L'Abominable Dr Phibes
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- Rétroprojection par Pierre Remacle le 13 février 2008
First, do some harm
Le docteur Anton Phibes (Vincent Price, qui a déjà été plus en forme), érudit, esthète et musicien émérite, n’a pas de chance : non seulement sa femme est morte pendant une opération chirurgicale, mais il a lui-même été victime d’un accident de la route qui l’a laissé horriblement défiguré.
Rendu fou après toutes ces épreuves, il décide de se venger de ceux qu’il estime responsables de la mort de sa bien-aimée Victoria : les huit médecins et l’infirmière ayant participé à l’opération.
Mais un artiste tel que Phibes ne saurait se contenter de vulgaires assassinats pour accomplir sa vengeance. Il tuera ainsi ses victimes selon l’antique rituel du G’tach, autrement dit les dix plaies d’Egypte : les pustules, les chauves-souris, les grenouilles, le sang, la grêle, les rats, la licorne (???), les sauterelles (un peu comme dans L’Exorciste 2, quoi…), le premier-né tué (plan assez foireux, en général) et enfin les ténèbres (comme Darkness de Balaguero, mais en moins mauvais).
Assez vite, l’inspecteur du Yard en charge de l’enquête, Trout, se doute de quelque chose et fait le lien entre les crimes qui se multiplient. Accompagné par un des médecins menacés, il va tenter de contrecarrer les plans de Phibes, mais n’est-il pas déjà trop tard ? Car Phibes semble bien avoir tout prévu pour arriver au bout de sa vengeance.
WITCH DOCTOR
Baroque. Surréaliste. Ridicule. Cynique.
Voici quelques qualificatifs qui viennent à l’esprit lorsque l’on regarde L’Abominable Docteur Phibes. Evidemment, le scénario n’est pas des plus poussés : une énième histoire de vengeance d’un savant rendu fou par la perte de ce qui lui est cher. Ce genre de rôle n’est pas étranger à la légende absolue tenant le rôle-titre : Vincent Price.
En effet, ce dernier a également joué un personnage similaire dans House Of Wax (Meurtre Au Musée De Cire, d’André de Toth, 1953, remaké récemment par la boîte de production Dark Castle avec au casting… Paris Hilton…) : atrocement défiguré, il se venge de ceux qui lui ont fait tout perdre. D’ailleurs, référence ? Hommage ? Toujours est-il qu’après chaque meurtre, Phibes brûle la réplique en cire du visage de sa victime. Un autre point commun entre ces deux films est la révélation tardive du réel visage de Price.
BAROQUE ET SURRÉALISTE ?
Le début du film est sans parole. Pendant un bon quart d’heure, nous voyons une étrange silhouette encapuchonnée jouer de l’orgue, diriger un orchestre composé d’inquiétants pantins mécaniques et finaliser les préparatifs de son premier meurtre, avec une jeune et jolie femme (ah, je vois l’intérêt se réveiller). C’est l’assistante de Phibes, Vulnavia (aussi muette que son maître, mais bien plus jolie). Muets, les meurtres le seront presque toujours : Phibes a en effet perdu l’usage de sa bouche dans l’accident (mais pas de sa voix, ce qui aurait été dommage quand il s’agit de celle de Vincent Price). Un effort certain a été placé quant au visuel du film, qu’il s’agisse du repaire de Phibes, de son orgue, de son orchestre, de certains de ses stratagèmes meurtriers (le bal costumé par exemple, très court, mais assez remarquable, Phibes y portant un masque d’oiseau de proie), de sa voiture avec ses étranges rideaux, des tenues de Vulnavia.
On pense parfois au Fantôme De L’Opéra (voire même au Phantom Of The Paradise) : Phibes doit jouer de l’orgue pour rejoindre (ou quitter) la salle souterraine où il échafaude ses plans et contemple les photos de sa femme Victoria (qui est en fait Caroline Munro, dans son premier rôle, celui d’une morte). Ne sortirait-il des enfers que pour se venger ? Après tout, il se présente lui-même comme n’ayant plus rien à perdre, étant déjà mort. Autre point commun avec le "fantôme" : Phibes est défiguré, comme lui.
NEUF T'ONT TUÉE, NEUF PÉRIRONT
L’Abominable Docteur Phibes n’évite malheureusement (ou heureusement, question de point de vue) pas un certain ridicule involontaire : lors des meurtres, les effets sont réellement "spéciaux". Les fils animant les chauves-souris sont ainsi parfaitement visibles lors du premier meurtre. Autre chose regrettable, l’exécrable synchronisation entre les gestes des acteurs "jouant" d’un instrument et la musique qu’ils sont censés produire. Exemple, Phibes lève les mains du clavier pour attaquer un nouvel accord d’orgue dans la foulée du précédent mais la musique continue. Oh yeah. Les scènes de danse entre Phibes et son assistante Vulnavia sont également "autres". Celles-ci, parfaitement inutiles (c’est du remplissage pur et simple), cassent encore davantage un rythme déjà bien molasson. Le coup de grâce est peut-être la façon de s’alimenter de Phibes : un trou sur le côté de son cou (qu’on ne verra jamais) : le voir déguster une coupe de champagne par cet orifice est un grand moment.
Phibes est-il donc un ratage complet ? Non : le film garde un certain intérêt par l’apport d’une bonne dose de cynisme, ou pour être plus exact, d’humour noir.
Plus on s’approche du dénouement, plus le film s’enfonce lentement mais sûrement dans un certain Grand Guignol. Comme si le réalisateur avait compris que tant qu’à faire dans le comique, autant qu’il soit volontaire. Ainsi, une victime de Phibes, empalée contre un mur au nez et à la barbe de l’inspecteur Trout, sera littéralement dévissée du mur, ce qui troublera fortement la quiétude toute britannique du Gentlemen’s Club dans lequel cet évènement s’est produit. Il faut aussi voir l’infirmière recouverte de gelée verte se faire dévorer par des sauterelles.
Cet état d’esprit, tout comme le détachement de Trout par rapport à son enquête (il prend le temps de faire demi-tour pour vider son verre de Brandy avant de quitter la pièce alors que la vie de plusieurs personnes est en jeu) ne sont pas sans rappeler l’humour et l’atmosphère de la série culte Chapeau Melon Et Bottes De Cuir, britannique elle aussi (bien qu’au départ, Phibes soit une production American International Pictures). Cette réminiscence est tout sauf un hasard : le réalisateur Robert Fuest a également mis en boîte quelques épisodes de la légendaire série en question. Mais tout cela ne suffit pas pour rattraper le gros problème de rythme dont souffre Phibes.
Il reste Price, bien sûr, mais c’est maigre.
THE ABOMINABLE DR. PHIBESÂ
Réalisateur : Robert Fuest
Scénario : James Whiton & William Goldstein
Production : Louis M. Heyward, Ronald Dunas, Samuel Z. Arkoff…
Photo : Norman Warwick
Montage : Tristam Cones
Bande originale : Basil Kirchin
Origine : GB / USA
Durée : 1h34
Sortie française : 1971