Edward Wright, exit les pubs pour les bars à tacos et exit l’esprit familial de l’ensemble via de nombreux clins d’œil d’un film à l’autre. Et puisqu’il est plus respectable de voir le réalisateur de Pulp Fiction monter les marches à Cannes que celui de Spy Kids, c’est le segment de Tarantino qui a l’honneur de débarquer le premier dans les salles européennes, quand bien même cela trahirait l’ordre de diffusion souhaité par les auteurs. Lot de consolation : avec l’ajout substantielle de séquences biffées du montage américain Death Proof fonctionne indépendamment de Planet Terror et s’apprécie davantage comme une petite série B rétro sacralisant la sous-culture.  Â
Ressuscitant totalement l’esprit des vieux drive-in, Quentin Tarantino envisage son film comme il a toujours envisagé son cinéma, c'est-à -dire comme une manière d’offrir à un public contemporain les sensations et les ambiances d’une époque à laquelle on ne peut plus que fantasmer. Caviardant sa pellicule de rayures et de scratch, insérant ici et là une saute de son ou un faux raccord, coupant volontairement une séquence au moment où elle devient la plus excitante (le lapdance interrompu brutalement renvoie aux projectionnistes qui coupaient fréquemment les séquences chaudes des bobines pour les emporter chez eux) et reprenant le jingle kitsch des Grindhouse déjà employé sur Kill Bill, le réalisateur assume le ringard de son projet pour lui conférer un charme suranné et affirme plus que jamais son identité cinématographique comme une fenêtre ouverte sur un monde alternatif permettant de fuir de la réalité. Preuve en est avec la multiplication les autoréférences (le shérif de Kill Bill et son Fils Numéro Un, la présentation des deux groupes de nana dans des postures identiques à  celles des héros de Reservoirs Dogs) ou bien ce plan magnifique d’une des héroïne allongée sur son canapé dans une pose sexy et désinvolte évoquant celle de Brigitte Bardot trônant en poster juste au-dessus. Le cinéma ("Death Proof") imitant le cinéma (le poster) pour le réinventer, l’actualiser et le sublimer. Quitte à ce qu’il devienne aussi simplement fashion.
Nostalgique, Tarantino est un peu comme le Stuntman Mike de son histoire (et par extension comme Kurt Russel) : un monstre sacré appartenant déjà au passé et condamné à ressasser sa liste de séries B obscures que peu de jeunes connaissent vraiment. Et même si les nombreuses filles croisées tout au long du récit préfèrent les juke-box ou les enregistrements de cassette aux CD, elles n’en demeurent pas moins des victimes de la mode prêtes à débourser des fortunes pour dénicher le dernier Vogue italien plutôt que de se pencher sur le dernier Fangoria et sont sans cesse rivées à leur téléphone portable, révélateur de leur futilité (une conversation derrière une vitre) ou de leur solitude (une rupture par texto). Ce n’est pas un hasard si les seules nénettes capables de défier le psychopathe roulant en Chevi Nova seront deux cascadeuses (métier de Mike justement) connaissant leurs classiques sur les bouts des ongles vernis et roulant dans la Dodge Challenger de Point Limite Zéro. Â
Bien qu’il ait vendu sa came comme "un slasher avec une bagnole à la place du couteau" (influence vite contredite par la longue séquence dans le bar torpillant le cliché des Vendredi 13 avec ses filles coquines au bord d’un lac avec des mâles en rut), Tarantino négocie surtout de violentes embardées du côté des rape and revenge avec deux séquences de tôles froissées où le pare-choc du bad guy se substitue à sa zigounette. Une analogie largement appuyée par un plan de Kurt Russel assis sur sa Chevi Nova mythique, le canard décoratif du capot entre les jambes. Icône virile et balafrée dans le premier acte du film, Stuntman Mike (initiales : SM) viole ses victimes en leur rentrant dedans après leur avoir longuement contemplées, comme si le cinéaste confessait sa fascination pour les belles gonzesses plantureuses : matage insistant sous un objectif (d’appareil photo ou de caméra, cela revient au même), léchage d’orteils (le fétichisme du bonhomme pour les pieds n’est plus à démontrer et s’affiche ouvertement dès le générique), jeu de séduction (réciter un poème tant espéré en vue de décrocher une danse torride)… Même le premier crash fulgurant sera répété selon quatre points de vue différents, un par victime, dans un montage frénétique proche de la masturbation (dans le script original Mike se masturbait dans sa voiture accidentée). Death Proof s’inscrit néanmoins dans la même veine féministe que Jackie Brown et Kill Bill, la seconde partie du récit menant les femmes agressées vers une vengeance implacable. Le macho qui les avait réduites à de vulgaires objets, elles le taxeront de petite bite avant de lui tirer dessus. Alors qu’une des cascadeuses parviendra à tenir à la force des bras sur le capos d’une voiture lors d’une poursuite sauvage et sans aucun trucage numérique, le bourreau se retrouvera à gémir comme une gamine avant d’être mis KO. Pour vaincre le croque-mitaine, pas de solution plus efficace que de le mener hors de son univers seventies, sur une autoroute moderne (notons qu’à ce stade du récit, l’image n’est presque plus vieillie). Tarantino ne pouvait trouvait plus belle métaphore pour illustrer le basculement de son univers fantasmé à la réalité du présent.
Si une large majorité du public ne verra et n’appréciera Death Proof que pour la griffe inimitable de son auteur (bavardages interminables, bande originale piochant dans les standards oubliés, scènes chocs claquant comme des balles), il serait dommage de passer à côté de ce qui est certainement un touchant aveu d’échec de Quentin Tarantino. Sincère dans sa démarche de vouloir livrer un divertissement désuet ne se moquant jamais de ses sources d’inspirations (le cynisme facile est violemment rejeté lorsque Stuntman Mike défonce un panneau publicitaire de Scary Movie 4), le réalisateur reconnaît que ses films chéris autrefois dénigrés ont fini par se transformer, sous sa caméra, en un produit tendance qu’il fait bon apprécier (tel ce Twisted Nerve composé par Bernard Hermann et réemployé dans Kill Bill qui n’est plus ici qu’une sonnerie de portable). Paradoxalement, c’est en allant vers une forme de cinéma toujours plus démodée que Tarantino s’arme contre l’effet de mode.
 Â
GRINDHOUSE: DEATH PROOF
Réalisateur : Quentin Tarantino
Scénario : Quentin Tarantino
Production : Quentin Tarantino, Robert Rodriguez, Weinstein Brothers
Photo : Quentin Tarantino
Montage : Sally Menke
Bande originale : Robert Rodriguez
Origine : USA
Durée : 1H50
Sortie Française : 6 juin 2007