District 9
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- Critique par Nicolas Zugasti le 25 septembre 2009
Welcome
"La jungle doit avoir disparu avant la fin de l'année". Eric Besson, ministre de l’immigration et de l’identité nationale, le 24 avril 2009.
Le synchronisme de certains évènements est vraiment parfois étonnant et d’autant plus appréciable qu’ici il se double d’une saveur ironique. Comment ne pas sourire lorsqu’on pense que Eric Besson, notre estimable ministre de l’Identité Nazionale, fustigeait les propos de Philippe Lioret lors de la sortie de Welcome qui critiquait justement le délit de solidarité lorsque quelqu’un porte assistance à des étrangers sans papiers et qu’il comparait avec la situation vécue par ceux aidant les juifs en 1943. Certes, nous n’en sommes pas encore à la solution finale mais renvoyer ces immigrés dans un pays qu’ils fuient revient à les condamner métaphoriquement. Besson (ça doit tenir au nom, c’est pas possible) donc, dénonçait la démesure des propos du réalisateur alors que quelques semaines après il annonçait son intention de vider la jungle (les camps sauvages accueillant les sans papiers, alternative bancale depuis la fermeture de Sangatte) de Calais d’ici la fin 2009. Ce problème que l’on déplace pour libérer le paysage et soulager nos consciences est le sujet de District 9 de Neill Blomkamp, excellent film de S.F d’anticipation qui projette les problématiques de l’Apartheid (ségrégation, humiliations, racisme…) sur les occupants d’un vaisseau extra-terrestre en orbite stationnaire au-dessus de Johannesburg depuis 1982. Vingt sept ans plus tard, la promiscuité et la violence quotidienne qui s’est installée est devenue insupportable pour les sud-africains (natifs et conquérants) et afin de retrouver une certaine tranquillité, vont déplacer 240 km plus loin ce ghetto. Soit exactement le but poursuivi par Besson qui a récemment relancé sa grande idée de raser cette jungle. Cela ne résoudra fondamentalement rien mais c’est la forme qui importe : en occupant le terrain médiatique on donne l’impression de se préoccuper des problèmes de ses contemporains. Ce parallèle avec une politique actuelle n’est certainement pas l’unique apanage de la France car à l’heure de la sortie de District 9, nul doute que chacun aura fait le rapprochement avec les ethnies enclavées et malmenées de son pays. Oui, on s’est un peu éloigné du film proprement dit mais pas de son sujet.
En faisant le parallèle avec une situation encore bien présente dans les mémoires des sud-africains, District 9 livre une charge acide et sacrément gonflée car il ne se contente pas d’inscrire son récit dans une réalité pas si lointaine (les panneaux interdisant l’accès dans les lieux publics aux non-humains renvoient à l’Apartheid mais aussi à la situation des noirs américains dans les années 60) mais prend le risque d’attirer l’attention sur les leçons de l’Histoire à retenir, pour éviter que les mêmes erreurs se reproduisent, en faisant témoigner face caméra des noirs se plaignant de la présence de cette race extra-terrestre dont le danger potentiel (qui pourrait justifier cette mise à l’écart) n’est jamais avéré. Soit les anciens opprimés reprenant à leur compte le comportement de leurs persécuteurs afrikaners.
District 9 file la métaphore jusque dans son titre puisqu’il fait référence au district 6 (bien réel celui-ci) de Cape Town qui jusqu à ce qu’il soit déclaré zone réservée aux blancs en 1966 était un camp où des minorités blanches, noires, musulmanes et juives parvenaient à cohabiter. La délocalisation et l’expropriation dont ils furent l’objet se retrouvent donc désormais inscrits à l’écran avec ces crevettes comme victimes expiatoires. Mais Blomkamp ne se contente pas d’une simple évocation par l’entremise de références factuelles, il accentue l’aspect pamphlétaire de son récit en élaborant une mise en scène capable de mêler une intrigue purement science-fictionnelle avec des images prises sur le vif et rappelant ces documentaires politiquement engagés mélangeant témoignages de spécialistes de la question et images tournées sur le terrain. C’est par ce procédé que débute le film dont la première séquence nous montre l’interview de Wikus Van De Merwe, fonctionnaire mal à l’aise et apparaissant un poil demeuré, responsable de la gigantesque opération d’expropriation du district 9. On alternera par la suite avec les analyses de spécialistes, journalistes et membres de la famille de Wikus s’interrogeant sur ce qui a bien pu lui passer par la tête. D’emblée le réalisateur nous renseigne sur la débâcle à venir par le truchement du montage, l’histoire de Wikus constituant l’essentiel de l’intrigue étant un énorme flashback éclairant à posteriori les hypothèses exprimées précédemment. Habilement, Blomkamp va inclure une critique des agissements néfastes de grandes corporations oblitérant sciemment le facteur humain dès lors que l’aspect financier entre en jeu. Ainsi, la MNU ne s’intéresse qu’aux applications militaires qu’elle pourra tirer de l’exploitation de ces énormes armes extra-terrestres et se montre prête à sacrifier sans états d’âme une crevette ou même Wikus, qui s’est pourtant toujours montré loyal et zélé. Il faut dire que l’absorption accidentelle d’une substance noirâtre le transforme peu à peu et lui permet d’utiliser ces armes venues d’ailleurs. Pensez bien que dans ces conditions, même son propre beau-père n’a rien à faire de son efficacité ou des sentiments de sa fille. Cette première partie établissant les bases de fonctionnement de son monde est remarquable dans sa construction et sa caractérisation car là encore, le jeune réalisateur (29 ans !) prend un putain de risque en obligeant le spectateur à s’identifier avec ce cher Wikus. Non pas tant à cause de son aspect anachronique (ce maigrichon en costard commande une opération militaire d’envergure) que le contraste saisissant entre une sympathie de façade (un neuneu souriant) et l’implacabilité dont il fait preuve dans l’accomplissement de sa mission. Lorsqu’il pratique un avortement de masse avec le sourire aux lèvres et les bons mots au coin de la bouche, cela fait sacrément froid dans le dos.
Bien entendu, avec la transformation de sa nature humaine en non-humaine, il va prendre conscience des conditions d’existence déplorables de ces boat-people de l’espace mais cela ne se fera pas aussi facilement. Il instaurera un lien d’amitié avec un père et son gamin décidés à rejoindre le vaisseau mère, par pur intérêt personnel, n’hésitant pas à les manipuler, leur mentir et se montre même prêt à les sacrifier. Le revirement intervenant à un quart d’heure de la fin.
Jusqu’à l’évasion du centre de rétention de la MNU, la réalisation était heurtée, très télévisuelle dans son approche, partagée entre les points de vues donnés par le caméraman suivant le déroulement des opérations et les caméras de surveillance quadrillant le camp. Dès son entrée dans le district, les plans seront plus posés, les mouvements plus fluides. A mesure de la transformation de son personnage, Blomkamp adoptera une mise en scène de cinéma. Dommage que par la suite le réalisateur abandonne ses velléités contestataires pour se focaliser sur une deuxième partie construite comme un jeu vidéo d’action effrénée. Parce que bon dieu, Blomkamp se montre vraiment impressionnant dans sa gestion des combats et de l’espace et propose des séquences d’une beauté fulgurante transfigurées par l’excitation générée par l’enchaînement des mouvements. Le crescendo intervenant au moment où Wikus revêt cet exosquelette, qui rappelle furieusement les mechas japonais, dans lequel il se meut de manière sidérante. L’homme et la machine ne font plus qu’un, chaque projectile atteignant l’armure la coupe dans son élan à la manière d’un humain touché par une balle, et arrachant à chaque fois à Wikus un cri. Mais on ne fait que parler des humains alors que les divers enjeux se cristallisent autour des comportements des extra-terrestres. Encore un coup de cet ethnocentrisme que Blomkamp met pourtant à mal en rendant ses effets-spéciaux (les créatures donc, mais aussi l’armure) plus humains, empreint d’une plus grande sensibilité plutôt,dans leur attitudes et leur postures que les congénères de Wikus. Et c’est là que réside la grande force du film, être parvenu à faire passer ce renversement de valeur par l’intermédiaire d’un film de S.F pétaradant, réaliste, politique et empreint d’un humanisme à toute épreuve.
DISTRICT 9
Réalisateur : Neill Blomkamp
Scénario : Neill Blomkamp & Terry Tatchell
Production : Philippa Boyens, Peter Jackson, Bill Block...
Photo : Trent Opaloch
Montage : Julian Clarke
Bande originale : Clinton Shorter
Origine : Etats-Unis/Nouvelle Zélande
Durée : 1h52
Sortie française : 16 septembre 2009
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