Avengers
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- Critique par Nicolas Marceau le 18 mai 2012
Assemblée générale
C’est mathématique : quand on additionne tous les super-héros des films nuls produits par Marvel ces cinq dernières années, il y a de fortes chances pour que le total soit lui-même nul. La logique est imparable. Encore faut-il essayer de comprendre pourquoi.
Alors que public et critiques semblent s’être mis d’accord sur la réussite indiscutable de ce énième "plus grand film de super-héros de tout l’univers" (avant le prochain), tentons l’impossible en cassant le consensus. Non, à nos yeux, The Avengers ne nous est pas apparu comme une bonne adaptation de BD. Mais avant tout, The Avengers nous a semblé être un bien mauvais film de cinéma.
Tenter d’expliquer la débâcle générale revient à remonter aux origines du projet, quand au terme du pantouflard (mais néanmoins acclamé) Iron Man venait apparaître un Samuel L. Jackson grimé en Nick Fury. Transe générale chez les geeks et sur les forums. Ce qui n’était alors qu’un easter egg concluant un métrage sans scénario devint soudainement la promesse d’un univers complexe à venir. Un autre clin d’œil dans le fort dispensable Incroyable Hulk vient renforcer l’idée chez les fans que les Vengeurs étaient bien en préparation. Une manière habile pour Marvel de tâter le terrain, allant jusqu’à pirater les enjeux de Iron Man 2 afin d’y caser des séquences et personnages sans autre intérêt que de faire monter la sauce. Introduction du S.H.I.E.L.D (dans un vieux hangar pourri), de Black Widow, du marteau de Thor…
Chaque film Marvel devra désormais être non plus une oeuvre fonctionnant indépendamment des autres mais une présentation de chaque Vengeur destiné à fonder une équipe. Dès lors, on ne s’étonnera pas que les films Thor et Captain America se retrouvent envahis d’éléments narratifs plaqués artificiellement au reste. Hawkeye venait faire coucou sans qu’on prenne la peine de nous expliquer qui il est et d’où il vient, le Cube Cosmique apparaissait au centre des enjeux sans que ne soit concrètement expliqué sa nature et sa provenance, Captain America se retrouvait parachuté dans l’époque contemporaine alors que l’univers gentiment steampunk ne demandait qu’à être développé…
Le soucis quand on fait des clins d’œil aux fans de comics, c’est qu’il faut être capable d’introduire les éléments mythologiques auprès d’un public novice. Ce qui n’a jamais été le cas jusqu’à présent. Seuls les connaisseurs sauront identifier un objet ou personnage important de l’univers Marvel. Aussi, faute d’une véritable concertation des différents réalisateurs impliqués, Joss Whedon se retrouve avec un seul film pour expliquer tout ce qui a été laissé en plan auparavant tout en poursuivant le développement des différents héros plutôt malmenés jusque là . Une tâche colossale difficile à solutionner sinon en optant pour l’approche du "Rhaaa on s’en fout !". Ainsi, des figures comme Black Widow, Hawkeye ou Nick Fury demeureront à l’état de silhouettes sans épaisseur, ni réelle motivation. Ils sont là parce qu’ils étaient dans la BD, point. Des enveloppes vides.
Le traitement des autres personnages n’est guère plus reluisant : outre un Iron Man téléguidé par un Robert Dawney Jr. cabotin (il passe son temps à faire des blagues puisque ça avait plu au public des deux précédents métrages à sa gloire), il faudra composer avec un Hulk ne pouvant pas se contrôler mais en fait si, un Captain America guère traumatisé par son changement d’époque ("Pfffff mon costume est old fashion. Mais d’accord, je veux bien vous suivre au S.H.I.E.L.D.") et un Thor surgissant de nulle part (il débarque d’Asgard en plein milieu du récit en semblant parfaitement au courant de tous les tenants et aboutissants de l’intrigue sans que rien ne vienne expliquer le comment du pourquoi).
Développer les problématiques internes à chaque super-héros au sein d’une histoire de groupe demande un véritable travail d’équilibriste pour tout bon scénariste et cinéaste. Hulk évoque les films de monstres à la Jekyll et Mister Hyde, Thor et sa lutte fratricide tend vers la pure fantasy, Captain America incarne des valeurs patriotiques récupérée à des fins propagandistes, Iron Man est le riche génie névrosé capable d’inventer toute sorte d’inventions pop… Une véritable ligue des gentlemen extraordinaires dont les univers pouvaient se confronter et s’enrichir mutuellement, à la manière de ce que Matthew Vaughn avait tenté de proposer sur son X-Men First Class (et notamment son climax spectaculaire combinant les résolutions d’arcs narratifs propres à chaque mutant). En vain.
Optant pour un concours de bite de 1h45, Joss Whedon préfèrera désamorcer systématiquement la dimension iconique de ses figures mythologiques, la vanne beauf étant privilégiée au lieu de rappeler au public pourquoi il est censé admirer ces héros. La visite de la base volante du S.H.I.E.L.D ? Hop, un petit gag pour nous montrer un technicien jouer à Space Invaders Galaga en cachette. Thor fait un discours shakespearien à son frère en haut d’une montagne ? Iron Man lui tombe dessus comme le piano sur la tête du méchant dans Hot Shot 2. Un plan-séquence spectaculaire liant tous les Vengeurs dans l’action ? Il se clôture sur Hulk foutant une beigne à Thor comme ça, pour le fun. Hawkeye est envoûté par le bâton magique de Loki ? Pas de soucis : Black Widow lui fera un "repositionnement cognitif" en lui tapant sur la tête. Pourquoi s’emmerder à construire des personnages et des enjeux quand il suffit d’une vanne pour rappeler au public que ces guignols en costume n’ont rien de sérieux ? Symbole de ce traitement par-dessus la jambe, le "génie de la manipulation" qu’est censé être Loki se fera humilier par absolument TOUS les personnages, du simple humain avec un flingue jusqu’au Hulk enragé lui réservant le même sort que les romains dans Astérix Et Obélix.
Remarqué par la télévision pour laquelle il créa la sympathique série Buffy et l’atroce Dollhouse, Joss Whedon n’a clairement pas les épaules solides pour porter un projet d’envergure tel que The Avengers. Car si son expérience de show-runner sur plusieurs saisons n’est plus forcément à démontrer, pas plus qu’on ne pourra remettre en cause sa passion des comic books (on lui doit notamment l’intéressant Astonishing X-Men et les délires ridicules d’une 8ème saison de Buffy), l’écriture d’un format long-métrage nécessite un esprit de synthèse n’autorisant pas le futile ou l’anecdote. Les arcs narratifs doivent être exposés, développés et résolus en deux heures et non plus sur une vingtaines d’épisodes. L’univers n’est plus exposé par petites touches chaque semaine compte tenu d’un budget restreint mais doit en mettre plein la vue. L’émotion ne doit plus reposer sur l’attachement du public revenant devant son petit écran semaine après semaine mais au contraire naître d’enjeux et motivations des personnages constamment relancés. Sur tous ces points, The Avengers est un échec, de la même manière que Serenity (conclusion cinématographique de Whedon à sa série Firefly) était incapable d’utiliser les outils cinématographiques pour dépasser les carcans télévisuels.
Outre une direction artistique épouvantable (les costumes asgardiens font aussi toc que dans Thor, les décors du S.H.I.E.L.D sont d’une pauvreté dramatique, la photo impersonnelle le laisse jamais exploser les couleurs des héros), il faudra composer avec un score anémique de Silvestri, un format 4/3 plus étriqué tu meurs, des raccourcis narratifs atterrants (Loki observant tranquillement un combat de héros en forêt et se laissant capturer sans susciter la moindre interrogation !) et des partis pris de mise en scène totalement aux fraises (caméra mise à l’envers, contre-plongées à 90° au ras du sol pour tenter l'iconique, ralentis avec petite musique classique pour chaque tentative d’emphase…)
Après les cartons de Twilight ou Hunger Game, The Avengers confirme qu’une partie du public ne sait plus faire la différence entre des œuvres conçues pour être vues sur un écran d’ordinateur ou au cinéma (certains exégètes avançant même que "le classicisme aujourd’hui, c’est la télé"). L’important n’est pas de faire un bon film mais juste d’aligner des produits dérivés en tête de gondole des super-marchés. Depuis plusieurs années maintenant, Marvel brade tout son univers, aseptise ses héros (Tony Stark pissait dans son armure dans Iron Man 2, les personnages de Thor étaient comparés à des héros de Xena…) et se moque cyniquement de ceux qui iront trouver des qualités à leur produit (Tony Stark explique ouvertement que la présence de Kenneth Branagh à la réalisation de Thor n’était qu’une vague caution shakespearienne apposée au projet). Le sommet de ce renoncement est d’ailleurs atteint avec la révélation d’une scène spéciale tournée pour le public américain suite à la première projection mondiale. Une scène montrant les super-héros mangeant un kebab après la bataille, dans un silence gênant prouvant que ce groupe n’a en fin de compte rien à se dire (ce qu’on savait depuis 2h30 déjà ). Applaudissements dans la salle : c’est lol, c’est (paraît-il) fun.
Vu le carton du film, la Maison des Idées moisie va pouvoir continuer à transformer ses licences en bidon de lessive. Après cinq films ayant servis à promouvoir The Avengers, on découvre finalement que The Avengers n’était lui-même qu’une pub interminable pour The Avengers 2. Car oui les amis, depuis la sortie du film ça ne parle déjà plus sur les forums que du grand méchant Thanos apparaissant furtivement au début du générique. Et tant pis si le public lambda n’a pas la moindre idée de qui est ce personnage. L’important n’est pas d’introduire un univers. Juste de faire parler et monter le buzz.
Rendez-vous donc dans trois ans pour le nouveau blockbuster sur lequel personne ne viendra hurler au matraquage publicitaire (car attention, on n'a pas le droit de dire du mal du film). De notre côté, on continuera de regretter que Marvel ait damé le pion à DC Comics. Le réalisateur de Mad Max et Happy Feet aux commandes d'une adaptation en performance capture de la Justice League, cela aurait eu nettement plus de gueule...
THE AVENGERS
Réalisateur : Joss Whedon
Scénario : Joss Whedon & Zak Penn
Production : Kevin Feige, Stan Lee & Jon Favreau
Photo : Seamus McGarvey
Bande originale : Alan Silvestri
Origine : USA
Durée : 2h22
Sortie française : 25 avril 2012
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